| W E N D I G O | (cordie&kytkat)

Il y avait une excitation inattendue à l'idée de briser les règles. Ça n'arrivait pas souvent (ça n'arrivait jamais), et ça n'était pas vraiment une règle, donc Kytha ne pouvait pas vraiment briser quoi que ce soit. Mais il y avait ce goût de l'interdit, à l'idée d'aller plus loin qu'elle ne l'avait jamais fait. Sans que personne ne le sache. Son secret à elle, sa manière d'aider de façon plus concrète. Siha serait furieux s'il l'apprenait, ou du moins très très inquiet, or la jeune elfe se persuadait qu'elle agissait pour le mieux. C'était ça, ou l'hyperventilation. Oh, Mythal. Rien que d'y penser...

Elle souffla très fort quatre ou cinq fois, puis répéta son mantra de relaxation.

« Un bébé halh court au ralenti, un bébé halh court au ralenti... »

Ça la remettait en perspective. Un peu. "Nerveuse" serait une description euphémique de la jeune elfe ; néanmoins, elle se dirigea dans le coin des ruines où elle dormait à part, prenant soin d'éviter le regard de quiconque sans quoi elle se trahirait beaucoup trop vite. Son espace de sommeil était impeccable malgré les énormes blocs de pierre qui avaient glissé d'un demi-mur. Une pile de livres et parchemins ramassés au fil de ses vagabondages, plusieurs gris-gris occulte, le tout couvert d'un tissu (peut-être un rideau à la base) reconverti en abri et classé par ordre de couleur. Kyts alluma de son doigt un bâton d'encens pour se calmer, prit la dernière gorgée de sa tisane, et se mis en position méditative. Dans sa besace, ses doigts vinrent trouver la fiole dérobée, celle qui scintillait d'un éclat rebelle. Le liquide bleuté miroitait les promesses de la terre, potion aux vertus incontestablement magiques. Elle soupira, inquiète, avant d'avaler le lyrium à grande goulées.

Jamais elle ne prenait ce genre de potions - lorsque disponibles, ce qui était déjà rare - avant de dormir. Augmenter son potentiel magique alors qu'elle glissait dans l'Immatériel, déjà victimisée au centuple par rapport aux autres mages, relevait de la folie. Ou de l'inconscience. Un nœud se forma dans son bas-ventre alors que les toxines somnifères de sa tisane commençaient à se révéler. Elle ne se rendit jamais compte qu'elle s'était roulée dans ses couvertures comme dans un cocon.


D'abord, elle ne remarqua aucun changement. Ç'aurait été un mauvais temps pour les insomnies. Et Kytha osa ouvrir les yeux.

Son corps était devant elle, couvert de végétation. L'elfe sautilla sur place, ravie d'avoir réussi l'étape 0.01 - lui restait toutefois de tester la potion de lyrium pour de bon. Elle s'en savait capable, de parcourir des distances infinies pour se poser dans les rêves de quelqu'un d'autre, ça lui était arrivé plusieurs fois par accident. C'était la première fois qu'elle le tentait d'elle-même, par contre. Les dents serrées, elle visualisa ce qu'elle cherchait.

Bientôt, l'océan émeraude miroitant le monde physique s'étira, tordu par ses souhaits et émotions. Le Phare inondait de sa lumière la Cité-Dans-Le-Ciel, et chaque îlot des rêveurs, très loin à l'horizon. Le Phare qui n'était pas un Phare, le Phare qui était une personne. Pendant des mois elle avait écouté le discours murmuré des esprits, fascination terrifiée racontée par-dessus une épaule spectrale. Des regards de biais, des rumeurs qui parlaient d'une flamme pleine d'espoir, de portails qui s'ouvraient et se fermaient et qui menaient vers le monde des vivants. Kytha tendit la main vers cette lumière. L'Inquisitrice. La distance était presque inexistante. La sienne, brûlante, éclatante.

« Là-bas. »


Arlath entremêla ses doigts dans les siens, et ensemble elles quittèrent les Tombes d'Émeraude en un soupir.

Elles se matérialisèrent sur une forteresse titanesque sculptée dans les étoiles, que Kytha interpréta rapidement comme une version littérale de ses attentes - Fort Céleste. Les échos d'un rêve se laissaient entendre d'une douce mélodie violette, et Kytha se laissa emporter dans la narration. Des ombres immatérielles elle se tissa un manteau, et Arlath adopta une forme plus tangible. Très grande, la Dame aux cheveux blancs revêtit un casque scintillant surmonté d'imposants bois de halh, telle une protectrice terrible de sa jeune Rêveuse elfique. Le bras statuesque de l'esprit de l'Amour s'étira pour pousser les portes du château.

« Pardonnez cette interruption, chère Dame. Mon amie et moi cherchons une audience. »

Mais alors que Kytha relevait sa tête prosternée (et franchement intimidée bien qu'elle se fasse violence pour que ça ne paraisse pas), elle fut bien surprise de ce qu'elle trouva.

Une fille. De son âge, à peu près. Les cheveux blonds en pleine révolution, trois têtes de moins que ce qu'elle imaginait. Une humaine, normale. Un concentré de joie et gentillesse qui vibrait au travers de son visage amical.

« Hummm..................... »

Kyts se tourna vers Arlath, appelant à l'aide sans bruit. Revint vers l'humaine.

« J-je crois... que je me suis trompée d'endroit..? »


« Arlath, elle brille, oui, mais... »


Kytha pointa "l'Inquisitrice".

« C'est... C'est toi ? La vraie ? L'élue des dieux humains ? Oh ! Fenedhis, j-je suis tellement impolie.... »

Elle devint rouge d'embarras, enchaînant les mots de plus en plus vite.

« Je ne suis pas déçue, pas du tout ! Voilà exactement ce qu'une personne "déçue" dirait... AU CONTRAIRE ! J'en fais trop ? J-j-j-je suis... Kytha ? »

Arlath soupira.

Arlath.

Soupira.

« Vraimentraviedefairevotre(ta?)connaissance! »

Kytha reprit enfin sa respiration. Elle se jura de ne parler à personne pour la prochaine année, histoire de purger toute l'anxiété de cette interaction sociale dans le brasier de l'isolation.

Elle pirouetta une seconde fois.