[FB 9:40] Géant cornu et jeune Gryffon [PV Léopold de Haute Tour]

Finley tira une de ses courtes mèches, fixant son ami avec un air inquiet, les lèvres pincées. Sten lui sourit pour la rassurer, détachant ses yeux un court instant du morceau de bois qu’il avait presque terminé de sculpter.Le Qunari baissa les yeux, détaillant une écaille de la pointe de son couteau, avant de soupirer. Il ne pouvait pas nier qu’il appréhendait sa prochaine patrouille. Il avait été affecté avec l’une des nouvelles recrues et son ventre se nouait déjà. À nouveau, il devrait rectifier le genre que les autres lui attribuaient spontanément. Ce n’était pas malveillant, il le savait bien, mais cela l’épuisait, d’une certaine façon. À force, cela le vidait de toute énergie et il ne réagissait même plus, subissant le mégenrage qui le perturbait.

Il ne pouvait même pas en vouloir à ses camarades, lui-même ne savait pas vraiment où il en était, dans tout ça, malgré les années écoulées. Était-il homme ou femme ? La question le hantait depuis qu’il avait quitté le Qun et il n’avait toujours pas trouvé de réponse qui le satisfasse. Était-ce alors étonnant qu’il n’avait même pas le courage de demander aux Gardes de l’appeler par le prénom qu’il avait fini par se choisir ?

Un jour, il l’espérait, il pourrait être appelé par le prénom qui lui plaisait et non plus par ce titre désormais dénué de sens.L’elfe frissonna, avant de frotter nerveusement ses protège-poignets en cuir. Sten ébouriffa gentiment ses cheveux déjà en pagaille, avant de se lever. Il rengaina son couteau et glissa la figure presque terminée dans la petite sacoche à sa ceinture, avant de saisir la hache qu’il avait posée à ses côtés. Il la rangea dans son dos, avant de s’étirer comme un chat, faisant cliqueter ses plaques d’armure.  L’odeur de graisse et de métal était presque réconfortante après toutes ces années, bien loin de l’odeur de ses Vitaar du temps du Qun.Elle passa une main rageuse dans ses cheveux roux en tournant les talons, avant de disparaître au bout du couloir. Ses yeux restèrent quelques instants tournés vers le mur, puis il soupira. Il sortit un ruban bleu sombre de sa petite sacoche, effleurant au passage la figurine, avant de se diriger dans le sens opposé, attachant sommairement ses cheveux en un chignon bas.

Dire que c’était Finley qui lui avait appris à attacher ses cheveux. Sous le Qun, il les avait toujours portés rasés, sans se demander si c’était ce qu’il voulait vraiment ou non. Et lorsqu’il les avait finalement laissé pousser, curieux, il y avait pris goût, même s’ils s’emmêlaient vite et qu’ils pouvaient s’accrocher n’importe où s’il n’y prenait pas garde.

Sten descendit alors dans la cour, espérant que le jeune homme qui devait l’accompagner aurait eu la brillante idée de l’attendre devant l’entrée du quartier général. S’il devait se mettre à le chercher dans tout Blanchegarde ou pire, devoir interroger ses camarades pour le trouver… Il n’osait y penser, cela l’épuisait d’avance.

Parfois, Sten regrettait presque le Qun. Sa timidité n’était apparue qu’au contact des orlésiens et quelques fois, il aimerait pouvoir leur parler comme il parlait à Fin. L’elfe ne s’offusquait ni de son accent, ni parfois de ses phrases étranges, continuant à discuter comme s’il n’y avait rien d’étrange. Leurs camarades n’étaient pas méchants, mais il y avait toujours ce moment de flottement, ce léger instant de suspension dans les airs lorsque le Qunari avait du mal à se faire comprendre. Même après six ans, il avait toujours autant l’impression de répondre à côté, ou de façon bizarre aux oreilles orlésiennes.

Cependant, un jeune homme dont le visage ne lui était pas familier attendait effectivement dans la cour, presque aussi grand qu’un adolescent Qunari. Sten sourit sans vraiment s’en rendre compte, amusé par le fait que la recrue rejoignait ainsi les rangs clairsemés de ceux qui dépassaient aisément leurs camarades de quelques têtes.Il n’attendit guère la confirmation avant de se diriger vers les portes, les désignant d’un geste du pouce sans regarder en arrière. Sinon, il savait que sa langue s’emmêlerait dans son orlésien marqué par son accent du nord. C’était plus simple de parler sans voir les réactions instantanées de son interlocuteur. Ça rendait les choses plus faciles pour tout le monde.Avec un peu de chance, ce petit nouveau-là saurait mieux que lui où était le dénommé Léo s’il ne s’agissait pas de lui. Et Sten n’aurait ainsi pas besoin de parler aux autres.

Sten eut l’impression que le jeune homme était aussi peu à l’aise avec lui que lui l’était. Cela le rassura quelque peu et il esquissa un petit sourire, presque amusé par le nom à rallonge de son nouveau frère, qui devait sans doute être noble. C’était quelque chose qui ne lui était pas familier lorsqu’il était entré dans la Garde. Il avait l’habitude des titres du Qun et il avait été déstabilisé, bien plus que Finley.

Finley s’adaptait à tout, en fait, ce n’était peut-être pas la meilleure comparaison qu’il pourrait trouver.Il se mordit la lèvre, espérant que son accent rivénien n’entachât pas trop son orlésien. À tous les coups, Léopold lui demanderait de répéter avec un snobisme inhérent aux nobles orlésiens et il se savait qu’il se sentirait honteux, la poitrine serrée avec l’envie de disparaître.

Pourquoi ne l’avait-on pas mis avec une autre recrue ? Ou, mieux encore, avec Finley ou un Garde qu’il connaissait depuis assez longtemps pour supporter sa compagnie sans se sentir minable ? Clarel voulait bien faire, il le savait, mais Sten n’était pas un Ben-Hassrath doué en langue et six années ne lui avaient pas suffit pour perdre son côté pataud en Orlésien. Son accent ressortait malgré ses efforts et gâchait parfois la compréhension de ses propos.

Il haussa cependant un sourcil lorsque le gamin lui demanda s’il était bien Sten et il se retourna, pointant ses cornes du doigt comme s’il s’agissait d’une évidence. Se fichait-il de lui ou posait-il vraiment la question en toute innocence ? Ses traits ne se peignaient pas d’un air de moquerie, mais il pouvait très bien se retenir. Les orlésiens et leurs masques le fatiguaient. Il ne pouvait jamais être réellement certain de ce qu’ils pensaient.Sten souffla, secouant sa tête, avant de cligner des yeux lorsque Léopold extirpa une carte de son sac. Un claquement de langue appréciateur lui échappa. S’il connaissait les différents itinéraires presque par cœur, il était heureux que le plus jeune ait eu la vivacité d’esprit de se munir d’une carte.

Cependant, il crut bon de devoir modérer son enthousiasme. S’ils n’étaient pas dans une région dangereuse, il ne fallait pas pour autant prendre les risques existants à la légère. Même le plus petit des dangers pouvait devenir mortel s’ils pêchaient par orgueil.Il sortit son couteau et sa petite sculpture, reprenant son travail pour occuper ses doigts tandis qu’il commençait à avancer. Il incita le jeune homme à le suivre d’un signe de tête, détaillant une nouvelle écaille sur son dragon en réfléchissant au conseil qu’il voulait lui donner. Il craignait de s’emmêler la langue sur les sonorités étranges de l’orlésien, alors qu’il voulait être le plus clair possible.Il avait appris cette règle lors de ses années de service à Séhéron. Garder le port était une tâche facile pour les jeunes soldats qu’ils étaient alors, mais ils avaient appris à être vigilants en toute circonstance, malgré l’ennui.Non, il n’était pas pessimiste, il explorait toutes les possibilités, même les moins probables et les plus sinistres. Il n’avait pas survécu en enfilant des perles, bien que Finley trouvait ses réflections parfois démoralisantes.

Sten cessa un instant de sculpter sa pièce de bois en entendant Léo parler de son passé. Ainsi, il avait fait des patrouilles, à Halamshiral. Était-il un garde civil avant de venir ici, ou était-il un berruier ? Il y avait quelques elfes dans la Garde Orlésienne, bien que minoritaire, et Finley lui partageait chaque information qu’elle récoltait, comme le fait que les berruiers validaient leur cursus en tuant un elfe des bascloîtres.

Son amie avait l’air pincé en évoquant ce fait, ce qui signifiait qu’elle doutait quelque peu de la véracité des dires. Elle se méfiait même des membres de son propre peuple, préférant croire uniquement ce qu’elle voyait, ou des gens en qui elle avait entièrement confiance. Mais elle était à peine plus à l’aise dans la Garde que lui ; le racisme était ancré trop profondément dans le cœur des Orlésiens pour qu’elle s’y sente bien.

Un bref rire lui échappa alors que le plus jeune lui faisait remarquer qu’il y avait peu de chances de trouver dans les parages un dragon-sire, sauf celui qu’il sculptait. Touché. Ce gamin n’avait guère la langue dans sa poche, mais il ne lui manquait pas de respect pour autant. Peut-être que cette patrouille ne serait pas tant une torture, si le jeune homme restait aussi agréable.Est-ce qu’il était en train de proposer mine de rien une récompense s’il se tenait à carreau ? Totalement. Sten voulait par-dessus tout une patrouille calme et sans prise de tête, et il s’abaisserait à toutes les vilenies nécessaires pour cela. Bien évidemment, il préférait ne pas froisser son camarade en l’infantilisant, mais il ne voulait pas s’épuiser dans une conversation malhabile. Mais pourquoi Clarel l’avait mis avec le bleu ? Elle voulait sa peau et avait décidé que les Engeances n’y suffiraient pas ?

Il tiqua lorsque Léo s’aventura sur le terrain glissant de son accent. Il lui adressa un regard soupçonneux, mais sa voix était dénuée de moquerie et ne semblait pas dissimuler autre chose que de la curiosité. Il baissa de nouveau les yeux sur son dragon, incisant le bois pour marquer les os saillants de l’aile. Il hésitait à engager la conversation, mais il pouvait bien accorder le bénéfice du doute à son frère d’arme. Il l’avait accordé à beaucoup moins méritant.Sten ne l’enviait pas. Il avait foulé une grande partie du continent, il avait découvert des paysages dépaysants, des cultures variées, alors que le jeune homme avait dû voir la même ville toute sa vie. Cela lui semblait incroyablement morne. Il verrait sans doute plus de régions en tant que Garde qu’en tant que civil. Les voyages étaient un luxe que beaucoup n’avaient pas.

Enfin, certes, la plupart de ses déplacements n’avaient rien de voyages d’agréments, mais là n’était pas la question.Peut-être le plus jeune s’en accommoderait-il sans peine, après tout, cela devenait plus rare avec les années. Ou peut-être râlerait-il dans son coin contre les étrangers intégrés à la Garde. Parfois, Sten se demandait s’il se serait senti si peu à sa place dans les Gardes d’autres pays. Peut-être dans les Marches Libres après les événements de Kirkwall, à vrai dire, et encore.

Un soupir lui échappa, alors qu’il détaillait finement le bois. Pourquoi Clarel s’entêtait à le mettre avec d’autres que Finley ? Son amie aurait réussi à meubler la conversation, à empêcher ces blancs qui le terrifiaient autant qu’ils le satisfaisaient. Au moins, le silence lui permettait de ne pas affronter des questions gênantes ou des réflexions qu’il ne savait comment prendre, mais il instaurait ainsi un malaise que Sten ne savait jamais vraiment briser ou empêcher.Le Qunari n’aurait su le dire avec certitude, mais le visage de Léo n’était pas encore marqué par le passage du temps. Il côtoyait des humains et des elfes depuis assez longtemps pour pouvoir plus ou moins juger de leur âge par leur apparence, parfois aussi par leur voix ou leur façon de parler.

Il se demanda cependant si cette question ne serait pas vue comme de la moquerie, ou quelque chose qui mettrait son camarade mal à l’aise. Après tout, il pouvait penser qu’il le jugeait sur son âge, ce dont il n’avait aucunement l’intention. Mais avec ces Orlésiens qui prenaient la mouche pour un mot trop haut, Sten préférait prévenir que guérir. Il ne voulait absolument pas devoir supporter un orlésien vexé.