Main baladeuse et main salvatrice [PV Fabien Sourceclaire]

Je n’avais jamais passé de minutes aussi longues, et pourtant, ce n’était pas la première fois que je me trouvais dans une telle situation. Avoir quelqu’un avec moi cette fois-ci n’aidait sans doute pas ; d’ordinaire, j’étais toujours livré à moi-même. Là, j’avais une elfe mage perdue avec moi – qui avait lu un de mes recueils. Quelle histoire .. j’allais en parler pour les semaines à venir à ce pauvre Etienne.

Les gardes passaient avec leur petit rythme nonchalant, pas trop aux aguets. Parfait, cela m’arrangeait. Bientôt, on n’entendait que des murmures d’acier, puis plus rien. J’expirai lentement.

◊ Je crois qu'on peut repartir, je ne les entends plus.
◊ Alors dépêchons-nous. J’ai peut-être une adresse dans le secteur où nous pourrons être davantage tranquilles.

Même si la tentation d’aller aux AF me prenait, je ne pouvais pas me risquer à pareille idée. J’étais le poète, et non l’informateur. Je soufflai du nez à cette idée, tandis que ce dernier retrouva la lumière de la rue. Un coup d’œil à gauche, un coup d’œil à droite : personne. Le bon moment pour y aller. Je me mis donc en route sur un pas rapide, mais mesuré. Je n’avais pas tant envie de courir encore, pour le coup. Le danger était un peu loin, autant prendre ce temps pour se reposer les nerfs.

Il y avait ce bistrot deux rues plus loin, la chope ardente. J’y allais souvent à l’époque pour écrire avant de travailler à la Page Blanche, elle ferait l’affaire. Nous y fûmes en peu de temps, et sans trop perdre de temps, je poussai la lourde porte en bois qui débouchait sur le centre littéraire des basses classes à Val Royeaux.

L’ambiance était assez festive, mais sur une échelle de taverne, elle semblait assez plate. Certains avaient collé des tables pour échanger sur des concepts et mouvements – débattre sans trop s’arracher les cheveux –, d’autres buvaient joyeusement dans leurs coins. Je refermai la porte derrière Eurydice, avant d’entendre mon nom sur les lèvres de la tenancière.

◊ Mais si c’est pas Fabien qui revient d’entre les morts !

Une partie de la table à débat se tourna vers moi, mais je n’y prêtai pas tant attention que cela. Je m’avançai jusqu’au bar avant de serrer avec fermeté la main de la naine qui y était assise.

◊ C’est vrai que je passe de moins en moins, quel rustre je suis.
◊ Bien, au moins t’es au courant.

Comme si j’étais son chien, elle tapota le haut de mon crâne avant d’ébouriffer mes cheveux. Si au début son côté tactile me bloquait complètement, j’en avais désormais un peu plus l’habitude. Le regard sombre de la naine passa cependant sur Eurydice un instant, comme si elle évaluait une marchandise.

◊ Et tu n’es pas seul, en plus .. c’est qui ?
◊ Oh, c’est quelqu’un que j’ai croisé qui avait autant d’ennuis avec la garde que j’en ai actuellement, sans plus.
◊ Mooooh, ça joue aux princes charmants, comme c’est adorable.

Elle ricana avec sa rauque voix, avant de poursuivre devant mon regard perplexe.

◊ Fais gaffe, un jour tu finiras comme un de tes niais protagonistes !
◊ Voyons, je n’écris plus ce genre d’histoires depuis des années ..

Je détestais tellement de me faire exposer de la sorte, mais Maisha était comme ça. Spontanée, et se rappelant de certains infimes détails assez bluffant – elle devait avoir lu mes histoires une ou deux fois, c’était dire. Elle m’adressa un clin d’œil avant de montrer de sa main calleuse les tabourets sur sa droite.

◊ Allez, prenez place. J’espère que ton elfette aime la bière et le gigot !

Et à ces mots, elle passa de l’autre côté du comptoir et farfouilla dans ses tiroirs et autres rangements pour sortir trois chopes pour les remplir de brune. Je profitai alors de ce moment pour m’adresser à Eurydice.

◊ Maisha n’est pas méchante, elle est juste très .. comment dire .. ouais. Spontanée. Nous pouvons rester ici le temps que les jeux se calment, prendre le temps de s’organiser, ce genre de choses.

Je m’assis à un tabouret et m’appuyai sur le comptoir, comme si toute la fatigue du monde venait de se poser sur mes épaules. Quelle journée. Mais tout de même, de belles rencontres, j’imaginais. Je passai une main dans mes cheveux, avant de me racler un peu la gorge.

◊ Et donc .. vous avez lu les Rêveries. J’ai eu beaucoup de retour sur ce recueil, tous très, très différents. Je serais curieux d’entendre le vôtre.