[FB : Touchenuée 9:41] Double-face [PV Aden]

Malgré la chanson qui persistait dans les ombres de son esprit, la rencontre de Bougie illuminait sa journée. Il oubliait les tourments qui le tiraillaient pour se concentrer sur des évènements plus joyeux. Le marchand lui offrit la boîte de musique, lui tirant un sourire sincère. Cette générosité le touchait, peut-être plus que nécessaire, mais un peu de gentillesse alors que les ténèbres s’acharnaient sur lui ne faisait pas de mal. L’espace de quelques instants, il se laissait porter, le sourire aux lèvres, sans se soucier de ce qui l’attendait lors des prochaines heures. Pour le moment, il dessinait sans se prendre la tête, d’abord une boîte de musique, peut-être le marché ensuite, ou encore le portrait de Bougie.

Mais peut-être que Bougie n’accepterait pas. Sa demande le prenait de court, et la gêne empourprait ses joues. Sarie se retint d’esquisser les premiers traits, tant l’émotion se dégageait du jeune homme. Sûrement ne s’en rendait-il pas compte, mais il dégageait une aura fascinante, parfaite pour être capturée par quelques coups de fusain sur le papier. Le jeune dalatien s’imaginait déjà l’observer un temps, tandis que ses mains traçaient les courbes d’un geste précis. Il estomperait quelques côtés pour affiner le visage, travaillerait les ombres pour donner du relief à l’esquisse. Il ne comptait pas représenter tout le corps, seulement jusqu’au buste pour un gain de temps. Il ne tenait pas non plus à accaparer Bougie toute la journée ; ce dernier se montrait déjà bien aimable de le guider à travers les rues de Starkhaven.

— Cela ne me dérange pas.

Sarie tentait de le rassurer d’un sourire. Bougie n’avait pas à s’en faire. Il dessinait rarement ce qui ne l’inspirait pas, ou s’il n’en avait pas l’envie. Il se laissait porter par les émotions. Réfléchir ne servait à rien lorsqu’il souhaitait illustrer une scène ou un moment dans son carnet.

— Tu… tu as une aura assez fascinante et j’aimerai beaucoup l’immortaliser. Pour garder un souvenir.

Seulement, le marché ne constituait pas l’endroit idéal. Il n’avait pas vraiment la place de s’étaler, ou même de se poser ; et laisser Bougie debout le contrariait. Après une hésitation, il l’attrapa finalement par le bras et l’entraîna à sa suite. Il esquiva la foule qui se baladait encore entre les étalages, puis avisa un petit parapet de pierre en face du marché. Quelques personnes passaient devant, mais l’endroit demeurait calme ; personne ne l’occupait encore. Il invita donc Bougie à s’asseoir sur la pierre, tandis qu’il s’installait aussi. Il sortit de son sac son matériel, à savoir son carnet, un fusain, un tissu pour estomper et quelques couleurs pour donner vie à l’ensemble.

— Essaie de ne pas trop bouger. Promis, je ne serai pas long.

Sarie avait l’habitude de saisir un moment à la volée. Rien ne restait figé pendant des heures, il fallait être vif et rapide afin d’immortaliser une scène précise. Alors il ne tarda pas à se lancer, fusain en main. Il laissait l’instinct le guider, parfois regardait-il sa feuille, mais le plus souvent, son regard se perdait sur la silhouette androgyne de Bougie. Concentré, il oubliait le brouhaha ambiant du marché, qu’il dessina pourtant dans le fond du portait. Il n’appréciait guère les fonds vides, il préférait les remplir avec quelques éléments de décor. Cela l’aidait aussi à se rappeler les rencontres anodines, comme celle-ci.

Au bout de quelques minutes, l’esquisse prenait forme. Il affinait quelques traits, en estompait d’autres pour travailler les ombres. Le portrait prenait vie. D’ici peu, il ajouterait les couleurs, mais pour l’instant, il s’attardait sur le dessin en noir et blanc.

— Tu disais que tu avais un clan ?

Lorsqu’il dessinait, Sarie se sentait plus serein. La chanson ne le harcelait plus. Il savait qu’elle reviendrait tôt ou tard, mais pour l’instant, il l’ignorait plus. Un fin sourire sur les lèvres, il se concentrait sur l’esquisse, jetait quelques regards à Bougie pour être certain de ne pas commettre d’erreurs. Pour éviter de plonger dans un silence guère passionnant, en particulier pour son modèle du moment, il essayait de relancer une conversation. Le jeune homme avait évoqué des similitudes entre un clan dalatien et l’orphelinat de la Dernière Chance, où une résidence. D’une certaine façon, il tentait d’en apprendre davantage. Il n’oubliait pas les doutes qui l’avaient assailli plus tôt, cette envie aussi de tendre la main à Bougie pour le tirer de cette mauvaise passe. Peut-être qu’il ne pourrait rien faire, mais au moins aurait-il essayé. Il ne serait pas resté les bras croisés, à attendre que quelqu’un d’autre fît un effort.

Toutefois, Sarie demeura vague. Il ne tenait pas non plus à acculer Bougie avec des questions qui le dérangeaient. S’il ne souhaitait pas répondre, le droit lui appartenait.