Réfléxions oniriques [PV : MJ]

Comme cela était inévitablement le cas chaque journée, le soleil avait tiré sa révérence afin que le ciel étoilé puisse accueillir la lune qui, lentement, s’élevait toujours plus haut pour dispenser aux habitants de Fort Céleste sa timide lueur.
Si ce n’était pour les quelques lucarnes qui bordaient les quartiers des apothicaires et mages de soin, la salle aurait été plongée dans une parfaite obscurité. Ses occupants dispersés dans les différents lits soigneusement organisés dans cet espace restreint étaient de tout évidence endormis, ne laissant entendre que le rythme de leur respiration régulière et les froissements de leurs draps. Tous, effectivement … sauf une seule âme qui, pour l’instant, n’avait pas rejoins le pays des rêves.

Sous ses paupières fermées et son silence qui se mélangeait à celui de ses compagnes assoupies, l’esprit de Lynne était encore fort agité par ses réflexions.
Le souvenir d’Edwin ne l’avait jamais quitté, même après un long mois passé loin de sa présence. Mais elle se rendait bien compte que qu’il s’agisse des missions qu’elle accomplissait pour l’Inquisition, de ses ambitions de mage de soin ou des aléas de sa vie personnelle et amoureuse, elle avait ces derniers temps négligé ses recherches pourtant capitales. Cassandra ne s’était pas particulièrement plaint de ses maigres avancées ; après tout, cette situation l’arrangeait. Reconstituer ce savoir interdit présentait un certain nombre d’enjeux problématiques qu’il allait falloir gérer au moment où son application sera prouvée efficace. Mais cette situation, bien évidemment, ne convenait pas à Lynne. Qu'elle pense à Edwin, le croise au gré du hasard ou échange avec lui, elle se sentait toujours plus coupable de son état désespérément immuable.

Savoir que son objectif était possible à atteindre était une chose : cela lui avait redonné de l’espoir par le passé. Pourtant cette nouvelle s’était accompagnée d’un grand silence. Si le remède était connu de certains élus, il n’avait pas été diffusé. Peut-être avait-il été perdu, ou bien que ses propriétaires craignaient les conséquences de sa propagation.

Quoi qu’il en soit, cela ne l’avait pas empêché d’essayer. Elle avait d’abord tenté de tirer les vers du nez de son ami en essayant de tromper sa logique, sans succès. Puis elle avait essayé de s’éduquer davantage, se plongeant dans tout livre en rapport avec les mages, la magie et l’Immatériel, mais cette documentation ne courrait pas les rues. L’ouvrage qu’elle avait récupéré au Cercle de Denerim, le journal du premier Inquisiteur, ne l’avait avancé davantage : Ameridan s’était bien gardé de révéler la formule, admettant que celle-ci serait à la garde des Chercheurs. Quand elle avait confronté Cassandra à ce sujet, cette dernière lui avait affirmé ne rien savoir . Mensonge, ou vérité ? Elle-même ne pouvait s’empêcher de douter de dame Pentaghast, mais c’est la seule réponse qu’elle eut de sa part.
Puis, elle avait essayé en parallèle de formuler des hypothèses. Le principe même du rite était de supprimer le lien d’un mage avec l’Immatériel pour l’empêcher d’utiliser la magie, ce qui sous-entendait l’utilisation de pouvoirs similaires à ceux des Templiers. La question de l’utilisation du Lyrium se posa assez tôt à son esprit, car il pouvait être utilisé de manières si diverses et variées qu'il n'était pas impossible qu'il contrecarre les effets dont il est à l'origine. Combiné avec le bon sort ou les bons éléments, il était possible qu’un Apaisé puisse sortir de sa transe. Malheureusement, par manque d’éléments et de temps, elle n’avait pour l’instant pas réussi à trouver de preuves satisfaisantes pour affirmer que cela était bien le cas.

Récemment cependant, elle s’était rendue compte qu’elle n’avait pas encore exploré l’aspect opposé de ses hypothèses. Toutes partaient du principe que le rituel pouvait être annulé dans son propre monde. Pour autant, elle n’avait jamais réfléchi aux moyens dont disposait l’Immatériel pour rétablir le lien.

Si elle ne possédait aucun moyens de se rendre physiquement dans l’Immatériel pour creuser la question d'elle-même, Lynne ne s’était pour autant pas découragée. Si elle parvenait à entrer en communication avec Tempérance, il lui serait possible de l’interroger. Rien ne garantissait que l’esprit ait des réponses à ses questions, mais essayer ne lui coûterait rien ... sans compter qu'il fallait bien débuter quelque part.

En dormant, tout individu (excepté les nains) se connecte à l’Immatériel, lieu de rêves et de cauchemars. Les mages, plus que n’importe qui d’autres, sont capables de prendre conscience de ces derniers – bien que cela ne soit pas une garantie. Certains sont simplement plus sensibles et lucides que d’autres, et il n’arrivait que trop souvent que le rêve prenne le dessus sur la conscience du mage.
C’était une chose qui lui arrivait d’ailleurs bien souvent ; mais récemment, elle s’était entraînée à garder sa lucidité. Plusieurs fois par jours, elle questionnait la réalité dans laquelle elle se trouvait en espérant de pouvoir répéter ce processus dans son sommeil ; elle notait ses rêves dans son journal lorsqu’elle s’en souvenait pour favoriser sa mémoire. De petits exercices simples qui, à force, portaient leurs fruits. Mais le plus dur restait à faire.

Lynne n’avait jamais essayé de prendre contact avec un Esprit spécifique dans ses rêves, mais elle avait espéré que le fait que Tempérance et elle aient passé un pacte rendrait le processus plus facile. Toute sa vie, elle s’était servie des livres pour trouver des réponses ; mais aucun tome, aucun ouvrage ne donnait d’indication sur ce sujet très précis.

Réussirait-elle cette fois-ci ?

La question s’évapora presque immédiatement, telle une flamme de bougie s’éteignant pour ne laisser qu’une pâle fumée. La guérisseuse spirituelle s’était finalement endormie, lassée de ses réminiscences et rattrapée par la fatigue accumulée d’une longue journée de travail. Comme les autres, inéluctablement, elle se plongea dans les flots oniriques de l’Immatériel.

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