[Flashback 9:41 Frimaire] Affronter ses peurs [PV. Dorian]

Quelle belle journée pour laisser traîner son regard à Fort Céleste.

Comme à mes habitudes, je rejoignis mon perchoir au sommet des remparts pour observer les entraînements qui avaient lieu dans la cour. Si d’ordinaire, ces Sudistes complètement fêlés s’entraînaient sans rien et dégoulinant de sueur au cœur des montagnes éternellement enneigées, le vent hivernal à peine arrivant les avait enfin ramenés à la raison. D’un autre côté, ne plus voir ces corps si superbement sculptés et perlant de sueur m’attristait quelque peu.

Pourtant, voilà que dans un coin de la cour, un Garde des Ombres s’entraînait. S’il n’attira pas directement mon attention, le guerrier attira à lui un attroupement des soldats de l’Inquisition, qui cherchèrent à s’entraîner avec lui. Un sourire perfide se traça sur mon visage, tandis que je voyais là une belle occasion de s’amuser. Je quittai mon perchoir pour rejoindre la cour.

Une fois à leur hauteur, je me mêlai sans peine à une petite foule enjouée, comme lors de combats dans une rue ou dans des tavernes bien agitées. Et puis, de façon relativement impromptue, quelqu’un eut l’idée avant moi de lancer les paris, et la foule se prêtait volontiers au jeu. Ah, des paris, il n’y avait rien de tel.

Pour la première manche cependant, je décidai d’observer. Le Garde, se révélant fort grand et fort costaud, ne parlait que peu, face à un adversaire qui cherchait désespérément à le provoquer. Mais pas de chance, il termina sa course au plus mal, ce qui ne fit que renforcer mon sourire.

Un grand et costaud Garde qui ne parlait pas beaucoup ? Quel choix de qualité que voilà.

Les combats s’enchaînaient, et je remportais chaque pari, car je misais sur le gagnant, évidemment. J’avais toujours du flair pour les paris, ce qui n’était pas plus mal compte tenu de ma chance moyenne aux jeux d’argents. A chaque manche, me voilà à récupérer ma somme, ainsi qu’un peu plus, pour mon plus grand plaisir.

Au quatrième nez cassé – une pensée pour ce brave nez Tévintide fier qui aurait une réaction de douleur à chaque manche, pensée amusante cela dit –, le guerrier enleva son heaume, pour le poser non loin de lui. Il révéla ainsi à la foule qu’en plus d’être grand, fort et calme, il était également fort charmant. Une très, très belle cible. Mais je n’allais pas me précipiter, ce serait tout gâcher.

Camille arriva vers lui avec une serviette pour le guerrier trempé, qui s’essuya sans échanger la moindre parole. Mmh .. dur à cuir ou gros timide ? Dans les deux cas, les choses seraient tout autant intéressantes ..

Sous les acclamations et les cris, le Garde des Ombres partit cependant, comme s’il vivait dans sa propre bulle. Curieux, je sortis de la foule pour le suivre de loin.

Cependant, malgré moi – n’est-ce pas –, il remarqua ma présence, et se figea. Quoi, encore quelqu’un surpris de la présence d’un mage Tévintide qui n’était pas surveillé ? Ah, il y avait de quoi lui sortir mon petit soliloque habituel. Mais contre toute attente, Camille m’appela sur ma droite et s’approcha de ma personne. Voilà qui me ferait gagner du temps, dis donc.

◊ Excusez-moi, Monsieur Pavus ? Auriez-vous une minute ?
◊ Ah, Camille ! Si j’ai du temps ? Mais voyons, j’ai tout le temps du monde en cette belle fin de matinée.

Pour ne pas dire qu’elle était glaciale et qu’elle me faisait regretter Minrathie et son vrai soleil, mais passons, je m’égarais.

J’adressai un regard dans la direction du charmant blondin bien monté pour m’assurer de l’avoir encore dans ma ligne de mire, avant de revenir à Camille. Il était encore là, discret malgré sa taille et sa carrure imposante, mais encore là.

◊ Dis voir, il a du cran le blondinet là-bas, tu le connais ?

La réponse de Camille fut des plus satisfaisantes. Un grand muet, hein ? Autrement dit, du défi ; parfait, cela m’occuperait.

◊ C’est mon cousin, Léopold… pour tout dire, je ne savais même pas qu’il était dans la Garde avant que je jette un œil à la liste des survivants de l’Inébranlable.

Ah, l’Inébranlable. Quelque chose de colossal, surtout en pertes pour la Garde des Ombres. Le pauvre gaillard devait être assez chamboulé par les récents événements, pour ne pas dire traumatisé. A se demander comment il se portait, mais à le voir s’entraîner, quelque part, ses raisonnements et actions faisaient du sens : s’entraîner pour se surpasser, mais surtout pour éviter de répéter pareille tragédie.

Camille s’adressa donc à son – charmant – cousin pour nous introduire mutuellement.

◊ Léo, je te présente Dorian Pavus, un thaumaturge et compagnon de l’Inquisitrice. Monsieur Pavus, je vous présente Léopold Louis-Philippe Clotaire de Haute Tour… *tousse* techniquement *tousse* ; il est lieutenant-garde d’Orlaïs. Contentez-vous de Léo, il a l’habitude…
◊ Fort bien, fort bien, « Léo ».

Je ne pus retenir un sourire franc à l’énonciation de la ribambelle de prénoms successifs. Ouh, cela puait la noblesse orlésienne, et pas seulement de par la consonance des noms évoqués. Cela dit, le « techniquement » était des plus intrigants, mais je gardais cette interrogation pour plus tard.

Après un léger blanc, je pouvais constater le mal-être du pauvre Léopold en face de moi. C’était limite s’il ne rougissait pas d’embarras en ce moment même. Mais après un petit silence, tandis que j’attendais patiemment qu’il réagisse éventuellement, Léopold sortit de sa petite bulle timide après un petit rappel physique de la part de sa cousine. Il sembla sursauter à ce contact, et se pressa de tendre la main devant lui, comme s’il avait oublié les manières l’espace d’un instant.

◊ Enchanté Monsieur Pavus. C’est un plaisir de vous rencontrer.
◊ Oh allons, pas de ça ici : appelez-moi Dorian, ce sera plus simple.

Et sans trop prendre mon temps, je calai ma main dans la sienne pour bien l’empoigner, et la secouer avec fermeté. J’étais certes raffiné et précieux, mais je ne manquais pas de poigne pour autant.

Puis, quelque chose de singulier se produisit : son regard se balança sur le côté, avant de revenir sur moi, et un autre silence se posa, un silence qu’il cherchait à remplir, je pouvais le voir sur son pauvre visage.

Après un petit temps, le blondin retrouva la parole.

◊ Je… même si vous ne me devez rien, j’aimerais vous demander une faveur.
◊ Oooh, déjà ? ~

D’humeur taquine, je croisai des bras, le sourire agrandi. Je savais qu’il ne dansait pas sur le même pas que le mien, et cela m’était égal : il n’y avait rien de plus amusant que provoquer les prudes jusqu’à la perturbation complète de leurs chemins de pensées. Vous savez, cet instant magique où ils réalisaient dans quel genre de conversations ils arrivaient, et se retrouvaient donc inévitablement coincés entre quelle réponse choisir, de peur de trop rentrer dans ce jeu-là. Je poursuivis donc, avec mon petit divertissement du jour.

◊ Nous nous connaissons à peine et vous cherchez déjà à sauter quelques étapes, .. ou pas que, qui sait ? Je vous vois venir petit charlatan.

A ces propos parfaitement maîtrisés, je lui adressai un clin d’œil, avant de poursuivre pour ne pas le laisser qu’en simple malaise.

◊ Mais passons, passons ; pour ce genre de demandes, nous verrons si vous êtes suffisamment sage, Léo. Faites-moi donc part de cette fameuse faveur que vous auriez à me demander.