Souvenirs de Songs | Staska

Fragments éparses d'une mémoire Chasind

Chercher journaux sur la Chasind ne serait que chimère. De papier et d'encre, elle n'use presque jamais. Pourtant, de son histoire, il demeure quelque chose. Quelque part, des images, des songes, des souvenirs, bien vivaces, pour ceux qui oseraient s'aventurer là où l'on frissonne et se perd.

Voilà, vous y venez ? L'Immatériel l'habite, et elle habite l'Immatériel. Sa mémoire y est, comme ceux de bien d'autres, et voilà qu'en allant ci et là, peut-être, l'on pourra un jour y voir, une de ces réminiscences...

La neige était fine, si fine qu’elle ressemblait à des amoncellements de sucre glace qui grinçaient sous le pied. Les arbustes, victimes des intempéries, avaient fini par plier sous le poids, prenant des airs d’entrée de terrier. Sous l’un d’eux, Staska était assise à même le sol, les mains jointes, le souffle un peu court, ses cheveux roux disparaissant sous la capuche de son manteau de cuir brodé. Elle entendait distinctement les cris des enfants qui courraient autour d’elle, alors qu’elle-même restait prostrée là, sans un bruit, son seul mouvement étant celui des tremblements. Une voix se rapprochait, des sons de pas… Elle fermait les yeux et…

Elle poussait un petit cri, filant comme l’air alors que la bande de gamins la poursuivait. Elle courrait, courrait, courrait, le plus vite possible, cherchant où se mettre à l’abri, alors que les autres s’esquintaient à tenter de la rattrapper.

La voix arrêta net la rousse, qui se retournait vers les autres. Ceux-ci, essouflés, s’étaient pour la plupart assis, si ce n’était un avec les mèches blondes tressées qui vint vers elle, plaçant un regard accusateur sur Staska.

A ces mots, son sang ne fit qu’un tour. La fillette prit un air courroucé, son pied venant frapper la neige alors qu’elle s’avançait d’un pas. De ses yeux bleus, elle semblait défier le garçon un peu plus âgé qu’elle, ouvrant la bouche pour s’exclamer d’un timbre aiguë.

L’éclat de voix ne manqua pas de capter l’attention des autres enfants. Les plus belliqueux eurent tôt fait de venir se placer en cercle autour d’eux, commençant à mimer les cris et l’agitation d’une foule supportant son héros, soit tout ce que Staska ne supportait pas avec ses petites oreilles fines et ses yeux habitués au calme et à l’obscurité.

Le dénommé Lucjan se grandit aussitôt, gonflant le torse au milieu des voix qui scandaient son nom. Il avait une claire expression de désapprobation, mais elle était davantage dirigée contre la petite fille que contre ses camarade. Pourtant, habituellement, Lucjan était le plus sérieux de tous, n’hésitant jamais à ramener le calme. Mais cette fois, c’en était comme trop pour lui, convaincu de l’injustice.

Staska n’en démordait pas, se mettant sur la pointe des pieds pour plus facilement défier le garçon. Son nez était froncé, ses joues gonflées, petite chose farouche dont les boucles rousses perçaient de sous sa capuche. Puis, au milieu du tintamarre, une voix se targua d’un nouveau commentaire.

La petite fille eu un hoquet estomaqué, et rejeta son attention sur la foule. Tous les regards se braquaient sur elle. Elle les connaissait, rieurs dans le jeu mais respectueux, presque craintif en dehors. Là, le respect s’évaporait, laissant place au doute, au mépris. C’en était trop.
D’un pas rapide, elle se précipita vers le gamin qui avait osé avoir cette remarque, lequel ne pu que constater des petites mains empoignant son col et le tirer vers le bas, découvrant la petite face rouge et piqueté, les dents manquantes et la chevelure folle couleur d’automne.

Furieuse, la petite chasind secouait son pauvre camarade comme un prunier, lequel ne comprit aucunement ce qu’il lui arrivait, se contentant de finir par hurler et pleurer alors qu’elle le faisait tomber par terre pour le rouer de coups. Mortifiés, les autres se reculaient lentement, laissant seulement Lucjan, plus fort mais aussi plus brave, certainement, accourir pour les séparer. Staska rugit de plus belle, agitant ses petites jambes, alors que son camarade ne lui laissait aucune grâce. Il finit par la soulever pour la rejeter, cul au sol, gambettes en l’air.

Le groupe, en rangs chaotiques mais bien serrés les uns contre les autres, finit par s’éloigner, laissant l’enfant seule, grelottant au milieu de la neige. La fumée des cabanes de bois du village se distinguait nettement derrière une bute, aussi, elle aurait pu très facilement rentrer, mais trop fière, peut-être, elle ne voulait pas. Elle se contentait de rester là, la face bouffie, à pleurer de rage, de frustration. A pleurer tout court.