[9:42 Hiémarche] Hommes de vertu

Froid. Un rideau de pluie fine et glacée tombait en discontinu depuis plusieurs heures, et Earnan commençait à regretter la torpeur du feu de camp qu’il avait abandonné le matin même. Rares étaient les personnes qui prenaient le risque de longer la célèbre forêt de Bréciliane ces derniers temps, laissant les chemins encore plus délabrés que ce qu’ils devaient être en situation normale. Mais il avait fait le choix de ne pas partir par la mer, ouais. Quelle idée de merde. Tu verras peut-être des elfes. Non. Il ne rencontrait que des humains terrorisés par les rares attaques des dalatiens, mais ces derniers avaient probablement mieux à faire que de s’occuper d’un cavalier seul à patauger dans la boue. Tu gagneras du temps. Cette route mène vers le cœur de Ferelden, une croisée des chemins vers tous les possibles. Peut-être. Il aurait beaucoup moins souffert à débarquer à Denerim cependant. Il aurait peut-être même pu rencontrer Anora. Il ne s’en sentait pas capable cependant, trop intimidé par son aura. Et la difficulté et la douleur faisaient la valeur d’un périple, disait-on. Cela n’allégeait pas ses regrets.

Froid. L’humidité a traversé dans les parois de sa cape, et il la sent s’infiltrer insidieusement dans ses vêtements de voyage, contre sa peau. Filet de buée qui s’échappe de ses lèvres tremblantes, ses jambes viennent presser  d’avantage le flanc du cheval, qui accélère un peu l’allure en hennissant. Ça dégouline de partout, c’est l’horreur. Au loin, on commence à deviner quelques habitations, un des rares villages étapes de la route probablement. Il a vraiment besoin de faire une pause, et une auberge serait la bienvenue. Silencieusement, le jeune homme remercie le Créateur de sa bienveillance.

Earnan laisse une pièce au garçon d’écurie à l’air maussade, puis se détourne pour se diriger vers l’auberge, de l’autre côté de ce qui ressemble vaguement à une place. Son pas est vif et déterminé quand il s’élance, derniers efforts avant le réconfort d’une choppe de bière tiède au coin d’un feu mourant, et un morceau de pain avec de la viande peut-être, si le ciel est vraiment avec lui. Un homme ouvre la porte devant lui et le regarde de toute sa hauteur sans le faire entrer. Il a cette odeur d’alcool et cette lueur de vice au fond des yeux, la chemise tâchée de vin – à moins que cela ne soit du sang. « T’es nouveau toi ? T’as payé la taxe pour êt’ ici ? » Earnan étouffe un juron et se recule un peu pour mieux l’observer. Il est bedonnant certes, mais ses mains sont massives et sa carrure imposante. L’épée qu’il porte à sa taille semble avoir vu des jours meilleurs, mais elle n’est pas là pour les apparences. Des emmerdes en perspective.

Il hoche la tête, dépité. Son corps est glacé, et la fatigue du voyage est bien présente, contrebalancée cependant par la colère de se faire prendre pour un bleu. « Nan je suis pas au courant. » Il semble presque naïf à le regarder comme ça, avec une surprise feinte. « Mais ça me semble juste, vous en avez sûrement besoin pour… contribuer à la splendeur de ce magnifique hameau. » L’homme le dévisage, interloqué, et se met à rire grassement. « Mène moi à ton Bann et je paierai. »

Les deux hommes continuent de s’échanger quelques mots, Earnan avec légèreté, le ‘collecteur de taxes’ avec de plus en plus de colère. Chacun pose la main sur la garde de son épée, et les choses tourneront peut-être à l’effusion de sang… Si le Créateur n’intervient pas.