Il était une bière [Pv Dam]

Ces deux raisons pouvaient coexister. Quelque part, elle devait avoir raison, mais c’était difficile à dire, comme bien des choses. Mais une phrase me marqua bien plus :

◊ .. parfois nous n’avons pas besoin d’eux pour plier la vérité selon notre commodité.

« Plier la vérité selon notre commodité », hein .. Je haussai des épaules, lui adressant un sourire.

◊ Ma foi, nous vivons dans un monde où tout est possible.

Et c’était vrai. Si l’on voulait s’opposer fermement à une idéologie, on le pouvait, à nos risques et périls. Tant de choses s’étaient vues bouleversées ces dernières années à Thédas, aussi ..

Face à mes compliments sur ses talents de conteuse, dont la modestie prit rapidement le dessus.

◊ J’ai eu un excellent professeur. Sans lui, je ne raconterai rien.
◊ Vous faites honneur à son héritage en tout cas, c’est certain.

Je lui souris. Je savais plus que bien qu’il était important de bien garder en vue d’où nous venait l’envie de faire de l’art, notre façon de faire. Mais la conteuse n’avait de loin pas fini.

◊ Mais sans vous, cher auditeur, les conteurs tels que moi ne seraient rien. Il faut donc vous remercier pour votre attention et votre patience.

Cette remarque me tira un rire léger. Je la comprenais tellement.

◊ Ah, je ne le sais que trop bien : après tout, vous vous adressez à un poète.

Qu’il était difficile de vivre de son art sans public. Déjà que d’en avoir un aidait légèrement, mais alors de ne pas en avoir du tout .. Autant dire que je la comprenais.

Quand elle effectua sa petite révérence, je m’inclinai de même par respect. Mais malgré tout, il me fallait partir ; je n’allais pas rester ici éternellement non plus, et elle avait sûrement du trajet également. J’avais mes informations, elle avait sa paie, chacun était gagnant finalement.

◊ Je suis certaine que d’autres conteurs et conteuses raviront vos oreilles.
◊ Je l’espère de tout cœur.

Soufflant légèrement du nez, je portai mes yeux sur l’ensemble de la taverne, avant de les reposer sur mon interlocutrice.

◊ Bon, je ne vais pas plus vous importuner que cela, et j’ai un trajet conséquent qui m’attend, je ferai mieux de filer ..

Je me levai de mon tabouret et remis en place mon veston par réflexe, avant d’incliner la tête dans la direction de la conteuse.

◊ Qu’Andrasté veille sur vous et vos histoires, madame.

Et sans plus de cérémonies, je pris congé de sa compagnie pour quitter les lieux, le cœur léger, mais l’esprit lourd, bien lourd.

Je devais me rendre à Starkhaven au plus vite.

La satisfaction se refléta dans mon clair regard à constater la soudaine curiosité de la conteuse.

◊ Vraiment ? Vous m’intriguez, cher monsieur.

Mon sourire s’élargit, mais je conservai le silence, appréciant l’effet de mystère autour de ma personne. Malgré tout, il me fallait partir. Ainsi, je fis les adieux nécessaires, avant de me mettre en route. Starkhaven m’attendait de pied ferme.

Cependant, que ce soit causé par mon charme naturel, le mystère qui flottait autour de ma personne ou une toute autre raison dont j’ignorais l’existence, la conteuse ne me lâcha pas si facilement : elle se hâta de faire ses affaires et de me suivre.

◊ Ne soyez pas si pressé de me fausser compagnie, mon cher monsieur, nous pourrions peut-être faire un bout de chemin ensemble.

Baignant alors dans le froid, je posai sur ses épaules un regard surpris, puis amusé. De la compagnie n’était jamais de refus, surtout d’une telle qualité. Je haussai des épaules avec nonchalance.

◊ Comme vous préférez, je ne vous oblige à rien.

En même temps, il était dangereux pour une femme de voyager seule, donc de voir en moi une once de sympathie devait être réconfortante pour elle. Alors bon, pourquoi pas.

Remettant mon masque orlésien, je la vis alors détaler vers un cheval, qu’elle caressa chaleureusement comme une vieille amie retrouvée. Oh ouais, un cheval. Mes vieilles mains dans les poches, je m’approchai sur un pas lent, observant les alentours.

◊ J’aimerais beaucoup entendre vos poèmes, si vous êtes d’accord ?

Et elle m’offrit son plus grand sourire, et je savais parfaitement ce que cela voulait dire. Mon regard s’attarda un peu sur elle un instant, pris un peu au dépourvu. Je ne savais pas tant si ce que je bredouillais sur une feuille l’intéresserait vraiment, aussi poussai-je un petit rire, tandis que je partis explorer les autres montures présentes de plus près.

◊ Oh vous savez, ce n’est pas autant poignant que le Maraudeur et sa licorne des marais.

Trop fragile. Mmh, trop teigneux. Il m’en faudrait un robuste.

◊ Je n’écris des poèmes que depuis peu, avant je planchais sur des trucs plus ambitieux, comme des tragédies orlésiennes. Et je peux vous dire, les contraintes sont atroces.

Règles à respecter, goûts de luxe du public riche, censure à outrance, .. J’étais surpris que Brûlure mentale fut autorisé, même si certaines représentations furent annulées par la suite.

Ah, parfait. Large et costaud. Il était très certainement plus endurant que les autres présents. Je sortis un couteau et commençai à bricoler avec la lanière. Je devais faire vite. Très vite.

◊ Allez-y déjà, je vous rattraperai sans problème.

Autant lui éviter les ennuis si jamais son heureux propriétaire sortait de la taverne, complètement furieux. Et hop, la lanière était coupée : d’un geste vif, je montai sur le cheval, qui bondit de surprise. Je caressai son cou, tenant la lanière coupée de l’autre main, et après une longue conversation entre la monture et moi, nous fûmes prêts à partir. Enfin.

Avec tout ce grabuge, j’avais attiré la mauvaise attention, aussi je n’hésitai pas à galoper d’entrée de jeu. C’était toujours trop facile.

Le vent dans mes cheveux, entendant les quelques cris de rage derrière moi, je savourai chaque seconde de pure adrénaline. Créateur, monter un cheval m’avait terriblement manqué. L’air frais du soir qui me fouettait le visage, le cœur battant à m’en crever la poitrine, ..  Mais je ne devais pas perdre mon objectif de vue : ainsi, je cherchai mon acolyte du soir du regard, sur son somptueux cheval blanc et crème. Damnation, je ne connaissais même pas son prénom.

Heureusement pour moi, un cheval clair était rapidement repéré dans le crépuscule. Je suivis ainsi cette indication visuelle, toujours au galop. Ce type de cheval était certes plus lent, mais il était endurant, et c’était surtout de ça dont j’avais besoin pour mon voyage.

Toujours au galop, je décidai de ne pas tenter le moindre démon en m’arrêtant à sa hauteur. Et puis, de par la carrure de sa monture, je jugeais qu’elle pourrait me rattraper très aisément ; chose qu’elle fit, par ailleurs.

◊ J’ai gagné, alors me feriez-vous le plaisir de lire vos poèmes ?

Je poussai un rire, porté autant par la pressante balade que par ses propres mots. Notre allure ralentit quelque peu, tandis que nous avions semé nos assaillants du moment. Lorsque je tournai la tête vers la jeune femme, je ne pouvais que constater tout l’intérêt qu’elle avait posé sur moi, avec son regard rempli d’étoiles. J’avalai un ricanement.


◊ Arf, j’en ai écrit tellement, vous savez –
◊ Je me moque bien des règles orlésiennes, si vos poèmes viennent du cœur ils sont forcément empreints de beauté.

Je m’arrêtai dans ma réponse, posant sur elle un regard surpris. Créateur, ça me manquait l’époque où mon souci majeur était de finir ma pièce le matin même, et pas de gérer des attaques terroristes sur des individus appartenant à la plus grosse arnaque de Thédas. Je soupirai mentalement, lui adressant un sourire maladroit.

◊ Je vous proposerais volontiers de quitter d’abord la ville et de nous trouver un coin tranquille où échanger, puis de parler écriture et histoires. Ça vous va ?

Je ne doutais pas un instant que la garde civile était sur nos talons à l’heure actuelle, alors autant ne pas perdre de temps. J’étais déjà prêt à repartir au galop, tout en laissant une main confiante traîner avec douceur dans la crinière de ma monture. Que ça m’avait manqué de galoper. Si fort. Il fallait croire que mes origines avaient la peau dure.