[FB] Travail et plaisir pourquoi choisir ? Ft Fabien

La Perle. Cela me faisait encore rire de penser à mes origines, pour me retrouver dans un tel établissement. L’époque des flâneries intellectuelles, de la subtilité des formulations et des gestes, un sang bleu finalement noyé dans les fluidités corporelles diverses que l’on trouvait aisément dans de tels endroits. Me plaignais-je ? Pas le moins du monde : ce n’étaient pas les frivolités typiquement nobles qui m’aidaient à survivre, mais mes capacités d’adaptation et ma facilité à perdre ma dignité humaine, mon sens de la morale. Je n’avais pas besoin de ces accessoires inutiles.

Danses sensuelles sur les tables, demoiselles et damoiseaux drapés dans les bras de clients, la bière qui circulait à flot, c’était une bonne soirée. Pour la peine, je filais un coup de main pour servir les consommateurs, tout en restant à l’affût d’un client plus intéressé dans la chair que la nourriture ou la boisson. Ma tenue, comme celle de mes collègues, était assez légère : le torse dénudé, les épaules enveloppées d’un voile fin mais coloré, le bas de mon corps portant un pantalon certes long, mais moulant. Apparemment, les clients m’aimaient bien, ici ; les collègues également, particulièrement parce que j’étais un des rares à avoir une grande gueule et à prendre la défense de l’un d’eux dans le cas où le client se montre violent ou trop ivre.

Alors que je finissais de servir à une table, je sentis un regard posé sur moi. Encore un ; après tout, le principe d’un gigolo est que l’on doit se faire remarquer, se faire observer. Je relevai les yeux et aperçus un mabari venir à ma rencontre, qui aboya même en arrivant. Je m’accroupis et lui tendis une main, qu’elle renifla avant de lécher. Puis, je croisai le regard d’un homme au sourire plutôt carnassier, qui semblait, à vue d’œil, être un costaud, surtout armé. Le tout ne me laissa aucun doute sur la nature de son métier. Il devait traquer. Mon sang se glaça l’espace d’un battement de cils. Le mabari était reparti, s’allongeant devant les armes à présent déposées de son maître, tandis que ce dernier me lançait un clin d’œil. Je m’étais relevé, l’œil fixé sur sa personne, tandis que j’évaluai la situation. Je lui répondis un grand sourire, avant de reprendre mes occupations dans la Perle.

La femme qui l’avait servi était venue à ma rencontre, le sourire en coin.

◊ Je crois que t’as un nouveau client pour ce soir.
◊ Je l’ai vu, en effet.

Au moment de le regarder, il avait levé sa chope dans ma direction, comme une invitation à le joindre à sa tablée. J’avalai instinctivement ma salive, détail qui n’échappa pas à ma collègue, qui gloussa gentiment.

◊ Allez, ce n’est pas le premier, tu commences à avoir l’habitude.
◊ Je crois qu’il me traque, Florina. S’il m’arrive quoi que ce soit ce soir, assure-toi que personne de l’établissement ne s’en mêle.

Son gloussement prit davantage son envol, avant de me donner un coup de coude.

◊ Personne ne peut te tuer à la Perle, Fabien, si c’est ce que tu as besoin d’entendre. Et puis, t’as l’air d’être plein de ressources, je ne m’en fais pas pour toi.

Puis, son ton fut davantage sérieux.

◊ Je vais quand même glisser un mot à la patronne, au cas où. Ce serait dommage de perdre une perle telle que toi ce soir.

A ces mots, elle me lança un clin d’œil et reprit son service. Mon œil se posa à nouveau sur cet étrange client, occupé à manger sa viande. J’inspirai nerveusement, incertain de ce qui m’attendait réellement, mais il fallait bien que je fasse mon travail. Je m’approchai de sa tablée avant de poser mes mains sur mes hanches et de prendre mon meilleur accent orlésien.

◊ J’ose espérer que cette mise en bouche vous satisfait ?