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Mar 9 Fév 2021 - 17:19

Ashleigh
Ashleigh

 

Messages : 394

Elle est belle, Val Royeaux




Frimaire 9:41 du Dragon
Feat. Sarie Vaharel
pas encore défini - ■


Je n’en revenais simplement pas.

Terré au comptoir des Ailes Fourchues, je dévisageai, incrédule, ce brave Gull avec ses informations précieuses. Sourire aux lèvres, il semblait savourer comme une victoire sur moi de savoir quelque chose que je ne savais pas. Gull .. toujours à s’amuser dans les pires moments.

Un elfe m’a transmis le mot dernièrement, H. La nouvelle est fraîche d’une semaine.
Une semaine ?!

Mon regard s’agrandit encore. Comment en n’avais-je pas eu vent, alors que les événements mentionnés s’étaient déroulés il y a UNE SEMAINE ? Sept jours de silence. Sept jours avaient passés depuis, sans que la moindre rumeur ne me parvienne.

Gull lança une tape sur mon épaule, comme pour me rassurer, ou me raffermir.

Triste vérité gamin, mais les cas de ce genre sont légions. Et si tu n’en as pas entendu parler, c’est sûrement car honnêtement : qui ça intéresse, la vie misérable des elfes ? Les nobles ?

Son sourire sarcastique ne me calmait en rien. Je bouillonnais de l’intérieur, désormais. Comment. Était-ce. Possible. De vivre dans un tel monde de merde.

Allons, je connais ce regard. Aussi vais-je rajouter un complément, ce qui fait que cette histoire, contrairement aux autres, sort de l’ordinaire.

Il s’approcha alors de moi, murmurant comme pour révéler le plus sombres des secrets.

Cette fois-ci, ils ont des témoins humains, qui se sont indignés. Le scandale a éclaté, mais il lui manque .. une voix. Une plume.

Constatant la flamme qu’il venait d’allumer dans mon regard, Gull élargit son sourire davantage. Oh oui, il me connaissait si bien, le vioc.

Il fallait quelqu’un pour écrire sur ces faits nauséabonds. Il fallait quelqu’un pour porter leurs voix, sans pour autant prétendre savoir mieux qu’eux, comprendre leur quotidien, leur vie. Mes sourcils se froncèrent un instant, me laissant indéniablement pensif.

Ce brave Gull attrapa mon épaule avec autant de fermeté que de douceur, comme un père qui ramenait son fils sur terre.

Eh gamin, fais ce que tu sais faire de mieux. Tu as le talent et tu as la haine, les mots viendront d’eux-mêmes. Maintenant tu devrais filer.

Je posai sur lui un regard déterminé, avant de hocher silencieusement de la tête. Puis, dans un geste vif, je terminai mon whisky d’une traite, avant de me lever.

Merci Gull.
Fais gaffe à toi gamin, hein.

La nuit était jeune, ce soir.

Sur un pas décidé, je me hâtai de trouver la Chope Ardente. Il me fallut cependant un certain temps de marche, interminable, avant d’atteindre l’établissement. Poussant la porte dans un mouvement sec, provoquant quelques sursauts involontaires au passage, je cherchais Maisha du regard. Celle-ci servant quelques chopes à une table, me fixait avec surprise quelques instants, avant de se reprendre.

Eh bien eh bien, pressé aujourd’hui !

Sans réellement réfléchir davantage, je m’approchai assez rapidement d’elle, au point qu’elle frôle l’inquiétude à mon égard. Et elle avait sans doute raison.

Oh eh, tout va bien, Fab ?
J’ai besoin de ton aide, c’est la merde.

Terminant son travail, elle cala le plateau en bois sous son bras, m’attrapant le poignet pour m’entraîner derrière le comptoir, avant de s’asseoir dessus. Croisant des bras, elle me toisa de la tête aux pieds.

T’as pas l’air blessé pourtant ..
C’est pas le sujet, Maisha. T’as entendu les rumeurs ?!

La naine fronça ses épais sourcils, pensive, plissant légèrement du nez. Puis, hésitante, elle croisa une fois de plus mes yeux en état d’alerte.

Dépend desquelles. Tu sais, il y a pleins de rumeurs en ce moment—
C’est pas n’importe quelle rumeur.
Oh eh, eeeeh, redescends un coup tu vas nous faire une crise cardiaque.

Ses mains empoignaient toutes deux fermement mes épaules, comme pour me faire retrouver ma contenance. Puis, voyant que j’allais reprendre la parole, la naine attrapa ma bouche pour me faire taire.

Nan. Là maintenant, tu respires. Ensuite tu parles.

Grommelant contre ses doigts, je finis par soupirer, avant de fermer les yeux et de focaliser sur mon propre souffle. Après quelques longues secondes, Maisha me lâche la bouche pour saisir une fois de plus mon épaule.

Bah voilààààà .. ~

Puis, marquant une petite pause, reprit la conversation sur un ton calme.

Du coup : qu’est-ce qui se passe ?
Des elfes .. tués par des berruriers.
Ah. Cette rumeur-là.

La tenancière se balança en arrière pour s’appuyer sur ses mains, me lâchant au passage. Je me redressai un peu mieux, avant de me tourner pour m’asseoir à côté d’elle.

Gull m’a transmis l’information il y a moins d’une heure. Et ça fait deux semaines. Pourquoi personne n’en parle ?
Tu poses vraiment la question ?

Si je m’attendais à un rire, je n’en eus aucun, cette fois. Maisha fixait ses pieds, le regard froid. La voir ainsi me troublait, il fallait dire.

Les humains se fichent du reste du monde, surtout des elfes. On le sait avec l’Histoire d’Orlaïs, et ce genre d’incidents n’est pas prêt d’être le dernier.
On devrait pouvoir faire quelque chose cette fois, non ? Il y a des témoins humains apparemment ..

Un rire franchit cette fois-ci ses lèvres. Puis, elle posa ce regard, si indescriptible, sur moi, un sourire tout autant énigmatique aux lèvres.

Tes tripes te disent d’agir. Ta plume est indignée.

Maisha pivota pour me faire face, le sourire élargi. Puis, constatant la confusion sur mon propre visage, elle éclata d’un rire franc.

Allons, ne va pas me dire que tu ne vois pas où je veux en venir ! Tu attends ce moment depuis toute ta vie, non ? De défendre une cause, de te battre avec ta réelle arme : ta plume.

Ma seule réponse ne fut qu’un silence surpris. Dans le fond, je savais qu’elle avait raison. Mes tripes me disaient d’écrire, de faire porter ma voix sur cette atrocité sans nom. Ricanant toujours encore un peu, une étincelle de détermination dans l’œil, la naine poursuivit.

Tu n’as pas besoin de moi pour écrire, Fabien. Que veux-tu que je te dise ? Fonce !

Puis, comme pour m’interrompre, elle posa un doigt contre mon front, ce qui me figea aussitôt.

Par contre ! Par contre .. N’embellis rien. Ne cache rien. Si tu dois parler de tête qui roule, parle de tête qui roule. Si tu dois parler de viol, d’injustice, de meurtres, parles-en tels qu’ils sont. Tu dois choquer ton auditoire, tu vois ? Et tu ne choqueras pas avec des fioritures ou de la demi-mesure.

Je hochai silencieusement de la tête, comme pour confirmer que j’avais bel et bien enregistré l’information. Maisha poursuivit, sur son air de mentor improvisée.

Et surtout, ne fais pas l’erreur de t’approprier leur histoire. Tu ne sais pas. Tu ne vis pas leur vie, d’accord ?

Elle avait raison. Je ne connaissais pas leur histoire, leur quotidien. Je hochai une fois de plus de la tête. La tenancière poursuivit.

Renseigne-toi sur les événements, renseigne-toi sur leur quotidien, leurs peurs, leur colère. Ne te l’approprie pas, raconte-la comme on te la raconte. Ne fais pas l’erreur de parler en leur nom, ils ne vont pas aimer.
Je vois .. merci.
Maintenant, repose-toi un peu avant de foncer. Je te connais, entêté que tu es ! Mais surtout, n’hésite pas à repasser ici. Tu sais que t’es le bienvenu ici, Fabou !

Je lui souris alors, plus ferme dans mes positions. Elle avait raison : même s’il était urgent de réagir, il me fallait prendre le temps. Me reposer, mais surtout me renseigner. La nouvelle était encore toute fraîche à mes oreilles, et j’avais tant à apprendre. Pas que je ne connaissais pas leur condition inégale, mais je me devais, en tant que porte-parole bancal, d’être au plus proche de leur réalité pour rapporter leur histoire.

Ce fut sur un pas hésitant que je quittai la Chope Ardente.

La pluie battait les pavés à présent, avant de battre mon crâne. Pensif, je déambulais dans les rues, dans les ruelles. Il faisait noir ; seules quelques farouches lanternes éclairaient encore la ville.

Je regagnai dans cet état mon quartier, si on pouvait appeler ça un quartier .. Un bidonville serait un terme plus approprié, tant il était crade. Beaucoup de démunis vivaient dans ces rues à la limite de l’improvisation. Montant de vieux escaliers rongés par la pluie et par la mousse, je poussai la lourde porte de l’épaule, comme toujours. Il fallait toujours faire davantage d’effort pour qu’elle s’ouvre, tant elle râpait et grinçait.

Mon antre. Cet endroit crasseux et poussiéreux, où poussait de l’elfidée dans le sol et dans les murs. Oui, je vivais ici, et ce manque évident de confort ne me dérangeait pas. Je passais en revue les feuilles que je laissais sécher dans un coin, en attrapai deux-trois avant de regagner cette vieille chaise et ce vieux bureau.

Machinalement, j’alignai certaines feuilles, en écrasai d’autres, avant de replier les feuilles les unes sur les autres, de les enrouler, de les tordre. Une fois suffisamment serrée, je la déposai dans une boîte non loin. Je tapotai mes mains pour me débarrasser un peu de cette fine poudre engendrée par les feuilles séchées, avant de me relever.

Il faudrait dormir. Dormir dans un tel contexte.

Allongé contre mon vieux matelas de paille – le point culminant du confort sur cette terre, bien entendu –, je fixais ce plafond partiellement troué. La lune était absente, ce soir, comme ma fatigue. Mon regard lourd errait contre les vieilles poutres, et, comme toujours, je ne me souvenais pas du moment où je m’effondrai enfin d’épuisement.

Je me réveillai bien après l’aube, encore plus fatigué que la veille. Je grognai en me levant, attrapant un roulé et cherchant mon briquet. Merde, il devait être dans la poche de ma veste, dans la pièce d’à côté.

Traversant la salle en me levant avec une peine atroce, je farfouillai mes poches distraitement, avant de trouver mon fameux matériel à feu. Le pas tordu, le roulé au bec, j’allumai après quelques tentatives ma petite douceur matinale, avant d’en tirer une bonne latte. Puis je m’assis, pensif.

Je passai le reste de ma journée à m’aventurer dans le bas-cloître de la ville. Carnet et graphite en main, je me prêtai au jeu que j’exerçais auprès des mages d’ordinaire, mais cette fois-ci avec les elfes du bas quartier.

Il me fallut bien des tentatives avant d’obtenir une réelle conversation, cela dit, ce qui ne me surprenait pas vraiment. Un humain qui s’incrustait chez eux pour prendre des notes sur leur misère, il y avait de quoi hausser quelques sourcils. Mais après plusieurs tentatives, après plusieurs journées à essayer, les langues se déliaient progressivement. Un vieillard qui parlait de la mort de son fils à cause d’un humain ivrogne qui avait bu la bouteille de trop. Un jeune homme qui me parlait de son neveu à moitié humain, quel impact cette agression avait eu sur sa pauvre sœur. Des morts. Des humiliations. Des viols, autant des adultes que des enfants. Des coups. Des séparations de familles. Des hommes et des femmes, condamnés à travailler pour des nobles parce qu’ils avaient besoin d’esclaves, camouflés dans le terme « servants », et qui ne revenaient jamais.

Ces quelques témoignages me donnèrent froid dans le dos, mais j’écrivis. J’écrivis tout ce qu’on me rapportait, les termes précis, leur état d’esprit. Gardant l’approche la plus scientifique et détachée que je pouvais, je ne changeai aucun terme, ne cachai aucune réaction, ou indignité. Tout avait son importance, et j’en étais désormais plus que conscient.

Ce fut la haine au bord des lèvres que je regagnai une fois de plus la Page Blanche. Etienne, soucieux de mes petites entreprises, m’accueillit un thé dans ses mains, le front plissé et le sourire pâle.

Par le Créateur, Fabien ! Quitte à errer comme un fantôme dans toute la ville de la sorte, tu pourrais au moins me faire part de tes préoccupations !

Le regard que je posai sur lui était un mélange étroitement contenu de fatigue et de colère. Il me connaissait bien, et savait qu’elle n’était pas dirigée contre lui. Il s’assit dans son siège, ne me quittant des yeux.

Tu as une touche, n’est-ce pas, mon ami ?

Soupirant, je m’assis à mon bureau de travail, me massant le front après avoir posé contre le mobilier mes affaires et mes prises de notes.

J’ai une touche effroyable, Etienne. Quelque chose de colossal que tout le monde préfère oublier.
Ah oui ?

Intrigué, il se leva une fois de plus de son siège, disparut, et revint vers moi avec une tasse chaude, emplie de thé, qu’il posa sur mon bureau. Je n’y prêtai pas attention directement, cherchant du nouveau papier sur lequel écrire.

Malgré tout, je pouvais sentir Etienne, une main appuyée contre ma table, l’autre contre le dos de ma chaise, parcourant des yeux mon carnet ouvert et brouillon.

Seigneur ..
Ce sont des témoignages d’elfes vivant dans le bas-cloître. Trois d’entre eux se sont fait tuer dernièrement par des futurs berruriers, pour qu’ils prouvent leur valeur ou une connerie du genre.
Les berruriers ? Sérieusement ?
Des individus honorables, seulement pour les humains.

Un silence parcourut la librairie. Silence qui dura quelques instants et que j’étais sur le point de briser, mais Etienne me prit cette fois-ci de court, pensif.

J’ai entendu parler de cette histoire, en réalité. Certains nobles en parlaient lors de dîners mondains. Cette histoire fait du bruit, mais ..
Et m’en parler t’a échappé ?

Je serrai des dents, le regard noir planté dans celui d’Etienne. Ce dernier semblait regretter sa prise de parole, et se tut. Je me pinçai l’arête du nez de fureur, mais éclater maintenant ne servirait à rien, ni à personne. Mon partenaire de plume s’assit à moitié contre mon bureau, sa tasse de thé tenue à deux mains.

Je commence à voir où cette histoire te mènera, et je ne sais pas si ..
Etienne. C’est l’occasion parfaite pour chambouler cette foutue ville et ses mentalités.
Mais—
C’EST NOTRE DEVOIR d’user de notre plume pour défendre les opprimés !

Je ne quittai pas mon matériel des yeux. Il n’était pas difficile de sentir ma rage dans mon timbre rugueux. Mais curieusement, la réaction d’Etienne ne fut pas de me laisser seul à ruminer le temps de me calmer ; il posa une main douce sur mon épaule, m’intriguant au point de lever la tête vers lui.

Ferions-nous vraiment une différence, Fabien ?

Son ton était si défaitiste, mais tristement si caractéristique de sa personne.

Etienne me suivait que lorsque j’étais le meneur de la danse. Etienne était plein de bonnes volontés, mais hélas, quel couard. Je ne lui en tenais pas rigueur : de nous deux, j’étais le tempétueux et l’indigné, qui cassait des bouches pour se faire entendre. Etienne cherchait encore sa place dans ce monde de l’écriture politisée.

Nous ferons une différence si nous y croyons, Etienne. Mais je ne te demanderai pas de me suivre sur ce terrain-là.

J’attrapai la tasse qu’il m’offrit un peu plus tôt avant de la porter à mes lèvres, de souffler brièvement dessus et de boire une timide gorgée de thé. Camomille avec une pointe de miel.

Il ne s’agira pas que d’écrire, vois-tu ? Je m’apprête à donner plus de voix à un mouvement qui bouillit, et qui explose. Il y aura des conflits, de la répression, la garde civile sur notre cul. Il ne s’agira pas simplement de faire une pièce choquante, il s’agira de porter une vérité que peu de gens admettront. Il s’agira de porter un combat, et de ne pas hésiter à prendre les armes pour défendre leur cause.

Etienne hocha de la tête en silence, laissant pendre un instant l’attente dans cette librairie. Il savoura son thé un instant, songeur, avant de faire part de ses craintes.

Tu mets ta vie en danger une fois de plus, n’est-ce pas ? Tu reviendras à la Page Blanche avec d’autres côtes cassées, d’autres bleus, d’autres cocards, d’autres ecchymoses ? Boitant, grognant d’inconfort, et frustré de ne pas pouvoir poursuivre tes entreprises à cause de tes blessures ?

Mes sourcils se froncèrent, tandis que mon regard navigua de ma boisson à mon interlocuteur. Quelque chose me disait qu’il accumulait du nonsense depuis quelques temps.

Oui ?
Quatre ans, Fabien. Cela fait quatre ans qu’au fil des semaines je te vois te dégrader à cause de tes combats. Tu disparais des mois entiers, pour revenir davantage détruit ici. Et pour quel but ? Et pour quelle cause ?

Je plissai des yeux, sans réellement comprendre ce qu’il essayait de me dire. Oui, je prenais des risques et parfois je douillais. Oui, ces combats parvenaient toujours à changer quelque chose en moi. Et alors ? Qu’est-ce que cela pouvait bien lui faire ?

Qu’est-ce que ça change à ta vie, Etienne ?
Ce que ça change ? Ce que ça CHANGE ?! Je m’inquiète, moi, sombre idiot !!

Mon regard s’agrandit d’une certaine surprise, mais malheureusement pour lui, mon premier réflexe fut de rire légèrement. Il s’inquiétait, le pauvre.

Je t’interdis de rire, Fabien !
Allons, allons, je ne t’interdis pas de t’inquiéter pour autant, alors laisse-moi.

Même moi je ne m’inquiétais pas pour ma personne. A vrai dire, attendant une fin depuis quelques temps déjà, je n’avais réellement pas de quoi m’inquiéter. Mais bon, comment expliquer ça à Etienne sans qu’il ne s’offusque et me fasse une tirade sur les beautés de la vie. Grommelant de plus belle, je reportai mon attention sur mes feuilles, avant de farfouiller dans un tiroir afin d’y trouver mon encrier et ma plume.

Comment peux-tu être autant indifférent ?
J’ai mes priorités. Les elfes de cette cité ont besoin d’aide. Et pour être honnête, s’ils me cassent une jambe, me brisent une côte, m’enferment en prison, qu’est-ce que ça peut me foutre, au juste ? Qu’est-ce que ça peut te foutre, à toi ? Rien te tombera dessus, tu sais.
D’accord, d’accord, j’ai compris ..

Etienne se décolla de mon bureau, agacé sûrement par mon attitude, et repartit vers son poste de travail. Je soufflai du nez, me massant les paupières d’une main, avant de me mettre au travail. Je n’avais pas une minute à perdre, de toute façon.

Les mots s’écoulèrent, ainsi que les feuilles froissées. Chaque jour, mes écrits de la veille me donnaient envie de tout incendier, mais malgré tout, je tins bon. Pas à pas, mot à mot, mon texte émergeait timidement. Et puis, à certaines occasions, mon indignement pleuvait sur mon papier, écoulant les pages et l’encre.

Il me fallut plusieurs jours de travail sans relâche pour avoir entre les mains un texte décent. Etienne ne m’avait pas dérangé plus que cela durant cette période temporelle, ce qui me faisait étrange. Mais bon, au moins il avait compris que j’avais besoin de calme et de paix, et non de reproches.

Et puis, je m’étais rendu sur une grande place de Val Royeaux, fréquentée par de nombreux nobles et bourgeois. J’allais me faire entendre, oh oui. Prenant de la hauteur, habillé simplement, mais surtout sans le moindre masque, me voilà à débuter mon discours. Si mon souffle s’était bloqué avant de prononcer la moindre syllabe, si ma voix prévoyait de trembler de peur et de nervosité, elle porta finalement assez bien mes propos. Et puis, comme sur les planches d’un théâtre, me voilà à déclamer mes mots, encore plus fort, toujours plus fort. Certains passants prêtèrent vaguement attention à mes paroles, mais j’avais espoir : ce n’était que le début. Demain, je reviendrais.

Je revins ainsi chaque jour sur cette grande place. Chaque jour, je déclamai les mêmes paroles, chaque jour, j’attirai davantage d’attention de la part de passants, mais aussi de poètes. Certaines plumes vinrent à moi, cherchant également à porter ce message. Nous nous mîmes ainsi à plusieurs, préparant chacun notre discours, et partant aux quatre coins de la ville.

Et aujourd’hui, me voilà une fois encore sur cette place.

Prenant encore de la hauteur, je me dressai, seul en face du monde, mes maigres feuilles en mains. J’inspirai une fois de plus, contemplant les passants, plus bas.

Elle est belle, Val Royeaux de bon matin. Elle sort des bras de Morphée grâce à son réveil fidèle, qui, une fois trop endommagé, se fera simplement remplacer. Il n’avait qu’à pas la réveiller trop tôt, ou trop tard.

Une certaine foule se rassemblait autour de moi, lentement, mais sûrement. Désormais, les réguliers de cet endroit en avaient l’habitude, mais prêtaient une certaine oreille attentive malgré tout. Les rumeurs couraient rapidement, par les rues : chacun racontait à sa sauce, et incitait les autres à venir voir le spectacle.

Elle est belle, Val Royeaux, ses parures sont sans pareil. Elle étincelle, elle qui s’est enrichi sur leur compte, elle qui leur a tout pris. Ils n’avaient qu’à pas être pauvres, ces jaloux.

Le timbre amer, il demeurait cependant encore calme : nous n’étions pas encore au pire, au climax de ce texte, après tout.

Elle est belle, Val Royeaux, dans son maquillage minutieux et travaillé. Elle a fait changer sa brosse à cheveux ce matin, la précédente n’arrêtait pas de pleurer. Comme c’était agaçant !

Certains murmures, ou grognements, parcouraient la petite foule. Mais une chose était claire : l’activité habituelle de cette place avait cessé, les regards tournés vers ma personne et mes mots.



Elle est belle, Val Royeaux, dans sa si majestueuse robe ! Elle fait mettre son étouffante et ample tenue par des moins que rien, incapable de se démerder toute seule. Et puis de toute façon, il faut bien qu’ils servent à quelque chose.

D’autres encore affluaient de toute part. Certains se murmuraient dans l’oreille, mais personne ne partait cette fois. Pas un cheveu ne bougeait.



Elle est belle, Val Royeaux, dans ses petites chaussures sophistiquées et construites par les mains ensanglantées de ces vauriens. Ses talons, élégants et d’une finesse remarquable, perforent leurs crânes sans hésiter, le pas fier et sûr de lui.

Ma voix gagna en ampleur.



Elle est belle, Val Royeaux, le sol tremble sous ses pas. Contre le pavé, on retrouve dans le sillage de ma Dame des cadavres qui n’ont pas de nom. Ils n’ont plus de nom, on le leur a pris, il y a bien longtemps. Elle est belle, Val Royeaux, malgré cette boue collante contre sa semelle. Et quelle odeur nauséabonde que celle de la mort ! Ils n’avaient qu’à pas se mettre sur son chemin !

Les indignités de la foule s’amplifièrent, tandis que d’autres cherchaient encore à comprendre de quoi je voulais bien parler.



Elle est belle, Val Royeaux, parfumée de leur sang et du sperme qu’on afflige à leurs femmes, à leurs filles. Elle se pavane, coquette. Elle se fiche des composants, il n’y a que ce si doux parfum qui importe pour elle. D’ailleurs, elle en redemanderait bien d’autres flacons.

Si quelques visages se crispèrent au choix cru de mes mots, je n’en tins pas rigueur, satisfait de l’effet engendré par ces derniers. Il fallait choquer, provoquer, marquer les esprits : c’était donc parfait.



Elle est belle, Val Royeaux, au cœur de ce bal. Elle danse à n’en plus finir, elle a l’attention de tous, elle est la lumière de cette soirée. Et pourtant, .. elle ignore une chose importante, très importante.

Je me penchai davantage vers la foule, toujours plus grande. Celle-ci me dévorait des yeux, attendant de savoir ce que Val Royeaux ignorait de si essentiel. Gesticulant des mains, je poursuivais sans réellement lire ; à force de redire ce texte encore et encore, je le connaissais par cœur.



Les outils brisés ne disparaissent pas. Les peignes ne s’arrêtent pas de pleurer. Elle aura beau les changer, encore et encore, elle ne les fera pas disparaître pour autant. Bien au contraire, voyez donc par vous-mêmes.

Les humains se regardaient entre eux, confus, tandis que certains elfes présents ne détournaient pas le regard. Je reconnaissais certains visages dans cette foule, des visages que j’avais rencontré dans ce bas-cloître.



Ils sont les murs, ils sont les portes, ils sont les clés. Ils sont les verres de champagne, les plateaux, les tables, les chaises. Les lustres, les chandeliers, les rideaux.

Autrement dit, ils sont les fondations de cette noblesse et de cette cité, s’ils le veulent, ils peuvent tout réduire en cendres, et ça, nous l’oublions toujours si rapidement.



Si la belle Val Royeaux ne leur a pas laissé d’autre vision du monde, désormais ils en ont assez. Ils en ont assez de subir, de souffrir, de mourir. De perdre leur père, leur mère, leur frère ou leur sœur, leur enfant, leur cousin ou leur cousine. Ils en ont assez d’avoir peur pour leur vie tous les jours à cause de ses travers – de nos travers.

Et je marquai une pause. Certains regards s’agrandissaient, certaines bouches pestaient, certains bras se croisaient. Si la foule humaine était indignée, elle était désormais silencieuse, ne comprenant pas comment elle pouvait être responsable, alors qu’elle n’avait jamais rien fait. Terrible erreur.



Ne sommes-nous pas finalement responsables, nous qui fermons les yeux ? Nous qui refusons de voir la vérité en face ? Nous le sommes. Nous le sommes tous.

Certaines inspirations choquées me parvinrent, mais la foule discutait à nouveau. Tous échangeaient, humains comme les rares elfes présents. Mais j’étais loin d’en avoir fini, oh non. Grondant de la voix, je la laissai désormais avoir davantage d’ampleur, de fermeté, voire de cruauté aussi.



Et je m’en branle de vos privilèges, précieuses ridicules. Je m’en branle de vos excuses, de vos demi-mesures. Des Orlésiens se meurent ce soir, comme tous les jours. Des Orlésiens perdent tous les jours leur voisin, leur ami, leur amour, et nous fermons les yeux. Nous nous disons que quelqu’un s’en chargera, ou qu’ils le méritent.

Désormais, la foule poussait des cris. La vérité faisait toujours mal, mais certains elfes approuvaient mes mots, avant d’être suivis dans cet élan par les auditeurs humains. Je gagnai davantage de puissance encore dans mes propos, surplombant la foule.



Elle est belle, Val Royeaux, qui se voile la face pour sa propre gloire ! Marchant sur les faibles et les opprimés pour rayonner dans tout l’empire ! Elle est si belle qu’elle me donne la gerbe ! Elle me donne envie de recracher mes tripes sur sa robe déjà sale, tant elle me dégoûte. Elle me donne envie de lui cracher au visage, pour ruiner son maquillage. Elle me donne envie de lui brûler les cheveux, pour m’amuser à la voir danser sincèrement pour une fois. Elle me donne envie de pisser sur elle, pour étouffer cette odeur nauséabonde.

Et les encouragements, les approbations continuèrent. La foule me suivait, entièrement ou seulement majoritairement, mais elle me suivait.



Elle est belle, Val Royeaux, ce soir, mes amis ! Elle est belle, regardez-la donc patauger dans toute cette merde, dans tous ces mensonges, ces traitrises, ces abandons ! Regardez-la donc maintenir sa dignité avec autant de sang sur les mains !

Oh oui, quelle grâce, quelle élégance. D’autres cris indignés s’ajoutèrent alors, répondant à mon affirmation. Certains criaient au scandale, d’autres laissaient leur colère s’exprimer.



Ô, comme je voudrais conserver ses larmes cristallines dans une fiole, pour l’offrir aux méritants. Comme je voudrais lui tendre un miroir, un si beau miroir, pour qu’elle puisse contempler sa misère. Pleurer davantage encore. Se sentir humiliée, abandonnée, salie. Nous devrions tous nous sentir humiliés, abandonnés, salis.

Et tristement, la foule ainsi rassemblée était d’accord avec moi. Elle aussi se sentait de la sorte, à cause des événements récents.



J’ai honte d’être son citoyen. J’ai honte de me réveiller le matin dans un tel bordel. J’ai honte d’arpenter les rues et de croiser leurs regards, leurs peurs, leurs dégoûts. J’ai honte, quand je réalise que je suis là, dehors, devant vous, à proclamer ces mots qui sont pourtant connus de tous et évidents. J’ai honte de réaliser que comme vous tous, je me voilais la face, que comme vous tous j’attendais que quelqu’un réagisse, que quelqu’un leur vienne en aide. J’ai honte, et je sais que m’excuser ne changera pas la donne. C’est pourquoi j’ai décidé que moi aussi, j’en ai assez.

Toujours plus de monde arrivait, mais pas que des sympathisants. La garde civile, en arrière-plan, avait appelé quelques renforts. Super. Mais malgré tout, je tins bon, poursuivant mes cascades de paroles et de sons.



J’en ai assez que chaque jour, des femmes soient violées, tuées, ou les deux. J’en ai assez que des enfants toujours plus jeunes se retrouvent orphelins. J’en ai assez que des familles soient séparées car un humain prétentieux en a décidé ainsi. J’en ai assez de voir tant d’elfes exploités, battus, humiliés, et tués comme si leur vie valait moins que la nôtre.

Je marquai une pause, soupirant. Qu’il était difficile de garder son calme, quand l’on voyait pointer le danger au loin. Mais je devais tenir bon, pour eux.

Mais non, il faut toujours maintenir le cap de la grandeur excessive. Pourquoi changer, alors que tout va bien pour nous ? Après tout, nos familles ne sont pas menacées jour après jour, simplement pour avoir le malheur d’exister !

Les gardes commençaient à s’approcher de la foule.

Trop tard, messieurs-dames. Nous avons eu notre temps pour changer les choses, mais il est bien trop tard.

Je pointai du doigt alors dans leur direction, et certains spectateurs se tournèrent brusquement pour observer. Je me devais de les remercier, pour ce sens du timing. Mais attention : ils étaient armés, et face à des civils. Les choses allaient de toute façon mal tourner.

Ils ont la rage, ils ont la haine. Ils vont brûler, saccager, tuer. Vous trouverez cela scandaleux, et pourtant, n’était-ce pas ce que vous faisiez depuis le début ? « Vous », oui, car j’ai décidé que j’en avais marre de ne rien faire, et de rester à vos côtés. Je me fiche de savoir si mes mots les intéressent, et je me fiche d’apprendre la mort de votre proche également. Je me fiche de vos plaintes de précieuses bouleversées, je veux agir.

Certaines tensions montaient, alors que des ordres commençaient à fuser dans les rangs. M’attraper à tout prix. Super. Heureusement que j’avais Modeste avec moi, à la ceinture.

Je rétorquerai s’il faut rétorquer, je clamerai haut et fort s’il faut clamer, et je tuerai s’il faut tuer !

Mais les confrontations éclatèrent. La foule cherchait à me défendre, à ne pas se laisser faire. Alors, les gardes s’emparaient de leurs hallebardes à deux mains. Des cris retentirent. Je me tus. Je dégainai mon épée, tandis que certains gardes perçaient à travers ce rassemblement. Les choses tournaient mal.

Des cris, une foule disparate qui ne savait plus où se mettre, des bousculades. Les gardes attaquaient, certains auditeurs répliquaient. Je m’élançai de ma hauteur pour atterrir sur un des gardes, la lame plantée dans sa gorge. L’heure de converser et d’avertir était terminée : il fallait désormais agir.

Mer 10 Fév 2021 - 17:13

Sarie Vaharel
Sarie Vaharel

– Garde des Ombres –

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Avant de rejoindre Férelden et d’œuvrer à la reconstruction de la Garde des Ombres, Chandelles souhaitait faire un crochet par Orlaïs. Il n’expliquait pas pourquoi, caché derrière un masque mystérieux d’homme gardant jalousement ses secrets. A chaque fois qu’il était question de gagner Orlaïs, Chandelles agissait de la sorte. Il n’exprimait pas ses raisons. A croire que le pourquoi du comment n’existait pas. Il se comportait déjà de la sorte l’an passé, lorsque leur petit groupe abandonnait le Névarra pour gagner le vaste empire. En tant que Garde-Recruteur itinérant, il ne possédait aucune attache envers une quelconque garnison, et il errait ainsi, d’un pays à l’autre au gré de ses envies. Il entretenait un flou concernant ses intentions, comme si cette information s’avérait trop précieuse pour la partager.

Chandelles gardait mal ses secrets. Saule, plutôt.

Un jour, Sarie saurait l’appeler par son prénom. S’il parvenait à s’en souvenir assez longtemps pour se faire. Il avait un mal fou à retenir les prénoms des personnes qu’il fréquentait, à part quelques cas particuliers. Des mois passés loin de Chandelles et de la Garde n’arrangeaient pas les choses.

Les dernières semaines précédant ses retrouvailles avec Chandelles lui paraissaient floues, plus obscures encore qu’une nuit sans lune. Seule la folie demeurait ancrée dans ses souvenirs, la seule valeur sûre dont il ne doutait pas. Et la chanson. Des petites notes entêtantes qui l’obsédaient, et qu’il fredonnait parfois sans s’en rendre compte. Le nez plongé sur ses traités magiques, il chantonnait parfois, sans remarquer les regards inquiets d’Arendel qui n’osait le déranger lorsqu’il étudiait. Cette maudite chanson l’avait hanté pendant des mois durant, peut-être même toute une année – il avait perdu la notion du temps. En l’espace de quelques semaines, tout s’était enchaîné, enchevêtré, inlassablement, fatalement. Il avait perdu pied.

Encore aujourd’hui, ses pensées demeuraient un imbroglio sans queue ni tête. Reprendre pied dans la réalité s’avérait plus délicat qu’il ne l’aurait pensé de prime abord. Arendel restait bien à ses côtés, prêt à le soutenir – cet idiot avait même rejoint la Garde des Ombres pour ne pas le quitter – mais cela ne suffisait pas. S’il fermait les yeux, la chanson ressurgissait dans un coin de sa tête, telle une compagne éternelle. Il savait pourtant qu’il ne l’entendait plus. L’Appel ne le guettait plus, et n’avait même jamais retenti. Chandelles lui avait tout expliqué quand il lui était tombé sur l’oignon, quelques semaines plus tôt. Une engeance millénaire avait cru bon de s’amuser avec la faiblesse de la Garde, accompagnée de quelques mages du sang tévintides – les Venatori.

La magie du sang. Encore elle. Sarie n’en gardait pas de bons souvenirs. Son séjour prolongé en Tévinter demeurait marqué au fer blanc dans son esprit et dans sa chair. Les mois s’écoulaient depuis sa fuite, mais il n’oubliait rien. Les années vécues dans cet Empire de malheur avaient dissuadé tout son être, jusqu’à la plus infime petite parcelle de lui, de recourir un jour à cette abomination appelée « magie du sang ». Qu’importât le résultat escompté, cela n’en valait jamais la peine. Un problème surgissait toujours pour contrebalancer les soi-disant effets positifs attendus. Le prix à payer était bien trop faramineux pour en retirer un quelconque bénéfice, mais les tévintides s’échinaient encore à poursuivre sur cette voie de l’autodestruction. Et ils comptaient bien entraîner le reste de Thédas dans leur sillage.

L’Inébranlable le prouvait. Sans l’intervention de l’Inquisition, la Garde des Ombres aurait signé sa dernière heure. Weisshaupt trônait certes encore dans le nord, intouchée par cette tragédie, mais quel pouvoir lui serait-il resté si l’Inébranlable s’était poursuivi ? Il ne restait plus que des miettes de confiance accordées aux garnisons du sud. D’ordinaire, Chandelles ne cachait pas son statut dans les bourgades qu’il traversait au fil de ses pérégrinations. A présent, il faisait profil bas, jouait les mercenaires itinérants. Les réactions de la populace ne répondaient guère souvent aux critères de la bienveillance ou de l’accueil chaleureux quand la Garde des Ombres s’invitait dans une conversation, même à titre anodin.

Sarie l’imitait, à double titre. Il ne criait pas sur les toits son appartenance à la Garde des Ombres – ce pourquoi il n’en portait pas l’armure, pour plus de discrétions – et il cachait aussi sa nature de mage. Entre la précédente guerre qui opposait mages et Templiers, puis le sort réservé aux mages Garde des Ombres, il lui paraissait crucial de jouer les innocents. Il remerciait sa prévoyance qui avait grimé son bâton en une lance ; pas de joyau luminescent, pas de décorations mystiques pour attirer les regards. La simplicité l’aidait sur ce coup-ci. Entre ça et sa discrétion habituelle, il esquivait les regards malintentionnés et se faufilait à travers la foule sans se faire remarquer.

Néanmoins, les tensions qui gravitaient autour de leur ordre n’empêchaient guère Chandelles de poursuivre son but. En dépit du danger et de l’incertitude, il mettait le cap sur Orlaïs sans se soucier du reste. Il ne s’expliquait pas et restait auréolé de mystère. Ou presque. Sarie n’était ni stupide, ni aveugle. Après plusieurs années à voyager auprès de Chandelles, il avait bien compris ce qui le motivait à faire des crochets par Orlaïs. Ou pourquoi était-il autant attaché à son itinérance de Garde-Recruteur.

Chandelles rendait visite à sa famille. La vie de Garde des Ombres n’était guère clémente, mais il avait fondé une famille. Ses parents vivaient au Névarra, et sa femme et sa fille vivaient en Orlaïs, auparavant à Halamshiral avant de gagner la capitale, Val Royeaux. Même s’il dédiait son existence à l’extermination des engeances, qu’il savait désormais ses jours comptés, rien de tout cela ne l’empêchait de prendre soin des siens. Année après année, il leur rendait visite, et essayait même de ne pas manger les anniversaires de sa fille. Chose délicate, mais il s’assurait de se rattraper si par malheur il ne pouvait être présent.

Chandelles ne souhaitait pas que le reste de la Garde découvrît ce côté plus sentimental de sa personne, lui qui se composait une apparence stricte et froide. Il ne voulait pas dévoiler ses traits d’ours mal léché au grand cœur. Une tentative bien vaine face à Sarie qui voyageait en sa compagnie depuis presque deux ans. Même si les évènements les avaient séparés plusieurs mois durant, il n’oubliait pas que Chandelles avait traversé une partie de Thédas pour le retrouver et ne lui avait pas tenu rigueur de sa « désertion ». Le Garde-Recruteur tenait à ses proches, même s’il tendait à le cacher.

Ils formaient un petit groupe soudé, certes différent de leurs débuts. Arendel les avait rejoints en cours de route, mais Chandelles n’avait pas protesté. Il l’avait même remercié d’avoir veillé sur Sarie alors que le faux Appel résonnait dans toutes les têtes des Gardes des Ombres du sud de Thédas.

Sans Arendel, voilà longtemps que le mage aurait perdu pied au point de ne jamais se relever.

Sarie retint un soupir à ce rappel funeste. Même s’il tâchait d’avancer, il n’oubliait pas les récents évènements, aussi tragiques fussent-ils. Parfois, il se demandait si Fen’Harel ne guidait pas ses pas, tant les désastres pavaient sa route. Il ne croyait pas à une quelconque destinée, mais l’idée lui traversait l’esprit de temps à autres ; volatile, incertaine. Puis il chassait ses pensées pour se consacrer à des choses utiles au lieu de ressasser un passé gravé dans le marbre. Il ne se laisserait pas tenter par les sirènes des démons qui essayaient de l’aguicher dans ses rêves, lorsque ses pas le conduisaient dans les immensités de l’Immatériel. Il ne cèderait pas face à la magie du sang.

Cette fois-ci, un soupir las s’échappa d’entre ses lèvres. Ses mains frottèrent ses yeux, massèrent un instant ses tempes pour qu’il se reconcentrât. Il n’était pas là en touriste cherchant à se prélasser en terrasse. Rien que ses oreilles l’empêchaient d’aspirer à un tel loisir, encore moins à Val Royeaux. Joyau de l’Empire orlésien, la capitale se parait de nombreux atours qui n’étaient en vérité que des cache-misères. Toute la lumière se focalisait sur les beaux quartiers, où se pavanaient les nobles et autres bourgeois, dans l’espoir d’effacer l’attention des endroits malfamés, à commencer par le bas-cloître. Personne ne s’intéressait à ce lieu lugubre, où les humains entassaient les elfes entre eux et leur interdisaient presque toute sortie. A cause de leurs oreilles trop longues, ils étaient condamnés à servir de mobilier et de décors pour les aristocrates de la ville. Ils ne vivaient que pour servir.

Sarie arrangea sa chevelure, qu’il laissait lâche en ce jour – même s’il gardait un lacet dans une poche pour la nouer en cas de besoin. Les mèches de jais tombaient en cascade sur ses épaules et cachaient en partie ses oreilles. Ses vêtements amples flouaient sa silhouette, un effet accru par son visage fin. Pour l’instant, il se glissait dans la peau d’une femme pour duper la foule. Même si ses vallaslins permettaient de le reconnaître, adopter un rôle étouffait les pistes, un avantage crucial pour un agent de Felassan tel que lui. Ce n’était pas pour le plaisir qu’il se rendait à Val Royeaux, même si Chandelles se trouvait dans la campagne voisine.

Depuis plusieurs jours, il arpentait les rues de la capitale. Il glanait des informations de ci, de là, en quête de détails qui aiguilleraient son intuition. Arendel ne l’accompagnait pas cette fois-ci – deux dalatiens à Val Royeaux manquaient de discrétion – mais les Felassans jouissaient de plusieurs contacts. La révolte d’Halamshiral avait lancé le mouvement sur l’impulsion de deux membres, les Flèches, puis les elfes avaient afflué pour gonfler les rangs. Sarie faisait partie des premiers, même si l’Appel l’avait quelque peu éloigné du cœur de l’action.

Il avait des connaissances dans la capitale, notamment une. Une petite elfe qui ne payait pas de mine, toute fluette, avec un sourire innocent sur le visage. Aglaé. Personne n’irait s’imaginer qu’il s’agissait d’une barde, et qu’elle n’hésitait pas à planter sa dague dans le dos d’un ennemi. Elle jouait sur les apparences, et s’en servait pour approcher ses cibles. Elle laissait traîner ses oreilles un peu partout, offrait un regard innocent avec un battement de cils lorsqu’un intrus la surprenait alors qu’elle furetait. Puis elle se fondait dans les ombres et disparaissait.

Depuis qu’il avait pris en charge cette mission, Aglaé se chargeait de le renseigner. Elle lui avait fourni une base solide sur sa cible, une potentielle recrue. Fabien Sourceclaire, la quarantaine, écrivain sulfureux connu pour sa défense des mages et ses nombreux déboires avec la garde civile. Et voilà qu’il prêchait désormais les droits des elfes au tout venant avec un pamphlet écrit de sa main. Pour plusieurs Felassans, il y avait anguille sous roche, d’autant plus en apprenant que cet humain s’aventurait dans le bas-cloître pour recueillir des témoignages.

Sarie conservait une certaine méfiance, mais ne sautait sur aucune conclusion hâtive. Il attendait de voir. Il savait, par expérience, que tous les humains ne rêvaient pas d’asservir tous les elfes. Chandelles ne répondait pas à cette définition. Jamais le Garde-Recruteur n’avait émis la moindre allusion quant à la longueur de ses oreilles. Il s’en moquait éperdument.

Peut-être que Filasse différait des orlésiens habituels ? Peut-être que son pamphlet témoignait d’une réelle préoccupation à l’égard des oubliés de la capitale, et d’une envie profonde de participer aux changements de la société. La mission de Sarie était de faire la lumière sur cette affaire. Vérifier les véritables intentions de l’humain, et agir en conséquence. Une part de lui espérait constater la sincérité de l’orlésien, car ce serait une belle avancée pour leur cause. Avec la révélation des actes barbares des berruiers, cela prouverait que des humains réagissaient à ces évènements et s’en emparaient pour faire avancer la situation. Cela signifierait que les elfes n’étaient plus seuls à défendre leurs droits.

Tous les Felassans ne voyaient pas cette évolution d’un bon œil. Sarie ne comptait plus ceux qui vivaient embourbés dans leur haine des humains – une haine justifiée par des années de sévices, mais qui risquait fort de leur nuire. La haine n’entraînait que la haine, et n’aboutirait à rien de productif. Alors, lorsque ses confrères l’interrogeaient à ce sujet, il demeurait pensif, ou indifférent. Des humains l’avaient torturé. Des humains l’avaient sauvé. Des elfes avaient manqué de le tuer. Des elfes l’avaient sauvé. Humains, elfes, nains… à ses yeux, cela ne changeait rien. Les extrêmes existaient dans un camp comme dans un autre.

Sarie avait reçu la mission pour cette exacte raison. Il ne laisserait pas ses sentiments prendre le dessus, puisqu’il se fichait bien qu’il s’agît d’un humain. Néanmoins, il ne précipita rien pour autant. Tandis qu’Aglaé lui fournissait le plus gros des renseignements cruciaux, il tâchait de repérer sa cible. Il avait suivi sa piste dans le bas-cloître, où il avait interrogé plusieurs elfes sur leur quotidien sans se montrer menaçant ou violent. Il cherchait seulement des informations, rien de plus. Le dalatien avait ensuite découvert le pourquoi du comment, lorsqu’il avait écouté pour la première fois Filasse déclamer son discours.

Il avait réalisé un travail de recherche afin de parler en toute connaissance de cause. Il n’inventait rien ; il dépeignait seulement les faits sans les enjoliver. Le dalatien appréciait cette démarche qui remettait les pendules à l’heure.

Chaque jour à Filasse s’installer sur la place pour haranguer les passants, Sarie se glissait dans la foule, parfois sous les traits d’une femme, comme à présent, parfois sous les traits d’un homme. Il changeait d’apparence pour briser la monotonie de l’habitude et empêcher un potentiel ennemi de le repérer. Il voulait croire la bonne volonté de Filasse, mais une partie de lui le poussait à se méfier, à craindre la perfidie des êtres vivants. La trahison rôdait dans les ombres, prête à surgir et à planter ses griffes sur l’âme innocente qui la sous-estimait.

Adossé contre un mur, il écoutait d’une oreille le discours de Filasse. Il déclamait avec conviction sur cette place cossue de la capitale. Il alpaguait les nobles qui s’offusquaient de ses mots parfois vulgaires, ou de ses accusations à peine voilées. Il faisait son petit effet. Il gagnait une partie de son auditoire, qui l’encourageait à poursuivre sur sa lancée. Des consciences se réveillaient, tentaient de bousculer leurs voisines. La ferveur s’intensifiait.

La garde civile ne resta pas sans bouger. Filasse devenait une gêne pour la tranquillité de Val Royeaux. Il dérangeait, alors il convenait de le faire taire. Simple et efficace. Les avait-il repérés ? Sarie n’en était pas certain. Si tel était le cas, il n’en donnait pas l’impression, car il poursuivait son discours sans sourciller. Il irait jusqu’au bout, déterminé.

Tout vola en éclats, rythmé par les dernières phrases du pamphlet. La garde civile cessa de bâiller aux corneilles et mena l’assaut. Filasse ne chercha pas à fuir ; il affronta la menace à bras le corps, armé d’une épée. Le sang coula. Les passants crièrent, coururent en tous sens. Certains se dressèrent comme un barrage pour protéger le critique. Le chaos gagna la place tandis que le combat prenait forme.

Le combat ? Non. Plutôt une bagarre informe, un ramassis de badauds et de gardes dépassés par la situation. L’occasion rêvée pour agir.

Puisant l’énergie derrière le Voile, il s’en servit pour créer une diversion dans une ruelle voisine. Rien de bien méchant, une petite boule de feu qui heurtait un mur et qui causait du vacarme, de sorte à ressembler à une grenade incendiaire. Le bruit surprit les assaillants, la crainte d’une offensive plus large balaya la foule, et Sarie en profita. Capuche rabattue sur le visage pour préserver son anonymat, il abandonna son poste d’observation pour se fondre dans la masse. Le pied sûr mais agile, il se faufilait entre les nobles et les gardes ; il ne perdait pas de vue sa cible qui affrontait la garde.

Seulement, ce n’était ni le lieu, ni le moment, de se laisser embarquer dans pareil combat.

Sarie ne chercha même pas à discutailler. Il attrapa avec fermeté le poignet de Filasse et le tira à sa suite. D’un geste sec, il lui intima de courir pour échapper à la cohue. Et sans même lui demander un quelconque accord, il l’entraîna dans une ruelle voisine, la capuche toujours rabattue sur son visage.

Ils coururent longtemps, changeant régulièrement de direction pour semer la garde. Parfois créait-il avec sa magie de petites plaques de verglas sur les pavés ; vu les températures froides de cette fin d’année, personne ne s’en étonnerait et ne suspecterait la présence d’un mage. Et même si elles n’étaient pas bien larges, elles ralentiraient la garde.

Finalement, Sarie s’arrêta dans une petite venelle étroite, et après plusieurs regards de vérification des alentours, il sortit une clef de sa poche et ouvrit une porte rongée par les mites. L’intérieur n’était guère reluisant, même avec des bougies allumées pour éclairer la pièce – le salon d’une ancienne auberge depuis longtemps abandonnée aux rats et autres nuisibles – mais il leur offrait un abri contre les oreilles et les yeux indiscrets.

Une fois les bougiées allumées, Sarie se retourna vers Filasse. Il se rendit compte à cet instant qu’il avait mangé son nom ; impossible de s’en rappeler. Quoi qu’il en fût, il retira sa capuche, puis attacha ses cheveux, refusant d’être mépris avec une femme pour le moment. Il s’assit sur une table.

— Navré pour ces méthodes un peu expéditives.

Il avait bien conscience de l’avoir traîné à sa suite pendant de longues minutes sans lui demander son avis, ou encore s’expliquer.

— Toutefois, il n’est pas dans notre intérêt commun que la garde réduise à mal ce petit pamphlet sympathique.

Ses cheveux attachés laissaient apparaître ses oreilles. Quoi de plus normal qu’un elfe qui sympathisait avec un pamphlet provocateur qui réclamait justice pour son peuple ? Il ne comptait pas dévoiler son appartenance à Felassan d’entrée de jeu.

— Ah, elle est belle, Val Royeaux… Très accrocheur. Jolie plume.

Sarie n’annonçait pas encore la raison de toute cette manœuvre. D’abord, il tenait à évaluer la réaction de Filasse. Il observait le terrain. Observer avant d’agir. Chandelles le lui répétait sans cesse.

Jeu 11 Fév 2021 - 14:47

Ashleigh
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Le monde bougeait, tournait autour de moi.

Les masses se bousculaient, protestaient, fuyaient. Les gardes essayaient tant bien que mal de maîtriser le chaos que mes mots avaient engendrés. Modeste en main, mon regard sondait la foule, mon sourire se mut en une satisfaction indescriptible pour la première fois depuis des années. Ça marchait. Mon message était passé et cette satanée ville me prenait au sérieux. Ce que j’accomplissais aujourd’hui avait un sens, un but, mieux que l’argent, la survie ou son contraire.

Cependant, une explosion jaillit d’une rue adjacente, effrayant une part de la foule. Et puis, les choses s’accélérèrent vite, très vite ; en un battement de cils, repoussant du pied un autre garde, on m’attrapa par le poignet pour m’extirper de cette foule. Perdant tout d’abord pied suite à cette surprise des plus inattendues, je trouvai à nouveau mon équilibre, ainsi que le – ou la – responsable de cette action, qui courrait déjà. Fronçant des sourcils, je lui emboîtai sans tarder le pas, la lame de Modeste pointant vers le bas.

Certains gardes nous prirent en chasse, évidemment. Au fil des rues et des ruelles, et malgré le rythme athlétique de mon guide – à croire que mon âge commençait à me faire défaut –, je parvenais à l’aide d’un miracle à le garder bien en vue. Au fil de nos pas, de moins en moins de gardes nous suivaient, ce qui était un soulagement. Malgré tout, une pointe de regret m’habitait, d’avoir provoqué une telle émeute et de les abandonner à leur sort.

Mais pourquoi me tirer de cette affaire ? On aurait dit Roland qui cherchait à couvrir mes arrières. Si cette hypothèse s’avérait correcte à l’avenir, je viendrais en personne à sa demeure pour lui rire au nez. Je savais parfaitement ce que je faisais, il n’avait pas besoin de gaspiller temps, énergie, et main d’œuvre.

Et finalement, l’encapuchonné s’arrêta devant une porte en meilleure état que celle de chez moi. Il sortit une clé et en ouvrit la lourde porte, et je lui emboîtai le pas rapidement. L’endroit me disait quelque chose, mais une chose était sûre : cet endroit était abandonné depuis des années déjà.

Quittant mon analyse du mobilier un instant pour me tourner vers le mystérieux individu, je réalisai que ce dernier était un elfe. Perplexe, mon regard se plissa, tandis que mon souffle reprenait enfin une cadence plus reposée.

Navré pour ces méthodes un peu expéditives. Toutefois, il n’est pas dans notre intérêt commun que la garde réduise à mal ce petit pamphlet sympathique.

M’appuyant contre le comptoir et croisant des bras, je le fixai, attendant la suite de ses propos. Il n’avait pas fait tout ce parcours pour flatter ma plume, après tout.

Ah, elle est belle, Val Royeaux… Très accrocheur. Jolie plume.

Je ne pus retenir ce rictus de germer. Si les sympathisants de mon art étaient peu légions du côté de la noblesse coincée orlésienne, les marginalisés étaient bien moins avares en compliments vis-à-vis de mon travail. Particulièrement dans ce contexte, recevoir une flatterie de la part d’un elfe vis-à-vis de cet incipit ne pouvait que filer droit au cœur.

Vos flatteries me vont droit au cœur.

Mais il y avait encore quelque chose derrière. Je ne savais pas encore quoi, mais quelque chose me disait que l’elfe cachait son jeu, ses réelles intentions. Me ramener ici, à l’abris des regards, pour un compliment .. il y avait clairement anguille sous roche.

Plus d’une semaine de travail jour et nuit pour secouer quelques individus, j’appelle ça un début de victoire. Et vous ?

Je n’aurais jamais pensé produire un tel effet, mais c’était encourageant, réellement : dans un théâtre, les spectateurs ne se contentaient que de catharsis et de divertissement, ignorant toujours les morales et les mises en garde. Une si grande frustration pour l’auteur, qui voulait faire changer les choses et la société de son époque à travers son art.

Jeu 11 Fév 2021 - 17:56

Sarie Vaharel
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Sarie regrettait de ne pas avoir emporté avec lui une petite laine supplémentaire. En cette fin d’année, le froid s’installait durablement et manquait de lui tirer un frisson. Pour l’instant, leur course effrénée le réchauffait, mais cet effet s’estomperait d’ici peu. Cela lui apprendrait à vouloir voyager léger pour ne pas être ralenti en cas de cavalcade. Les couches de vêtements l’alourdissaient plus qu’autre chose, réduisaient sa finesse et nuisaient à son agilité. Tant d’éléments qui l’avaient dissuadé de s’encombrer lorsqu’il avait quitté son abri temporaire, et qu’il regrettait à présent. Il s’attendait presque à ce qu’il neigeât sur la ville, comme un revirement moqueur des évènements.

Il avait donc gardé une bougie à côté de lui. Elle diffusait une chaleur très faible, presque inutile, mais il s’en contentait. Les années lui avaient appris à se satisfaire de peu et à les apprécier. Alors, plutôt que de se concentrer sur ce froid qui ne tarderait pas à l’assaillir une fois l’adrénaline redescendue, il reporta son attention sur l’humain qui reprenait son souffle. Filasse ne paraissait guère inquiet par la tournure de la situation, preuve en était qu’il avait rengainé son arme. Sarie l’observait, intrigué. Se pensait-il sauf car un elfe se tenait en face de lui, car il défendait les droits de son peuple ? Ou le sous-estimait-il à cause de son physique fluet ? L’un comme l’autre paraissait une hypothèse envisageable, mais qui le laissait toutefois perplexe.

Filasse était-il vraiment une bonne recrue potentielle ? S’il baissait sa garde au gré des apparences, les ennuis ne tarderaient pas à lui tomber dessus. Sarie en savait quelque chose, même s’il s’abstint de toute remarque à ce sujet. Ce n’était pas son rôle. Sa mission consistait à observer et à évaluer Filasse. Si pour l’instant rien ne laissait présager un traquenard, il ne disposait toutefois aucune certitude. Aglaé lui avait conseillé de rester sur ses gardes, tout comme Arendel – un conseil à peine voilé pour lui rappeler que l’honnêteté n’était guère une vertu partagée par tous les thédosiens.

Filasse se montrait moins naïf qu’il ne laissait paraître. Il comprenait que ce « sauvetage » ne constituait pas qu’une simple visite de courtoisie, ni un échange amical de compliments au sujet du pamphlet. Quelque chose se tramait dans l’ombre des secrets, même s’il ignorait quoi. Alors il essayait d’aiguiller la discussion en ce sens afin d’en retirer quelques renseignements qui l’aideraient à faire la lumière sur les faits. Pour l’activiste un peu déluré et pas très stable que lui présentait Aglaé dans ses rapports, il avait encore la tête sur les épaules. Était-ce un masque, ou bien la réalité ? Voilà ce que le dalatien tentait de découvrir.

— Un début de victoire ? Vous voilà bien optimiste.

Sarie n’était guère pessimiste, ni même cynique. Il préférait se laisser porter par l’espoir d’un avenir meilleur. Il trouvait cela plus sain que de se complaire dans des prédictions désastreuses de l’évolution des faits. Son passé ne changeait rien à ses valeurs ; il continuait de s’y accrocher, peu importât la douleur qu’il recevait en retour. Malgré tous les ennuis rencontrés en Tévinter, il n’avait pas abandonné son rêve de fuir un jour et de retrouver sa liberté. Même au plus bas, il l’avait choyé, jour après jour, jusqu’à le voir se concrétiser.

Puis l’Appel était passé par-là. Même s’il s’était dissipé depuis un mois, comme s’il n’avait jamais existé, les séquelles demeuraient. Ses repères restaient flous, obscurs parfois. Les évènements lui échappaient. Le cynisme de Chandelles déteignait sur lui. Seule la présence d’Arendel à ses côtés l’empêchait de perdre totalement pied. Si plusieurs mois plus tôt, il se serait réjoui d’apprendre l’effervescence autour de ce pamphlet et aurait partagé l’optimisme de Filasse, il ne pouvait désormais s’empêcher d’observer les faits d’un œil plus critique. Surtout, il entendait Chandelles dans sa tête avoir un rictus et se demander combien de temps ces bourgeois outrés agiraient pour la cause des elfes. Il était facile de s’offusquer, mais plus difficile encore d’agir. D’abandonner son confort.

Sarie aurait aimé se convaincre du convaincre, mais s’aveugler ne le conduirait à rien de bon.

— Malheureusement, rien n’indique que les personnes touchées dans la foule agiront à leur tour.

Toujours assis sur la table, sa main joua avec la flamme de la magie. Il la fixa un instant, soupesant les mots qui lui venaient à l’esprit. A dire vrai, il n’aimait pas ce genre de missions. Il préférait l’espionnage, la filature. Cette mission, c’était un boulot idéal pour Aglaé. Il n’avait certes pas rechigné, mais son amie excellait bien plus que lui dans l’art de revêtir différents masques pour duper son entourage. S’il se laissait porter par le cynisme de Chandelles pour titiller la conscience de Filasse, Sarie éprouvait quelques difficultés malgré lui. Ce n’était guère dans ses habitudes, lui qui se montrait d’ordinaire honnête, même avec les inconnus. Jouer sur les apparences lui rappelait trop les Corbeaux, une sensation qu’il exécrait plus qu’autre chose.

— Mais ce n’est guère comme si cela vous importait, n’est-ce pas ? Avec ce pamphlet, vous vous donnez bonne conscience. Vous avez fait votre part du travail.

La mission primait. Sarie le savait, alors il prenait sur lui et acculait Filasse. Il le poussait à la réaction virulente. Emporté par la colère sous le feu de ces accusations, il laisserait filtrer bien plus de renseignements utiles que si le mage se contentait de discuter gentiment avec lui. Avec un peu de chance, les informations circuleraient suffisamment vite pour qu’il recouvrît son honnêteté habituelle. Il l’espérait.

— A moins que vous ne croyiez sincèrement que quelques mots jetés sur le papier suffiront à apaiser la grogne des elfes ? Ou à améliorer leur quotidien ?

Il le provoquait, ni plus, ni moins. Tourner autour du pot ne lui convenait pas, alors il passait à l’assaut.

— J’ignore si vous le savez, mais les belles paroles ne nourrissent pas les ventres affamés.

Un pamphlet provocateur ne suffirait pas à effacer les traditions barbares d’un pays qui se prétendait civilisé. Si les mots constituaient une force suffisante, voilà longtemps que Tévinter aurait plié face à la Chantrie Andrastienne. Sarie souhaitait bien entendu croire dans les retombées bénéfiques de ce pamphlet, mais il ne pouvait guère se voiler la face.

Jeu 11 Fév 2021 - 20:36

Ashleigh
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pas encore défini - ■


L’elfe était jeune et sur ses gardes : montrer le moindre signe d’hostilité à son égard pourrait mettre en péril cette conversation pourtant si précieuse. Précieuse, car quelque chose était en train de se produire, quelque chose qui ne provenait pas de mon discours. Dans les ombres de cette ville se terraient les bienveillants, et peut-être bien qu’aujourd’hui, j’avais l’un d’eux en face de moi. Autant pas ne tenter le démon.

Un début de victoire ? Vous voilà bien optimiste.

Son test semblait commencer.

Un test dans quel but ? Mystère, mais ma curiosité l’emportait très souvent, peu importaient les obstacles – ou les blessures engendrées pour parvenir à mes fins.

Mais je ne répondis rien, me contentant de lui sourire. Si l’activisme pour la cause des mages m’avaient appris une chose, c’était que chaque petite miette de changement importait. Bien souvent, il fallait attendre une génération pour que des changements opéraient réellement, donc évidemment, un simple texte clamé sur une place n’allait pas changer la face du monde non plus. Mais j’attendis la suite, curieux et attentif.

Malheureusement, rien n’indique que les personnes touchées dans la foule agiront à leur tour. Mais ce n’est guère comme si cela vous importait, n’est-ce pas ? Avec ce pamphlet, vous vous donnez bonne conscience. Vous avez fait votre part du travail.

Ah, le cynisme. Un adversaire farouche, qui parvenait toujours à me faire froncer des sourcils, à diminuer mes rictus, même les plus naturellement polis. Se donner une bonne conscience. Faire sa part du travail. Il savait où appuyer dans son interrogatoire, il fallait lui reconnaître ce point positif.

Les dents serrées, je ne commentai pas encore, attendant qu’il termine réellement ses remarques et interrogations. Avec un peu de chance, un manque d’expérience ou alors les deux à la fois, il dirait une parole pour se trahir, une bête ouverture pour débuter ma réplique.

A moins que vous ne croyiez sincèrement que quelques mots jetés sur le papier suffiront à apaiser la grogne des elfes ? Ou à améliorer leur quotidien ? J’ignore si vous le savez, mais les belles paroles ne nourrissent pas les ventres affamés.

Ah, la fougue de la jeunesse, qui voulait toujours des résultats immédiats. Je soufflai du nez, fixant la flamme dansante d’une des bougies avant de reporter mon attention sur ce petiot.

Donc, comme je viens de le dire : un début de victoire.

Evidemment que la première bataille était loin de toucher à sa fin au cœur de cette ville. Ce n’était que le début, finalement, à partir de ces meurtres dans le Bas-Cloître, théâtre de bien d’autres tragédies.

Les belles paroles ne nourrissent personne, il est vrai ; elles ne ramènent pas les proches à la vie non plus. Elles ne changent pas encore les lois, les mentalités, et encore moins les individus.

Je poursuivis sur ma lancée, le ton empli du sarcasme et de la désillusion qu’un guerrier de mon âge possédait en toute légitimité.

Constatez : je compose toute sorte d’écrits, de tragédies et de poèmes, pour défendre la cause des mages, et je le fais depuis une bonne décennie au moins. Ce qui a changé leur situation ? L’explosion de la Chantrie de Kirkwall, puis une guerre.

Comme quoi, les actions en effet faisaient toujours bien plus que des mots. Même que bon, si nous pouvions éviter d’en arriver à une guerre, cela m’arrangerait .. Une fois, pas deux.

Le changement passe inexorablement par une lutte, qu’elle soit physique ou verbale, mais à titre personnel, je pense que les deux sont tout autant importantes.

Je marquai une pause, humectant un peu mes lèvres avant de reprendre la parole, sur un ton plus froid, plus factuel.

Les rumeurs arpentent aisément et rapidement les rues de cette cité, et croyez-moi je suis bien placé pour le savoir ; et pourtant, alors que des humains avaient tout autant assisté au massacre, il m’a fallu une semaine pour être au courant de l’affaire. A Val Royeaux, c’est beaucoup trop long comme délai.

Et en tant qu’informateur professionnel et doué dans mon métier, je savais de quoi je parlais. Mais ça, il n’avait pas particulièrement à le savoir. Du moins, pas pour le moment.

Les choses sont figées du côté des hautes sphères car peu entendent parler de ces incidents. Informer un maximum de personnes n'est qu'une première étape : viendra ensuite le pire, le plus redoutable, est bien évidemment de renoncer à son confort, à ses privilèges : imaginez leur effroi, s’ils devaient payer décemment leurs servants.

Le sarcasme avait inexorablement repris le dessus sur moi, sarcasme que je ponctuai d’un rire. Les imaginer paniquer à cette idée me rendait hilare, il était vrai.

Cela dit, cet événement tragique fait du bruit : alors là oui, en toute bonne âme et conscience, certains bourges, voire des nobliaux, vont se bouger le cul et faire des gestes absurdes pour « soutenir » les elfes. « Je lui ai offert du pain sec aujourd’hui, admirez l’âme charitable que je suis ! »

Un autre rire, plus silencieux, me prit alors. Et puis, accoudé au comptoir, mon clair regard se perdit un instant sur une petite flamme, avant de revenir sur le gamin.

Mais je comprends votre impatience, petit. Les rouages sont rouillés et mettent du temps à fonctionner, et pourtant on voudrait que tout arrive à point rapidement. Il faudra bien plus que des mots écrits en quelques nuits pour changer le monde, vous en êtes au moins conscient, comme je le suis de par mon expérience. Cependant ..

Je me décollai enfin de ce comptoir poussiéreux et usé, pour m’approcher lentement du jeune elfe. Les mains dans mes poches, la posture détendue, mais le pas maîtrisé.

Cependant, si vous n’aviez pas une quelqu’once d’espoir à mon égard, vous ne m’auriez pas emmené ici, n’est-ce pas ? Quelque chose a attiré votre attention là-haut, vous vous posez des questions ..  

Mon déplacement s’arrêta droit devant l’elfe, ne laissant pas tant de distance nous séparer. Plantant mon regard dans le sien, j’attendis un certain moment dans le silence, avant de lui sourire.

Pourquoi ne pas directement passer à ce qui nous intéresse tous deux, au lieu de tourner bêtement en rond ?  

Jeu 11 Fév 2021 - 23:24

Sarie Vaharel
Sarie Vaharel

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Filasse ne correspondait pas tout à fait à l’image qu’il se représentait. Il paraissait stable, pour commencer, bien loin de l’énergumène déluré dont lui avait parlé Aglaé. Ses paroles demeuraient censées, et il savait manier la plume avec élégance, malgré l’emploi de mots crus utilisés pour marquer les esprits. Il saisissait même que sa présence en ces lieux délabrés ne correspondait pas à une lubie d’un elfe pour le flatter sur son pamphlet, mais plutôt à un projet d’envergure dont il ne cernait pas encore toute la portée. Alors pourquoi son amie lui avait-elle peint un tel portrait ? Voilà une question qui méritait davantage d’observations et de réflexions. Filasse l’intriguait ; et de toute façon, sa mission exigeait qu’il récoltât le plus possible de renseignements. L’objectif était d’évaluer l’ambition de l’humain, au même titre que sa détermination et l’ampleur de la confiance à lui accorder. Tant de questions auxquelles Sarie s’efforçait de répondre à présent.

Les effets de sa petite provocation ne tardèrent pas à apparaître. Filasse laissait s’échapper quelques réactions plus parlantes que des mots ; un sourire, d’abord, qui se fana au profit de dents serrées, qui marquaient un agacement. Ses piques faisaient mouche et titillaient l’humain. S’il ne l’avait pas coupé, nul doute qu’il ne se priverait pour prêcher ses actes et se défendre des accusations à peine voilées du dalatien. En d’autres termes, Sarie menait sa barque comme il l’entendait. Il était maître de l’interrogation qu’il orientait à sa guise. Il ignorait si cela durerait, si Filasse accepterait d’être ainsi guidé à droite à gauche sans moufter, alors il tâchait d’engranger le plus de détails pour l’instant. Il aviserait ensuite. La situation présentait trop d’avantages pour qu’il se concentrât sur des précautions supplémentaires. Il laissait parler son instinct, et saisissait l’occasion offerte.

Quoi qu’il en fût, Filasse ne se laissa pas intimider par ses petites piques. Il accepta les reproches, et entreprit d’y répondre avec un soin appliqué. Sarie reconnaissait là la plume acérée derrière le pamphlet, celle qui écrivait des mots acides pour secouer les consciences. A cet instant, il eut une confirmation supplémentaire qu’il ne s’agissait pas d’un imposteur qui clamait le texte d’un autre, tapi dans l’ombre. Aglaé avait soulevé cette hypothèse, même si elle n’y croyait pas des masses. A ses yeux, trop d’éléments correspondaient et effaçaient le doute, mais elle avait choisi de lui faire part de cette éventualité peu probable, par prudence. La question était désormais réglée.

La tirade de Filasse respirait le sarcasme et la désillusion, ceux d’un homme qui avait traversé bon nombre d’épreuves par le passé et qui repoussait toute naïveté. Cette attitude dérangeait quelque peu Sarie et le mettait mal à l’aise, même s’il prit sur lui pour ne rien en montrer. Le sarcasme ne représentait guère sa tasse de thé, déjà qu’il avait eu du mal à s’adapter au cynisme mordant de Chandelles. Il avait appris à supporter celui du Garde-Recruteur en lorsqu’il avait découvert sa face d’ours grognon affectueux ; ce fait atténuait la dureté de ses paroles, d’une façon ou d’une autre. Mais avec Filasse ? Il ne connaissait pas grand-chose de ce bougre à la plume affûtée. Comment distinguer la sincérité du cynisme, la vérité des mensonges, dans une situation pareille ? Contrairement à d’autres, Sarie distinguait peu le manque d’honnêteté d’autrui, même s’il s’efforçait de remédier à ce problème.

Quelque peu tendu, il se concentra néanmoins sur les dires de Filasse qui dévoilaient de nombreux détails intéressants. L’humain indiquait ses liens avec les milieux de l’information et prenait soin d’en souligner l’importance. Une fois la vérité clamée au grand jour, elle se propagerait comme un feu de forêt et heurterait les sensibilités. D’ores et déjà, la tradition barbare mettait le feu aux poudres. Un autre incident comme celui d’Halamshiral l’an passé suffisait à embraser la situation et à causer du grabuge. Et avec la Guerre des Lions qui déchirait Orlaïs, peut-être était-ce le moment rêvé ? Sarie émettait quelques doutes à ce sujet, mais plusieurs Felassans partageaient cette idée. Pour eux, imiter le drame de Kirkwall aiderait à galvaniser la cause des elfes, tout comme elle avait favorisé celle des mages.

Favoriser, vraiment ? Sarie en doutait. Il continuait de cacher ses pouvoirs au plus grand nombre. Sa magie apeurait toujours la populace, et il craignait l’instant où des Templiers lui tomberaient sur l’oignon pour le conduire dans un Cercle. Son statut de Garde des Ombres le protégeait, mais il ne misait pas là-dessus, pas après les évènements de l’Inébranlable. La popularité de l’ordre n’était guère à son apogée, Chandelles l’avait souligné à plusieurs reprises avant qu’ils ne franchissent la frontière. Faire profil bas s’imposait pour éviter les ennuis.

Toutefois, il nota que ces secrets qu’il entretenait lui rendaient service. Filasse le sous-estimait bel et bien, vu qu’il ne se gênait pas pour l’appeler « petit » – même si leur différence d’âge le justifiait aussi – et qu’il se rapprochait de lui comme si de rien n’était. Les mains dans les poches, il ne craignait pas un soudain revirement de situation, ou il pensait ne rien avoir à craindre d’un elfe fluet bien plus jeune que lui. Et plus petit, surtout. La différence de taille le frappa à cet instant, alors que la distance se réduisait désormais à peau de chagrin. Sarie était contraint de relever la tête pour croiser son regard, ce qui n’était guère une position agréable, en particulier lorsqu’il devait mener un interrogatoire. En un claquement de doigts, la situation s’inversait. Ou presque. Malgré le malaise qui s’insinuait en lui à être ainsi rabaissé avec sa petite taille, il ne comptait pas lâcher la bride de sitôt. Si Filasse imaginait ainsi changer la donne, il se fourvoyait.

Sarie ne s’esquiva pas. Il soutint son regard. Dans son esprit, il se focalisait sur de vieux souvenirs pour trouver la force de tenir tête. Filasse n’était rien comparé aux tévintides qu’il avait connus. Il faisait pale figure face à Adraria et son regard glacial. Il n’arrivait pas à la cheville de Faleria. L’elfe arrêta là les souvenirs avant de se figer d’effroi à cause d’évènements qu’il préférait oublier. Pour l’instant, il avait ce qu’il lui fallait pour empêcher Filasse de parvenir à ses fins.

L’air indolent, Sarie l’observa encore un instant, prolongeant ainsi le silence. Il faisait fi de leur proximité et de la différence de taille qui l’avaient dérangé un peu plus tôt. Une part de lui demeurait néanmoins sur ses gardes, prête à bondir hors de toute menace ou à dégainer son bâton-lance pour se défendre.

— Il est présomptueux de votre part d’estimer que je tourne en rond.

Compte tenu de la tirade de Filasse pour répondre à ses petites piques, sa stratégie s’avérait payante jusqu’à présent. L’humain l’abreuvait de renseignements tandis qu’il cherchait à se défendre et à manifester sa détermination.

— La seule véritable question que je me pose, c’est de savoir si ce pamphlet n’est pour vous qu’un moyen de vous dédouaner face à la situation actuelle, de faire votre bonne action de bon petit samaritain, ou s’il représente au contraire le premier pas vers un ensemble d’actions plus large pour défendre la cause des elfes.

Il ne comptait pas mentionner le réseau des Felassan d’entrée de jeu. Si jamais Filasse leur faisait faux bond, cela se retournerait contre eux.

— Après tout, pourquoi un humain, un shem, déciderait de soutenir les elfes ?

L’usage du mot elfique pour désigner les humains appuyait le cynisme qu’il employait. A nouveau, il se laissait glisser sur la pente de la provocation pour tirer des réponses à Filasse. Sarie reprenait la main sur cet interrogatoire, et avançait dans la direction souhaitée. Non, il ne tournait pas en rond. Seulement, il prenait ses précautions avant d’aborder le vif du sujet, comme lui répétait sans cesse Arendel. Ne pas accorder sa confiance trop vite. Ne pas se laisser bercer par de belles paroles. Attendre l’occasion idéale pour frapper.

Ven 12 Fév 2021 - 1:44

Ashleigh
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Ironiquement, ce ne fut qu’une fois devant lui que je me demandais si ma carrure et ma taille n’allaient pas l’intimider. Je sentais une certaine tension émaner de l’elfe, mais malgré tout, il soutenait mon regard. Ah, il ne se laissait au moins pas impressionner, même si ce n’était pas l’objectif de base, je préférais ça. Un peu de défi dans ses yeux, de résistance. Si dans un premier temps je l’avais déstabilisé, il semblait désormais reprendre pied à son rythme.

Après un certain silence, il retrouva la parole – j’allais finir par m’inquiéter, pauvre petiot.

Il est présomptueux de votre part d’estimer que je tourne en rond.

Mon sourire était large. Bien sûr. Il ne tournait absolument pas en rond. Me dire qu’il cherchait des renseignements à mon sujet était donc si difficile. Cela dit, l’elfe qui ne tournait pas en rond depuis tout à l’heure semblait prendre une direction bien plus droite qu’avant. Bah parfait, enfin.

La seule véritable question que je me pose, c’est de savoir si ce pamphlet n’est pour vous qu’un moyen de vous dédouaner face à la situation actuelle, de faire votre bonne action de bon petit samaritain, ou s’il représente au contraire le premier pas vers un ensemble d’actions plus large pour défendre la cause des elfes. Après tout, pourquoi un humain, un shem, déciderait de soutenir les elfes ?

Je ne pus retenir un rire. Un bête rire, simple, court et léger. A croire que j’avais trop parlé et qu’il n’avait pas eu le temps de tout enregistrer.

Je vais reprendre mon explication, donc. Très peu de personnes humaines ont entendu parler de ce massacre. Très peu d’humains se demandent même ce qui peut bien arriver aux elfes vivant à Val Royeaux, comme partout en Thédas.

Marquant une pause, je sentais les muscles de mon visage se détendre à nouveau, laissant partir le sourire d’avant, cette fois-ci complètement. Je n’avais pas non plus envie de tourner autour du pot.

L’on est considéré comme un bon samaritain que lorsque la cause a de l’ampleur, mais pour qu’elle ait de l’ampleur, il faut se renseigner, et renseigner les autres. Et encore, c’est loin d’être tout : vous avez bien vu la réaction de la garde civile. Pour l’heure, je suis un agitateur de rue et je sème le trouble, pas un samaritain. Donc non, ce pamphlet n'est pas que pour orner ma bibliographie et ma conscience, sinon je ne l'aurais certainement pas fait.

Menacer les hautes sphères avec un discours ne faisait clairement pas de moi quelqu’un qui aidait les autres directement. Mon impact était plus indirect, mais tout autant important.

Quant au pourquoi .. eh bien, pourquoi pas ? Je m’explique.

Je marquai une nouvelle pause, avant de reprendre.

Nous avons tous des idéaux, des rêves inaccessibles, n’est-ce pas ? Le mien est qu’un jour nous soyons tous sur un même pied d’égalité. Hommes ou femmes, humain, nain, qunari ou elfe, mages ou non-mages, pauvres ou riches .. Je pense que beaucoup trop de personnes sur cette terre tiennent à leurs privilèges, et donc ne voudraient pas vraiment les donner à des êtres qu’ils méprisent.

Et puis, nonchalamment, je haussai des épaules. Nous avions tous nos aspirations à laisser derrière soi un monde meilleur, ou pire. Y parvenir ou non était une autre question, mais dans mon cas, je savais que je mourrais avant.

Je comprends cependant cette volonté de tester la mienne. Allez-y : posez vos questions, je ne suis pas le genre d’hommes à détourner mes travers et mes méthodes de toute façon.

Ven 12 Fév 2021 - 9:58

Sarie Vaharel
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Filasse ne bougea pas. L’échange de regards se poursuivit, chacun campant sur ses positions. Sarie n’appréciait pas vraiment cette tournure des évènements, mais il s’en accommodait. La tension environnante le poussait à rester sur ses gardes, ce qui attisait sa méfiance. Il ne relâchait donc pas sa vigilance, comme si Filasse risquait à tout instant de l’attirer dans un traquenard vicieux. Plusieurs Felassan suspectaient un tel scénario, car ils refusaient d’imaginer qu’un humain pût délibérément choisir de leur venir en aide, dénué de la moindre arrière-pensée. Lorsque le mage soulevait cette possibilité, il passait pour un idéaliste qui n’avait pas les pieds sur terre, un idiot pour d’autres ; à se demander s’il avait réellement assisté à la tragédie d’Halamshiral. Parfois, son statut de dalatien jouait contre lui ; comment pourrait-il connaître l’horreur de l’oppression humaine alors qu’il avait grandi dans un clan, à l’abri du besoin et du joug des shemlens ?

Les préjugés gangrénaient le réseau des Felassan. Les citadins comme les dalatiens nourrissaient du ressentiment à l’égard de leurs confrères, comme s’ils n’appartenaient pas au même peuple. Comme si leur lieu de naissance cloisonnait l’identité de leur peuple. Sarie ne comprenait pas cette frontière stupide qui nuisait au mouvement plus qu’autre chose. Il était né dans un bas-cloître antivan, avait connu la misère de cette existence avant d’en être arraché par la force des choses. Puis il avait eu la chance d’être recueilli par le clan Vaharel, et de partager plusieurs années de sa vie en leur compagnie. Son expérience personnelle l’empêchait de séparer les citadins des dalatiens ; les elfes ne formaient qu’un unique peuple, les deux faces d’une même pièce de monnaie.

Sans doute était-il un idéaliste déterminé à chercher la paix au sein de son peuple et avec le reste de Thédas. Passer sa vie à guerroyer ne l’intéressait pas, même si son appartenance à la Garde des Ombres mettait quelque peu à mal cette volonté. Depuis son Union, il participait désormais à cette lutte éternelle contre l’engeance et la corruption, sans certitude qu’un camp l’emportât un jour. Il songeait toutefois que ses efforts envers l’ordre apportaient une nouvelle pierre à l’édifice, même de façon mineure, et l’ensemble empêchait les engeances de proliférer dans Tréfonds selon leur bon vouloir et de se répandre à la Surface. Ce n’était pas une guerre personnelle, pour des intérêts propres et égoïstes, mais un affrontement constant au nom de tous les thédosiens. Même si ces derniers oubliaient l’importance de la Garde des Ombres lorsque l’Enclin disparaissait des mémoires.

Découvrir que Filasse partageait cet idéalisme était chose étrange. Il ne s’y était pas attendu, venant d’un activiste déluré. Le portrait dépeint par Aglaé lui restait en tête, et il essayait de le comprendre. Pourquoi donc Filasse risquait de manquer de fiabilité ? Sarie regrettait de ne pas avoir eu l’occasion de jeter un œil à ses autres œuvres littéraires, mais le temps lui avait manqué. Il avait dû agir avant que la garde civile ne lui réduisît au silence, ce qui aurait ruiné tous ses efforts pour l’approcher. A présent, il devait composer avec des morceaux d’informations pour démêler le vrai du faux. Pour déterminer si l’humain pouvait effectivement rejoindre le réseau des Felassan ou non.

— Voilà qui est bien idéaliste.

Sarie ignorait ses propres sentiments pour rétorquer chose pareille. Dans une autre situation, cela serait déplacé de sa part alors qu’il partageait cette vision idéaliste. Cependant, Filasse n’avait pas à le savoir.

— Seriez-vous andrastien ? A prôner que les non-humains doivent être sauvés et conduits sur le droit chemin illuminé par le Créateur ? Avec un tel idéalisme, cela ne serait guère étonnant.

Puisque Filasse acceptait de répondre à toute question, le jeune mage ne se privait pas. Encore une fois, il visait des terrains délicats, des pentes glissantes qui en révélaient beaucoup plus qu’il n’y paraissait. La religion était souvent un sujet à prendre avec des pincettes, sous peine de déclencher des conflits monstres. A dire vrai, Sarie s’en montrait indifférent. Les années avaient érodé sa foi, et il peinait à la conserver. S’il se perdait trop dans ses pensées, il en venait à songer que les dieux lui avaient plus souvent craché au visage qu’autre chose, un sentiment peu agréable. Alors il s’abstenait et collait à l’indifférence.

Que Filasse crût au Créateur ou non lui importait peu. Il se moquait de la confession de son entourage. Toutefois, la réponse demeurait primordiale pour une future collaboration avec les Felassan. Si Filasse ne savait point garder des opinions religieuses pour lui, quelles qu’elles fussent, il s’attirerait irrémédiablement des ennuis avec les dalatiens qui croyaient dur comme fer dans leur panthéon. Des scissions internes étaient bien la dernière chose que Sarie souhaitait, car un ennemi suffisamment malin pourrait alors les annihiler sans peine.

— Des travers ? Seriez-vous capable de les énoncer présentement sans honte ?

Tester l’honnêteté de Filasse lui paraissait primordial, tout comme sa fierté. Pour parvenir à ses objectifs, accepterait-il de montrer ses torts et d’abandonner ses positions pour trouver des concessions ? Pour l’instant, il osait certes monter au front pour clamer son pamphlet, quitte à s’attirer les foudres de la garde civile, mais il agissait seul. Qu’en était-il face à des coéquipiers ? Toutes ces interrogations méritaient une réponse claire. Sarie ne transigerait pas à ce sujet, dans l’espoir d’éviter toute mauvaise surprise.

— Quant à vos méthodes... peut-être aviez-vous prévu une prochaine étape, après toutes ces fois à clamer votre pamphlet.

Lun 15 Fév 2021 - 0:23

Ashleigh
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Une chose était certaine : beaucoup de choses traversaient l’esprit du petit. Je ne savais pas quoi, et bon, je m’en fichais un peu, mais ça carburait sous sa longue chevelure de jais. Une autre chose se révélait autant sûre, c’était son attention sur mes paroles. Sûrement qu’il cherchait à lire entre les lignes et à assimiler les montagnes d’informations que je livrais assez volontairement. Quand j’eus fini d’expliquer mes idéaux, sa réponse fut des plus .. retenues ?

Voilà qui est bien idéaliste.

Je haussai des épaules en guise de réponse : que pouvais-je bien ajouté ? Le gamin marquait indéniablement un point. Enfin, à mes yeux il fallait toujours de l’inaccessible pour garder bien en vue ses objectifs, car si ce premier était trop réaliste, que ferait-on une fois cette étape franchie ? On se toucherait la nouille ? Mystère sans doute jalousement gardé par les plus grands philosophes de notre Histoire.

Cependant, l’elfe n’en avait pas fini avec ses questions – en tout logique, vu que je l’incitais à en poser –, et débarqua sans prévenir sur un sujet des plus intéressants.

Seriez-vous andrastien ? A prôner que les non-humains doivent être sauvés et conduits sur le droit chemin illuminé par le Créateur ? Avec un tel idéalisme, cela ne serait guère étonnant.

Je pris le temps de réfléchir. Bien entendu, je ne pouvais pas déclarer que j’étais un terroriste recherché qui brûlait des Chantrie et tuait des connards. Pensant mes mots, je lui adressai un sourire, tandis que mon regard quitta le plafond, si fascinant à regarder lorsque l’on réfléchissait.

Je dirais que je suis Andrastien, mais je n’adhère pas à cette blague à laquelle consiste l’institution de la Chantrie. Cette dernière est d’ailleurs ma plus grande admiratrice, elle passe son temps à censurer ou à empêcher mes écrits d’être imprimés.

Avant d’être secrètement un terroriste qui possédait sa notoriété, j’étais un poète, un défenseur des idées et de la justice.

Le sujet changea une fois encore, se rapportant à mes précédents propos : cette fois-ci, mon sourire se fit plus carnassier.

Des travers ? Seriez-vous capable de les énoncer présentement sans honte ?
Alors ..

Je me reculai pour me chercher un tabouret, un peu plus loin : si j’aimais papoter, je préférais le faire assis. J’étais vieux, après tout, j’avais mes prétextes. Je revins donc vers lui, le tabouret dans ma main, puis posai ce dernier au sol et m’assis dessus, avant de croiser des bras, mon clair regard planté dans celui du jeune elfe.

Je bois, je fume, je jure, je vole, je magouille quand ça m’arrange .. Il m’arrive aussi de tuer, de me battre comme un saoulard ou de façon très minutieuse, de grapiller dans les rumeurs, de jouer à des jeux d’argents ou dangereux.

Réfléchissant encore, je passai en revue tous mes travers : je n’avais nulle honte dans ma vie, ou du moins pas à ma connaissance. Après une courte pause, le ton dubitatif, je repris.

Je peux aussi jouer les courtisans, j’ai pas mal fait dans la prostitution dans mon séjour à Férelden .. ça compte comme un travers ? Personnellement je verrais davantage la chose comme un atout.

Après tout, il n’y avait pas meilleur vecteur à infos et rumeurs qu’un bordel. Les plus prudes n’osaient pas s’en approcher, mais les confessions sur l’oreiller y allaient de bon train pourtant. Après, je n’en voulais jamais aux plus jeunes, il fallait oser pour se lancer là-dedans : dans mon cas, ce n’était pas fondamentalement volontaire, puisque j’avais réellement besoin d’un travail, ainsi que d’une cachette. Je haussai des épaules.

Et puis, passé un silence, l’elfe aborda un dernier sujet, qui cette fois-ci se recentrait davantage sur nos préoccupations plus actuelles.

Quant à vos méthodes... peut-être aviez-vous prévu une prochaine étape, après toutes ces fois à clamer votre pamphlet.

Je lui offris mon plus beau – ou effrayant – sourire, toutes dents dehors.

Vous n’avez pas idée, petit.

Décroisant des bras pour rouler des épaules, je changeai légèrement de position dans mon assise pour quelque chose de plus décontracté.

Les rumeurs se propagent très vite dans cette ville, comme je l’ai déjà dit maintes fois. Au cœur des hautes sphères, deux réactions sont très majoritairement possibles : soit ils vont s’indigner car il s’agit de faire bonne image, soit ils vont feindre et être pires. Ce sont des risques qu’il faut malheureusement prendre pour déceler les rats de cette cave.

Je sentais les risques derrière, dans ses réflexions possibles : indéniablement, cela mettrait certains servants elfes à la merci de leur atroce maître, mais justement, ce serait là que les choses pourraient s’accélérer.

Vous me direz à juste titre : « mais pourquoi provoquer davantage la douleur des elfes, dans ce cas ? C’est contre-productif ! » Détrompez-vous : déjà premièrement, si leur maître entend parler de ce mouvement, les elfes en entendront également parler, ce qui peut apporter un brin d’espoir – mais c’est hypothétique. Et deuxièmement, les raclures sont toujours faciles à repérer dans une cour, ..

Je marquai une pause, souriant, laissant planer un petit silence.

.. et une fois repérées, il suffit de les tuer. Et là, nous entrerions dans une seconde phase : celle où les conséquences de ce mouvement seront enfin prises au sérieux. Ce ne seront plus que des mots dans un pamphlet, mais du sang qui coule pour ramener la justice sur ces terres.

Finalement, je me levai, faisant face une fois de plus à mon interlocuteur assis tranquillement sur sa table pourrie.

Qu’en dites-vous ? Quelques paroles poignantes, une noblesse et bourgeoisie divisées et on se débarrasse des sacs à merde les plus puants sans que tout le monde nous en veuille non plus, c’est un bon départ pour cette cité, non ?

Un bon départ, oui. Car rien ne changerait fondamentalement en quelques mois. Il fallait toujours des années, voire une ou plusieurs générations de différences pour que les choses bougent réellement de façon significative.

La noblesse est déjà divisée avec la guerre, donc pourquoi ne pas profiter du chaos pour la diviser encore davantage ? C’est sans doute là-dedans que nous, .. vous ou n’importe qui .. pourra tirer son épingle du jeu.

Mar 16 Fév 2021 - 23:41

Sarie Vaharel
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「 Elle est belle, Val Royeaux 」
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Filasse ne tergiversait pas. Il respectait ses propres paroles, et se dévoilait sans une ombre. Peut-être gardait-il quelques détails à l’abri dans un jardin secret, Sarie ne s’en étonnerait pas, mais il ne chercha pas la petite bête. Cet interrogatoire ne visait pas la destruction de la moindre parcelle d’intimité de la potentielle recrue de leur réseau ; il servait avant tout à vérifier ses ambitions et sa stabilité. L’objectif était d’éviter de recruter un élément destructeur qui leur porterait tôt ou tard préjudice. Pour l’instant, Filasse respectait les critères édictés, et son honnêteté jouait en sa faveur. Il n’essayait pas de paraître plus blanc qu’il ne l’était ; il affirmait ses croyances et ses travers sans craindre de représailles.

A la mention de la Chantrie en tant que plus fidèle admiratrice, Sarie hocha la tête avec un sourire amusé sur les lèvres. Pour sûr, la religion andrastienne n’appréciait guère les pamphlets de Filasse en faveur des mages et des elfes. Avec ses textes, il perturbait leur quotidien de douces précieuses et les forçait à regarder la vérité en face. La vérité dérangeait, alors la violence et la répression s’imposaient comme réponse. La censure aussi. Le jeune dalatien songea qu’il serait formateur de jeter un œil aux autres écrits de Filasse. S’il en touchait un mot à Aglaé, il était certain qu’elle lui dénicherait en quelques jours tout au plus les livres demandés. En tant que barde, elle avait des accès partout dans Val Royeaux, et elle savait les employer.

Dans tous les cas, les travers de Filasse s’avéraient nombreux. Il lui délivrait une liste exhaustive, ou presque, et il n’en tirait aucune honte. Son visage indiquait même qu’il réfléchissait pour n’en oublier aucun, à croire qu’il mettait un point d’honneur à dévoiler tous les défauts qui accablaient son existence. Sarie s’amusa de constater que la Chantrie aurait très certainement ajouté « profanateur » à cette liste, mais il s’abstint de le faire remarquer. Il jugeait cette prise de position dans l’interrogatoire peu pertinente. Il tâchait mine de rien d’aller droit au but, sans se perdre dans des méandres de paroles qui l’égareraient dans ses analyses. Il n’était pas le plus fin limier lorsqu’il s’agissait de cerner le caractère d’une personne, il ne possédait pas les talents observateurs d’Aglaé.

— La prostitution ?

En revanche, cette soudaine révélation de Filasse le prit de court et la spontanéité parla d’elle-même. Les quelques rapports qu’il avait glanés n’en faisaient aucune mention, si bien qu’il n’avait jamais envisagé cette possibilité – comment aurait-il pu ? Cette information nouvelle le laissait perplexe, et il remercia intérieurement l’humain d’avoir déniché un tabouret pour s’asseoir en face de lui, au lieu de le surplomber de toute sa hauteur. Cette distance lui permettait de conserver son calme apparent, même s’il se doutait que son étonnement à moitié choqué s’était peint sur son visage pendant un instant. Il avait manqué de prudence. Il espérait à présent que cela ne se retournerait pas contre lui.

Filasse lui donna finalement matière à changer de sujet, même si ce dernier persistait à l’appeler « petit ». Il ne savait trop comment l’interpréter, alors il préférait voir un simple constat de leur différence de taille, ou même d’âge, plutôt qu’un commentaire sarcastique peu agréable. Il ne tenait pas à fournir à l’interrogé des munitions pour renverser l’interrogatoire en sa faveur – bien que cela lui servirait tout autant, car l’humain se dévoilerait alors sous un autre jour.

Sarie ignora la question évidente qui pointait le bout de son nez dans son esprit. A quoi bon se montrait aussi extrême dans ses actes ? Pourquoi faire nécessairement couler le sang ? Il connaissait déjà les réponses. Filasse avait évoqué un peu plus tôt le drame de Kirkwall. Pour faire avancer la cause des mages, Thédas avait eu besoin d’un détonateur, et l’explosion de la Chantrie par un apostat en avait rempli l’office. La violence mettait le feu aux poudres, de la même manière qu’elle avait donné naissance aux Felassan. La mort d’un elfe avait engendré la révolte d’Halamshiral, et la répression orchestrée par l’Impératrice avait galvanisé les elfes. Ils s’étaient rassemblés, et depuis, ils luttaient contre l’oppression. Le mage n’était pas assez naïf pour fermer les yeux sur toutes ces corrélations. Le pacifisme n’apporterait rien. Tôt ou tard, le sang coulerait. Et si les elfes n’agissaient pas, ils se videraient du leur sans jamais améliorer leurs conditions de vie.

A nouveau, il leva la tête pour croiser le regard de Filasse qui le surplombait de plus d’une tête. L’écart de taille était affreux.

— Pourquoi se contenter du chaos ? Le chaos n’engendre pas la paix, ni les avancées. La guerre entre les mages et les Templiers a clairsemé leurs rangs sans apporter de solution.

Sa question s’avérait plus rhétorique qu’autre chose. Elle introduisait son raisonnement ; et par la même occasion, les ambitions des Felassans sans pour autant les dévoiler au grand jour.

— La guerre fragilise d’ores et déjà le pouvoir orlésien. La question n’est donc pas de savoir qui tuer, mais de savoir comment s’imposer. S’imposer pour contraindre les puissants du pays de nous considérer en égaux. Ou tout du moins nous considérer comme une menace sérieuse.

Briala agissait en ce sens, et Sarie soutenait cette initiative. A harceler ainsi les deux camps, l’ancienne barde au service de Célène s’imposait comme représentante de la cause elfique, une personne que ni Célène, ni Gaspard ne pourraient ignorer à l’avenir. Accroître les efforts en ce sens s’avérait essentiel afin de ne pas perdre le mouvement.  

— De simples tueries rangeraient les elfes au rang d’assassins sans la moindre morale, ce qui nous desservirait.

Il marqua un silence, aussi pour chercher sa prochaine ligne d’action. Il ne tenait pas à en dévoiler trop d’entrée de jeu. Il tâtait encore le terrain, même si Filasse se présentait pour l’instant comme une bonne recrue. Il faudrait le mettre à l’épreuve pour s’en assurer pour de bon.

— A ce propos… qui pensez-vous que je sois ?

Filasse se doutait-il de l’existence des Felassan, et des raisons derrière cet interrogatoire ? Peut-être que sa question l’aiguillerait en ce sens. Après tout, il affirmait lui-même tremper dans les rumeurs et le jeu des informations.

— Vous êtes bien aimable pour encaisser toutes ces questions sans mot dire.


Réussite critique : Aucune nouvelle de la garde civile.
Réussite : La garde civile passe dans la rue, mais ne repère pas le bouge abandonné. Les deux fuyards entendent la garde passer dans la rue.
Échec : La garde civile fouille toutes les habitations, y compris le bouge abandonné. La porte est enfoncée au bout de la deuxième reprise, ce qui avertit les deux fuyards de l'assaut.
Échec critique : La garde civile fouille le bouge abandonné car elle a repéré les deux fuyards. Elle enfonce la porte du premier coup, les prenant par surprise, et mène aussitôt l'assaut pour les neutraliser.
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