[FB 9:38 | abandonné | canon] ... Moins j'ai de gardiens, plus je suis gardé [PV Lukan Rancelion]

Le regard de Prudence rencontra celui de Lukan, aussi calculateur que le sien. Il la jaugeait autant qu’elle l’observait, se méfiant de ses prochaines actions. Il balaya l’argument de l’argent d’une simple phrase, comme si cela ne représentait pas grand-chose à ses yeux, et sans doute cela l’était-il. Alors que voulait-il d’elle, par Andrasté ? Il tournait autour du pot, comme pour mieux introduire son sujet, mais cela la faisait grincer des dents.

Qu’il lui dise de but en blanc ce qu’il voulait, putain !

Elle en devenait vulgaire, mais sa méfiance usait ses nerfs. Sa patience était encore là pour lui permettre de garder son calme et se retenir de l’agripper par le col de sa veste pour le secouer et exiger qu’il annonce une bonne fois pour toutes son offre. Au moins, il reconnaissait sa dangerosité ; il semblait beaucoup trop calme pour qu’il soit en train de lui tendre un piège, à moins de savoir très bien cacher ses émotions.Elle fut déstabilisée par son sourire franc ; elle commença à faire tourner sa dague entre ses doigts, sur ses gardes tout en étant de plus en plus intriguée alors que les secondes passaient. D’où le Hérault s’attendait-il à ce qu’elle soit capable de faire place nette de ceux qui bloquaient son chemin ? Et en quoi ce mépris pour la vie de ses ennemis lui paraissaient une qualité qui pouvait lui être utile ?

La dague lui échappa des mains pour se planter dans le sol lorsqu’il amena enfin ce pourquoi il était venu. L’Ombre du Prince, l’Ombre de Starkhaven. Son père avait dit à Marco et elle un jour que le monde ne se gouvernait pas qu’avec des beaux principes ; elle avait pu le vérifier en permettant grâce à ses machinations de protéger le Prince. Et Lukan lui proposait ce rôle. Sans doute n’était-elle pas la seule qu’il emmenait dans l’ombre de la cité pour la défendre, mais son cœur battait à tout rompre à cette idée.

N’était-elle pas revenue à Starkhaven avant tout parce que cette ville avait une place si chère dans son cœur que même le temps n’avait pas su l’en déloger ? Elle voulait reprendre son titre des mains encore chaudes de son oncle, certes, mais elle était au départ rentrée pour participer à la vie de la cité.

Alors elle savait, avant même qu’il n’expose le reste de ses arguments, elle savait qu’elle accepterait avec joie.

Elle ramassa sa dague alors que Lukan lui posait enfin sa question, sans l’habiller des formules fleuries propres aux grands discours, avant de se rapprocher. Elle rangea l’arme, indiquant ainsi qu’elle cessait les hostilités. Puis elle posa ses mains sur le dossier du sofa, plongeant son regard dans celui de l’ancien conseiller.Un grincement de porte. Prudence ne sursauta même pas, se doutant plus ou moins que son ami et intendant espionnait la conversation au cas où elle se retrouvait en danger, et qu’il avait décidé d’ajouter son grain de sel. Il était en droit de refuser de la suivre dans cette affaire ; elle ne lui en voudrait absolument pas. Elle releva la tête vers lui, haussant un sourcil.Anselme n’ajouta rien, mais elle sentait ce qu’il ne disait pas, ce que seuls ses yeux exprimaient. Elle aurait pu décider de laisser mourir son amie pour sa liberté. En plusieurs années, elle aurait pu changer d’avis devant les barreaux restreints de sa cage. Mais elle s’était acharnée à la protéger, trop loyale pour la trahir au détriment de sa propre vie. Alors ils lui rendaient cette même loyauté.Prudence préféra passer à l’Ander pour cette dernière phrase. Depuis combien de temps n’avait-elle pas cherché le sous-entendu ainsi avec Anselme ? Une éternité, lui semblait-il. D’ailleurs, son ami la fixa, l’air éberlué, avant d’éclater d’un rire tonitruant et d’acquiescer, refermant la porte derrière lui. Elle offrit de nouveau son attention au Hérault, glissant une de ses mains sous son menton pour soutenir sa tête alors qu’elle l’observait. S’il n’y avait pas eu Tea… Sans doute son oncle aurait-il estimé qu’il n’avait pas de quoi la faire plier et aurait tenté de la tuer ; sans Anselme, elle n’aurait eu personne pour la protéger d’Arnulf. Elle n’aurait peut-être même pas survécu aux Anderfels, après tout. En parlant de son époux, d’ailleurs, si Lukan devenait un allié, elle ne devait pas le laisser dans l’ignorance de ses autres motivations. Elle ne se faisait pas d’illusions ; elle pourrait faire une erreur en assassinant son oncle, mais elle s’assurerait que ses activités illicites ne soient pas découvertes si une enquête était menée.  

Prudence eut un sourire en coin alors que Lukan s’énervait contre son oncle. Pour un peu, elle aurait ri de sa colère légitime à l’encontre d’un traître de la cité, mais elle rêvait de le tuer depuis si longtemps qu’elle s’inquiétait presque qu’il interfère dans ses plans. Heureusement, il ne s’engagea pas sur cette voie, avouant qu’il la laisserait mener sa vengeance comme elle le souhaitait. Elle inclina la tête pour le remercier, se resservant un verre de vin au passage.

Elle cligna des yeux, surprise, quand les dernières gouttes tombèrent avant que son verre soit rempli.

Une moue rapide traversa son visage alors qu’elle avalait une gorgée, maussade, arrivant bien trop vite à la fin de son verre. Pour une fois qu’elle avait une bonne occasion de boire, voilà que son invité avait sifflé la bouteille à lui tout seul. Elle ne l’avait même pas vu se resservir et son verre était encore quasiment plein.

Au moment même où l’idée lui traversa l’esprit, elle fut aussi tentante que dangereuse. Le Hérault pourrait mal le prendre et cela compliquerait sans doute leur relation pendant quelque temps, mais son amour du jeu et du danger la titillait. Elle fit tourner son verre entre ses doigts, songeuse, alors qu’elle répondait à son désormais allié.

À vrai dire, ce n’était pas qu’elle serait contre un peu d’aide, sans doute son oncle ne s’y attendrait pas. Mais la ville avait besoin de son Hérault, mieux valait qu’elle n’attirât pas plus l’attention de ce salopard sur lui. Elle avait besoin de lui pour protéger la cité, elle se passerait donc de son aide pour tuer Carl Paroach. Lukan ne finirait pas comme ses parents si elle pouvait l’en empêcher.C’était aussi pour cela qu’elle voulait soigneusement choisir ses serviteurs. Elle préférerait éviter qu’ils aient une famille sur laquelle Carl pourrait faire pression pour les pousser à allumer la flamme qui mettrait fin au manoir. Déjà qu’elle ne dormait que d’un œil de peur de se réveiller dans un brasier…

Un frisson la secoua et sa main trembla légèrement alors qu’elle reposait son verre sur la table. Elle n’aimerait vraiment pas que son camarade de fortune terminât ainsi, elle avait un trop grand respect pour lui. Il était encore en vie malgré son opposition à la plupart des nobles de la cité, ce qui n’était pas rien, il lui avait proposé plus qu’une vengeance comme but de vie, il lui avait montré plus de respect qu’elle ne s’y attendait.

Elle avait vraiment besoin de plus de vin.

Prudence arbora un léger sourire alors qu’elle se rapprochait du Hérault au verre encore bien rempli. Elle se pencha au-dessus de lui, rapprochant son visage de son oreille comme pour lui faire une confidence et posant une main sur son épaule, à la fois pour se retenir et pour l’empêcher de bouger. Le tissu de sa veste était doux sous ses doigts et elle songea soudain qu’il ne l’effrayait pas même une seule seconde. Elle n’était même pas certaine de se méfier encore vraiment de lui. Elle… Peut-être même lui faisait-elle plus confiance qu’elle ne l’avouerait.

Il était le premier à Starkhaven à avoir eu le droit à un aperçu assez conséquent de ce qui se cachait derrière son masque. Peut-être même devait-elle bien avouer qu’il la voyait aujourd’hui sans filtre, sans aucune retenue, parce qu’elle n’avait de toute façon guère de choses à lui cacher à partir du moment où ils travaillaient ensemble.

Comme il l’avait si bien dit, elle choisissait ses alliés.Les doigts de sa main gauche se glissèrent sous les doigts du Hérault et s’enroulèrent autour du pied du verre pour s’en saisir. Elle le lui retira avec un sourire mutin avant de s’éloigner, buvant une gorgée en retenant le rire qui lui chatouillait la gorge. Voilà bien longtemps qu’elle ne s’était pas tant amusée ; elle espérait simplement que l’homme ne le prendrait pas trop mal.De toute façon, eut-il été soûl qu’elle aurait demandé à Anselme de le raccompagner, ou l’aurait-elle obligé à rester ; elle n’aurait sans doute pas pu l’accompagner elle-même pour éviter les ragots, quand bien même l’aurait-elle voulu. Les rues n’étaient pas sûres pour qui était ivre, encore moins lorsqu’on parlait du Hérault en personne.

Prudence éclata d’un rire sincère en voyant son invité sortir une flasque de sa veste sans plus se soucier des convenances. Lukan lui plaisait bien. D’autres auraient continué les flagorneries en espérant la garder dans de bonnes dispositions à leur égard, mais l’ancien conseiller semblait l’avoir déjà bien cerné. Soit il se doutait que cela ne servirait à rien avec elle, soit il n’en avait de toute façon cure.

L’odeur de la boisson lui parvint cependant. Forte, entêtante. Quand avait-elle mangé, déjà ? Rien qu’à respirer, elle avait l’impression d’en boire et clairement, l’alcool de son futur collègue risquait de l’achever, sans nourriture dans le ventre et avec ses habitudes perdues. Elle était une bonne buveuse, autrefois, mais elle ne saurait plus dire aujourd’hui. Elle veillait toujours à ne pas s’alcooliser à outrance pour garder les idées claires et la main agile pour repousser son époux.

Elle préféra cependant ne pas laisser ses pensées amères assombrir l’atmosphère.Elle reprit une gorgée de vin, s’en délectant alors que l’homme lui tendait la flasque. Elle le refusa d’un geste de la main, levant son verre avec un sourire plus amusée qu’elle ne l’aurait dû. Il y avait cette satisfaction de lui avoir volé son verre qui ne voulait pas disparaître, comme un chat jouant avec une adorable souris. Même si l’adorable souris en question était tout aussi dangereuse que le chat, mais de manière un peu différente.Si Prudence avait parlé sur le ton de la plaisanterie, elle fronça cependant les sourcils en se rappelant que le Hérault devait avoir ses propres ennemis. Il ne serait pas définitivement sage de le laisser repartir s’il était grisé par l’alcool, surtout un aussi fort. Tant pis pour les rumeurs qui circulerait peut-être, elle ne le laisserait pas repartir si elle le soupçonnait d’être trop alcoolisé pour cela ou tout du moins, pas seul.Elle en serait même presque déçue. Elle détesterait perdre aussi vite un futur collègue qu’elle appréciait un temps soit peu parce qu’elle avait plus craint les ragots que pour sa vie. Elle ne pourrait pas y faire grand-chose s’il décédait dans l’exercice de ses fonctions, mais la protection de la cité passait aussi par la protection de son Hérault.Elle ricana, avant d’être tentée de lui piquer sa flasque à son tour, par jeu. L’alcool lui était-il déjà monté à la tête ou s’était-elle retenue trop d’années de s’amuser ? Peut-être un mélange des deux. Elle voulait voir jusqu’où elle pouvait pousser la provocation, jusqu’où elle pouvait le taquiner avant qu’il ne se fâche ou ne recule. Et au moins, si elle réussissait, elle n’aurait pas à se soucier de savoir s’il serait assez sobre ou pas pour rentrer.Elle se glissa derrière lui, passant les bras autour de son cou sans aucune gêne, avec un petit sourire en coin qu’elle n’arrivait pas à retenir. S’attend-t-il encore à ce qu’elle lui vole son alcool ou a-t-il baissé sa garde ? Un frisson d’excitation la parcourt. Par Andrasté, elle a envie de rire, de danser, de vivre, après tant d’années à mourir à petit feu.

Elle s’excusera plus tard, peut-être, de s’être amusée à ses dépends.

Ses mains se tendent soudain et récupèrent la flasque vivement, alors qu’elle se recule en tournoyant sur elle-même. Il y a une sensation de liberté qui danse dans son cœur, alors qu’elle l’agite doucement dans les airs.