Sous les parures et les frivolités [Ophélie - 5 Justinien 9:42]

Sous les parures et les frivolités
5 Justinien 9:42

"Ne pas se faire remarquer" était une règle absolue dès qu'on passait les portes du bascloître. Vers la ville, pour les elfes ; depuis la ville, pour les humains. Avec tous les événements qui avaient secoué le quartier, la plupart des gens avaient retenu la leçon, dans un sens comme dans l'autre. Les humains n'étaient pas si fréquents que ça - plus si fréquents, depuis l'incident des berruiers. À vrai dire, à part Rose qui venait pour leur petit commerce, il n'en voyait pas si souvent que ça. Et puis il y avait eu cette femme.

Jeune, trop présentable pour être issue d'autre chose que des hautes sphères, trop polie, trop gentille, trop incongrue dans cet environnement. Habillée autrement, en cachant le haut de sa tête, elle aurait pu se faire passer pour une elfe, dans sa morphologie comme dans ses traits, mais il y avait quand même des choses qui ne trompaient pas un observateur attentif. Et il avait assez côtoyé la noblesse pour les remarquer. Difficile d'enquêter sur elle tant qu'elle était dans le bascloître, cependant ; elle n'était pas dans son élément, donc rien n'était fiable.
Pas que quoi que ce soit puisse s'avérer fiable à Val Royaux, mais c'était une autre question.

Alors il avait trouvé une autre porte d'entrée. Étrangement, il n'y avait rien de plus simple que de s'incruster chez les humains. Avaient-ils seulement conscience que les domestique parlaient entre eux, chuchotaient, murmuraient des informations et des secrets ? Mais, plus encore, qu'ils entendaient tout, écoutaient tout ? Probablement pas. Aux yeux de beaucoup d'entre eux, les elfes étaient trop stupides ou trop dociles pour ça, voire les deux. En tout cas, la retrouver et obtenir une opportunité en or s'en apprendre plus avait été incroyablement simple. L'avantage de son apparence singulière, c'était qu'elle lui offrait une clef bien utile dès que l'exotisme devenait un critère.

Il y avait une fête, un événement visiblement assez important pour chercher du personnel supplémentaire et Yevlen avait sauté sur l'occasion. Il avait soufflé la plupart des autres volontaires sans la moindre difficulté - question de charme naturel - et avait réussi par miracle à se concentrer assez longtemps pour écouter la totalité des instructions. Il en avait besoin pour se fondre dans la masse, mais que ce pouvait être compliqué de les entendre déblatérer des règles sans pouvoir filer en douce. Il lui fallait une occasion de s'approcher de cette fille. Et ensuite, il s'occuperait de parler d'elle aux personnes importantes, si elle s'avérait dangereuse.

Le début des festivités arriva vite ; il n'avait jamais été du genre à faire dans la dentelle. Fille du propriétaire des lieux, la mystérieuse noble ne fut pas bien difficile à repérer, à observer. Il la surveilla du coin de l'oeil pendant un petit moment, mais ne tarda pas à s'approcher d'elle avec les verres qu'il transportait un peu partout et dans lesquels il devait lutter intérieurement pour ne pas se servir.

- Vous voulez boire quelque chose ?

Elle avait l'air encore plus fragile vue de près. Qu'est-ce qu'une femme comme elle pouvait bien venir faire au bascloître aussi régulièrement ?

Sous les parures et les frivolités
5 Justinien 9:42

Connaître - ou du moins soupçonné avec force – l’existence d’une organisation secrète n’était pas suffisant pour y entrer. Surtout pas quand on était une shem. Une noble de surcroît. Les elfes avaient toutes les raisons du monde de se méfier d’elle et il était difficile de leur prouver le contraire sans se faire remarquer aux yeux des siens. Sa famille n’était pas aussi riche qu’elle voulait le faire croire alors elle ne pouvait pas se permettre de distribuer de l’argent aux miséreux en espérant que sa générosité touche les bonnes personnes. Il ne restait que son influence, mais celle-ci était encore naissante, fragile et dépendante du Jeu. Un mauvais pas et elle pouvait se retourner contre elle en une fraction de seconde. Et se montrer trop proche des elfes était un mauvais pas ; il n’y avait qu’à voir les rumeurs qui entouraient l’Impératrice Célène et Briala.

Faute de meilleure alternative, Ophélie avait pris l’habitude de descendre au bacloitre quand elle le pouvait. Son corps menu jouait à son avantage parmi les petites silhouettes décharnées. Pour l’instant, elle ne faisait que se renseignait, prendre la température. Elle n’avait jamais connu que les serviteurs de sa maison, si elle voulait prétendre aider les elfes, il fallait qu’elle en sache plus à leur sujet, qu’elle connaisse les petites blessures qu’elle était en mesure de soigner.

C’était son objectif ce soir. Sa famille organisait une fête dans leur résidence de Val Royeaux pour célébrer ses débuts à la Cour avec un grand C, elle qui avait finalement quitté sa campagne pour venir jouer chez les grands. Bien sûr, avant toute chose, elle devait bien se faire voir, mais sa famille n’était pas assez en vogue pour que les gens vraiment important se déplacent. Oh, il y avait du prestige ce soir, mais aucun maître du Jeu. Et parmi tout ce prestige, une dame, Amelie Verchin. Elle s’était récemment découvert une passion pour la confection de chapeau mais plutôt que d’aiguiser ses compétences elle avait préféré faire virer une elfe très talentueuse qui avait osé lui suggérer quelques ajustements dans sa composition. Une injustice futile qu’elle pensait pouvoir réparer.

Songeuse, elle réfléchissait à la façon d'approcher sa cible quand elle fut interpellée par un de leur nouveau serviteur qui lui proposait à boire. Naturellement, elle se tourna vers lui et son expression s'assombrit quand lle le découvrit. Oh, ça ne la dérangeait pas de discuter avec un elfe, mais en voyant son beau visage tacheté de blanc, la raison de son embauche était évidente et cela lui faisait de la peine qu’un inconnu soit traité comme un oiseau au beau plumage. S’ils avaient pu, ils auraient mis sa tête sur un écran de bois accroché au mur, comme celles des animaux qu’on ramène de la chasse. C’est pour ça que les choses devaient changer.

« Volontiers », avec grâce, elle attrapa une des flûtes de champagne sur le plateau, sans toutefois la porter à ses lèvres, chassant la lassitude qui l’avait envahie pour retrouver son sourire de circonstance.

Il était clair pour elle que son interlocuteur avait été embauché pour son physique – et pas que pour sa couleur de peau remarquable – plus que pour ses qualités de serveurs. Il n’avait encore rien cassé fort heureusement, mais il lui manquait indubitablement quelques codes inhérent au métier ou la prudence de les respecter.

« Comment vous vous appelez ? », lui demanda-t-elle finalement sans agressivité. Elle voulait que l’intendant garde un œil sur lui, au cas où il s’attire des ennuis. C’était son rôle après tout de préparer le personnel aux mondanités et de leur éviter des mauvaises surprises. Elle aurait probablement dû s’en tenir à ça, mais comme elle ne le voyait nulle part, elle ne put s’empêcher de rajouter un conseil.

« Vous n’êtes pas obligé de parler aux invités, soyez juste là avec votre plateau quand ils ont soif, ça vaut mieux, sinon vous risquez d’attirer l’attention. » , souffla-t-elle avec un peu de condescendance mais surtout une bienveillance évidente.

Ceci dit, avoir l'arrogance de penser qu'elle savait mieux que lui n'enlevait en rien la pertinence de sa remarque : malheureusement attirer l’attention d’un noble était rarement une bonne idée. Entre ceux qui trouveraient que c’est un manque de respect, ceux qui cherchaient un bouc émissaire pour passer leur nerf après une déconvenue, ceux qui faisaient n’importe quoi parce qu’ils étaient bourrés et ceux qui avaient besoin de compagnie, les occasions de se retrouver en mauvaises postures étaient légion. C’est à ça qu’on reconnaissait les domestiques habitués à ce genre de soirée, ils se savaient être aussi invisibles que le mobilier et invisible était clairement un adjectif qui ne caractérisait pas son interlocuteur.

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Son expression avait changé. C'était la première chose qu'il avait remarqué après qu'elle eut tourné la tête vers lui. Un changement dans son regard, mais il n'aurait su dire lequel ; Quelque chose de négatif, en tout cas. Il resta de marbre, son plateau négligemment – du moins en apparence – tenu d'une seule main. Il avait plus d'adresse qu'il ne le faisait croire, mais c'était toujours intéressant de voir la réaction des gens s'il semblait sur le point de causer une catastrophe. Les humains étaient terriblement fragiles psychologiquement, pour la plupart, c'était facile de les perturber.

Il y avait une grâce visible dans ses mouvements, dans son attitude. Difficile de douter un seul instant qu'elle appartenait à la noblesse, ce qui rendant sa présence dans les bas-fonds d'autant plus suspecte. La plupart des nobles ne les voyaient que quand ça les arrangeait, et ils évitaient de venir salir leurs chaussures bien vernies dans le bascloître s'ils pouvaient s'en passer. Elle ne lui parlait pas avec le ton méprisant de certains de ses congénères, c'était toujours ça de pris.

- Yevlen, répondit-il posément en posant un regard circulaire sur la pièce.

Il ne connaissait pas grand monde, ici. C'était assez rare pour être souligné, vu qu'il arrivait généralement à dénicher quelques têtes familières. Très peu de haute noblesse dans cet endroit. Pour une raison qui lui échappait un peu, c'était toujours les plus faciles à séduire. Le goût de l'exotisme devait se mélanger d'une certaine façon avec l'excitation du danger.

Sa remarque suivante lui tira un petit froncement de sourcils. Elle était difficile à lire, il n'aimait pas ça. Les gens difficile à lire était par nature plus dangereux que les autres, et il n'appréciait pas spécialement qu'une personne potentiellement dangereuse traîne dans son quartier. Mais son expression disparut rapidement, remplacée par un air affable.

- Mais vous n'êtes pas une simple invitée, déclara-t-il dans le plus grand des calmes.

Il prenait des risques, mais il avait l'habitude. C'était une manière assez rapide de savoir si quelqu'un méprisait son espèce et le cachait pour une raison quelconque, ou si sa bienveillance était sincère.

Il s'écarta d'elle d'un petit pas pour moins attirer l'attention, décalant son plateau un peu en retrait, derrière lui, pour accompagner le passage d'une personne qui se servit sans lui accorder un regard. Un sourire malicieux étira ses lèvres.

- C'est mieux ?

Il n'aurait pas dû s'amuser alors qu'il mettait potentiellement sa sécurité en jeu, mais c'était plus fort que lui. Elle lui avait dit de passer inaperçu, autant lui prouver qu'il en était capable. C'était sa façon de fonctionner, après tout.

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Yevlen. Même si elle ne le montra pas, elle s’efforça de graver ce nom dans sa mémoire, son visage lui au moins n’était pas difficile à retenir. Après tout, c’était la première règle lorsque l’on essayait d’entrer dans un cercle : en connaître les joueurs.
Lors de son arrivée à la Cours, elle avait révisé les noms des familles nobles des coqueluches pendant plusieurs jours pour ne pas commettre d’impair, aujourd’hui, c’est ce qu’elle essayait de faire, mais avec les elfes.

Elle ne savait pas qui faisait parti des Felassan ou pas, c’est ça qui était aussi beau que traitre : cela pouvait être n’importe qui, aussi devait-elle s’efforçait de retenir les noms et les visages de tout le monde. Ou du moins, du plus de monde possible.

La plupart des serviteurs se seraient contenté d’acquiescer à sa remarque et de s’empresser de se faire discret, mais ce n’était pas le cas de son interlocuteur qui rétorqua avec un certain sens de la subtilité.

Elle doutait très sincèrement qu’il se soit comporté avec elle différemment parce qu’elle n’était pas une invitée, mais l’argument était imparable et cela lui tira un très léger sourire. Elle était à Val Royeaux désormais, même les elfes semblaient maîtriser le jeu. D’ailleurs, au cas où elle aurait voulu faire preuve de mauvaise foi, il s’empressa de lui prouver qu’il était capable de passer inaperçu en servant un invité qui ne le regarda même pas.

Il était tout à fait possible qu’il ait dit ça juste pour le plaisir de la répartie – après tout, elle même n’aurait pas hésité à dire un bon mot pour avoir le dernier  - mais elle était tout de même intriguée. Elle ne s’était pas spécialement présentée au petit personnel, donc s’il était réellement venu lui parler en sachant qu’il ne risquait pas de problèmes c’est peut être que ses petites bonnes actions commençaient à payer.

« Beaucoup mieux, Yevlen. »
Elle lui fit un sourire amusé, avant de reprendre.

« Donc vous saviez qui je suis, et vous saviez que je ne vous chercherais pas d’ennuis, je suis curieuse de savoir ce que vous savez d’autre à mon sujet ? »

Du coin de l’oeil, elle gardait dame Verchin dans sa ligne de mire. Elle n’avait pas oublié sa cible principale de la soirée, même si Yevlen lui offrait une distraction bienvenue.

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Parfois, le plus simple était de dire les choses directement. Les gens se méfiaient moins de la franchise brute que des sourires entendus et s'il passait dès la première seconde pour un elfe sans trop de manières, autant en profiter. Au moins n'avait-elle pas l'air de s'en formaliser – ça semblait même plutôt la faire rire. Difficile de savoir si c'était un bon rire ou non.

- On ne "sait" jamais vraiment rien dans cette ville.

Est-ce qu'il savait qu'elle ne lui chercherait pas d'ennuis ? Non. Il savait simplement qu'elle n'était pas une invitée comme les autres parce qu'il était venu ici pour elle, spécifiquement, et qu'il avait mené un semblant d'enquête. Mais pour le reste… elle aurait très bien pu être comme la moitié des êtres humains de Thédas, il avait parié beaucoup sur sa capacité à s'en sortir par une pirouette et un joli sourire.

- Mais vous semblez vous trouver assez souvent dans des endroits où vous n'être pas supposée être.

Si ses paroles auraient pu paraître menaçantes, son ton était calme, bien loin de ressembler à un reproche ou à une critique quelconque. C'était un constat pur et simple. Ce qui ne l'empêcha pas, du coin de l’œil, d'essayer de suivre son regard. Elle n'était pas entièrement concentrée sur lui, il la voyait regarder ailleurs de temps en temps et il plissa les yeux en déplaçant machinalement son plateau pour quelqu'un de passage. Impossible de savoir précisément ce qu'elle fixait. Un autre elfe ? Un garde à interpeler pour se débarrasser d'un serveur encombrant ? Un ou une prétendante ? Quelqu'un d'autre ? Le plus simple était sûrement…

- Des ennuis avec l'un de vos convives ?

… de poser la question directement. Toute information était bonne à prendre, et toute information pouvait devenir un précieux indice.