Debout les Morts ! [PV. Dam Thor'Njall - Elia - Toubib]

Archer a ce don mémorable de briser la glace, ou de créer des situations saugrenues. Il parle comme cela lui vient, et se fiche des conséquences. Tant pis si nous interrogeons cette mage venue d’ailleurs pour nous assurer de ses intentions, il n’en a cure tant qu’il peut sortir sa vanne sans encombre. Malgré sa capuche, je devine son sourire fier et amusé jusqu’aux oreilles, la lueur joyeuse dans ses yeux. Il est content du surnom qu’il a dégoté pour la névarrane, même s’il hésite entre Fouine et Fouineuse. Lequel lui conviendrait le mieux ? Il se questionne, cherche la meilleure option, sollicite aussi mon avis. Je me retiens de pouffer de rire. Je n’aurai pu rêver mieux comme tournure de situation. Avec une telle interruption, l’inconnue se dévoilera au grand jour, et elle nous livrera bien plus de renseignements qu’avec mes petites questions.

Cela ne rate pas. Elle rentre aussitôt dans le jeu d’Archer, et se dresse face à lui. Il ne bouge pas – je sais qu’il se retient de rire. Il ne s’est pas attendu à une telle réaction, moi non plus d’ailleurs. Qui aurait pu nous avertir que la mage se montrerait aussi théâtrale ? Elle prend le surnom à bras le corps et se défend. Lorsque je l’observe, toujours assis sur ma chaise, je revois un instant les représentations théâtrales tévintides, que j’apercevais parfois à la volée quand je me glissais dans les coulisses pour accomplir quelque mission. Dam s’exprime avec force et caractère ; elle ne lésine pas sur les mots, pas plus que sur les gestes. Elle sait comment captiver son audience, même avec quelque chose d’aussi trivial qu’un surnom donné à l’improviste.

Mais ce qui m’intéresse le plus, ce sont les renseignements qu’elle laisse filer. Ainsi donc, Dam est une nécromancienne, ce qui colle avec ses origines, et elle se targue d’être une combattante redoutable. Je note l’usage du mot « combattante », que je ne considère jamais comme anodin de la part d’un mage. D’ordinaire, ces derniers se vantent de leurs pouvoirs, des boules de feu et autres sorts qu’ils peuvent utiliser à tout-va. Ils ne se présentent pas comme des combattants ; ils ne fraient pas avec la plèbe – même si ce dernier point vaut surtout pour les Altus tévintides. Quoique, à ma connaissance, les Mortalitasi ne sont pas mal dans le genre non plus.

Alors qu’elle termine sa tirade endiablée, elle tend la main vers Archer, telle une invitation pour accepter ses dires. On peut au moins lui reconnaître son audace ; elle ne manque pas d’air, et je sais d’avance qu’Archer l’aime bien. C’est totalement le genre de personnes qu’il apprécie, et avec qui il peut plaisanter des heures durant. Si le courant passe entre eux deux, je note de me tenir à l’écart, en particulier si une partie de Grâce Perfide ou de l’alcool entre en ligne de compte. Je ne tiens pas à me retrouver entre deux feux.

Archer serre la main de la névarrane, avec un sourire à peine masqué par la capuche.




Je me retiens à nouveau de pouffer de rire. Archer n’en manque vraiment pas une pour plaisanter. Il est intenable.




Archer fait mine de se renfrogner, comme à chaque fois que personne ne retient les surnoms qu’il trouve. Cependant, je sais aussi ce que cela signifie : il me laisse reprendre l’interrogatoire après cette interruption.



Je darde mon regard sur Dam, pour lui faire signe que la plaisanterie est désormais terminée. Elle a lâché des renseignements intéressants malgré elle, et je compte bien en apprendre davantage désormais. Je remercierai plus tard Archer pour son intervention utile.



J’énonce mes découvertes, et je guette ses réactions. Souvent, les gens se dévoilent beaucoup lorsqu’ils sont pris sur le fait, avant même de prononcer la moindre parole qui pourrait être fausse. Dam me confirmera bien malgré elle ce que je pense savoir – ou alors, si elle parvient à me duper, c’est qu’elle cache bien plus que je ne le pensais au premier abord.



Je me penche sur ma chaise pour l’observer. Cet interrogatoire touche au bout, mine de rien. Je doute que la névarrane cache des intentions malsaines, elle semble plutôt soulagée d’avoir trouvé Onterre. J’ignore qui est cette personne chère qu’elle cherche, mais sa voix est sincère. Son hésitation la trahit, et si elle refuse pour l’heure d’en dire plus, je suppose que c’est par manque de confiance. Avec son « départ précipité » du Névarra, j’imagine qu’elle n’a pas que des amis – ce pourquoi elle cherche aussi la protection d’Onterre.

Je retiens un sourire à la mention d’un bâton de combat. J’observe ses gestes aussi agiles que fluides lorsqu’elle effectue sa petite démonstration, et Archer lâche même un sifflement admiratif. Un peu plus, et il applaudirait. Archer a toujours été bon public – il adore quand Mystique use de ses pouvoirs. Souvent lui réclame-t-il des illusions pour égayer nos soirées, chose que le lieutenant encourage aussi. Le vieil elfe l’enjoint souvent à appuyer mes récits de nos annales avec quelques illusions. Selon lui, cela confère une toute autre dimension à l’histoire que je raconte. Notre mage décline souvent, arguant que la magie n’est pas faite pour ces petits jeux triviaux, mais elle ne résiste pas longtemps face aux yeux de chiot de Pilier.

Pour en revenir à Grenouille, je suis curieux de la voir en action, plongée au beau milieu d’un combat. Parvient-elle à jongler entre sa magie et ses talents plus physiques ? Si oui, elle vaut bien davantage que la plupart des mages tévintides que j’ai eu l’occasion de croiser dans le passé. Les trois quarts d’entre eux ne se reposent que sur leurs pouvoirs, et n’imaginent même pas le danger que représente un guerrier ou un voleur. Combien de fois me suis-je faufilé derrière eux afin de glisser mes dagues contre leur gorge vulnérable ? Mais là n’est pas la question. Je suis seulement curieux de voir comment Grenouille use de cet atout qu’elle possède. Peut-être que je lui demanderai un entraînement, dans les prochains jours. Cela pourrait être très instructif.

En tout cas, Grenouille prend de l’assurance. L’hésitation l’abandonne, elle s’assoit sur la table comme si elle était chez elle. Je souris. J’apprécie cette audace, mais elle se fourvoie si elle s’imagine s’en tirer à si bon compte. Même si l’interrogatoire touche à sa fin, car je sais d’avance qu’elle ne me fournira guère de réponses supplémentaires à cause du manque de confiance, elle ne sera pas pour autant lâchée en toute liberté à Onterre. La Compagnie veille au grain, et continuera de la surveiller. Tôt ou tard, au moment où elle s’y attendra le moins, elle dévoilera quelques nouveaux renseignements et nous serons là pour les écouter. Grenouille n’est pas la première à subir ce stratagème, et elle ne sera pas la dernière.



Lorsqu’on est capable d’additionner un et un, il est facile de deviner les connexions logiques dans le récit de Grenouille. Une nécromancienne du Névarra, en fuite à cause d’une décision peu appréciée, et qui dissimule sa réelle identité. J’ai bien noté qu’elle ne nous a pas confié son nom de famille, sans doute par crainte que l’on remonte jusqu’aux personnes qu’elles fuient depuis un an déjà. En d’autres termes, sa famille est puissante, influente au Névarra, mais pas seulement ; autrement, elle ne craindrait pas autant pour ses proches comme pour elle-même au fin fond des Tombes Émeraudes, en Orlaïs. Il est de notoriété commune que les deux pays ne s’entendent guère ; le petit nobliau du coin ne dispose pas du pouvoir nécessaire pour menacer une personne seule par-delà les frontières. Mais une puissante Mortalitasi, qui a fait son nid dans les sphères politiques névarranes ? Voilà qui change la donne.

Par chance, Onterre est une académie isolée, et surtout secrète. Peu de personnes en entendent parler, et c’est déjà bien assez. L’école n’est pas encore prête à subir les regards et les pressions extérieures. Malgré notre alliance avec les réfugiés de Fairbanks, notre position demeure fragile. Nous avons besoin de temps pour consolider notre présence dans les Tombes Émeraudes, et il nous faut déjà éliminer les Hommes Libres qui nous menacent. La capture de la Villa Maurel est un premier pas dans cette direction.



Je me lève de ma chaise sur ces mots. J’applique les règles de la Compagnie. Le passé de Grenouille ne nous regarde pas. On sait ce qu’on a besoin de savoir. Elle est Grenouille, une mage nécromancienne plutôt habile avec un bâton.



Le capitaine exige de connaître le passé de ses hommes uniquement lorsqu’un danger lié à ces secrets nous menace tous. Nous sommes une famille, nous affrontons les dangers ensemble. C’est pour cette raison que la nain s’oppose à ce que l’un des nôtres règle ses problèmes par lui-même, en particulier lorsque la tâche s’avère périlleuse.

Je lui tends finalement la main.



Archer abandonne le mur contre lequel il s’est adossé et nous rejoint. Il en profite pour ébouriffer au passage la chevelure de la mage. Quel plaisantin.




La curiosité d’Écureuil est insatiable. Elle ne va pas lâcher la nouvelle venue avant de longues heures – si ce n’est pas des jours.

Suivi par Archer, j’ouvre la porte mais je me retourne un instant vers Grenouille. Je la jauge du regard, puis j’esquisse un sourire.



À côté de moi, Archer pouffe de rire, et nous nous éclipsons tous deux. La Compagnie veille sur Onterre, et garde un œil sur Grenouille.

Même, si dans le cas de Bismuth, c’est plus qu’un œil qu’elle gardera sur Grenouille.