Le Chant dans leur veines. [PV Briala]

Les bas-cloîtres étaient étonnamment calmes. L'air était sec, et pas âme qui vive ne rôdait dans les rues sales d'Halamshiral. Cela arrangeait Cullen. Son opération était juste, et apporterait l'ordre à l'endroit mais... Ce qu'il s'apprêtait à faire était comme plonger dans un lac d'eau sombre. Qu'il fasse un plat ou un plongeon parfait, le résultat était le même. Mais une option était préférable à l'autre. Il était étrange de penser de la sorte. Le Commandant de l'Inquisition n'était pas forcément habitué à oeuvrer dans une furtivité relative, même si il était conscient que lui et sa troupe était aussi voyant aux habitants qu'un éléphant dans un magasin de porcelaine. Dans ses années passé dans l'Ordre, il avait toujours œuvré dans la lumière.

C'est pour cela que tout cela rendait Cullen inconfortable, comme si tout ce qu'il avait planifié était maladroit. Ils n'avaient pas le temps de faire autrement, de toute façon. Il avait à peine attendu l'aval de sa consoeur Rossignol, ou même Joséphine pour faire cela. C'était bien trop important. Ce qu'il avait découvert l'avait touché jusqu'au plus profond de ses valeurs, jusqu'au plus profond de tout ce qu'il avait toujours défendu.

Et bien sûr, comme beaucoup de chose qui se dressait sur son chemin, son passé y était directement lié. Après la chute de Darse aux mains de Corypheus, ses servants n'ont cessés de multiplier leur influence et leur opérations dans les pays de Thédas. L'Ordre des Templiers fit place aux Templiers Rouges, mais alors qu'ils ont décuplés leur force, ils n'ont rendu qu'encore plus apparent une faiblesse qu'il était logique d'exploiter.

Sans le bras crochu de la Chantrie pour fournir le Lyrium, les Templiers renégats ont dû trouver d'autres moyen de s'en fournir. Et chez les Templiers Rouges, c'était une autre chose entièrement différente qu'il leur fallait. Le mot le fit grimacer alors qu'il passa dans son esprit. Du Lyrium Rouge. Une substance assez potente pour corrompre n'importe quel cœur. C'était l'arme de guerre de l'Ancien, sa Lance et son Bouclier. Si Cullen pouvait briser la hampe et fendre le bois... Il pourrait permettre à l'Inquisition d'avancer.

Et là, peut-être pourra-t-il lui être utile. Peut-être pourrait-il être performant sans lyrium. Le doute qui le rongeait menaçait de semer les graines du doute. Un doute oxydant, qui corroderait le métal de sa détermination ainsi que sa confiance en soi. Le Créateur seul savait ô combien il avait besoin de cette confiance. Mais l'heure était trop cruciale. Ses bottes de métal martelaient les pavés de la rue, et la cadence rythmée de ses soldats le fit remonter à la réalité.

Les bas-cloîtres étaient tortueux, et plusieurs fois les agents de l'Inquisition ont dû rebrousser chemin. C'était incroyablement frustrant. Qui avait bien pu construire cet endroit ? N'avaient-ils aucun soucis à propos des habitants de la ville ? La douce naïveté de ces pensées le fit rappeler que même si il approchait la trentaine, il avait encore tant à explorer dans le monde. Ses années dans l'Ordre lui avait laissé peu d'opportunité de sortir, celle-ci se comptant sur les doigts d'une main. Et quand il avait enfin une permission, il ne l'utilisait pas pour aller dans ces cloaques.

Il aurait dû payer un guide. Il perdait du temps, temps qui lui était précieux. Si il allait pouvoir suivre la piste laissé par les contrebandiers de Lyrium Rouge, peut être même les contrebandiers eux même, il devait être aussi rapide que l'éclair. Il accéléra une nouvelle fois le pas, accentuant le bruit de son unité exponentiellement. Tant pis. Il n'avait jamais été discret, de toute façon.

Un vieux bâtiment, d'un bois décoloré et pourri, apparu en face de lui alors qu'il termina un dernier tournant dans les blocs de maisons. Un soulagement l'emplit aussitôt, et il fit signe à ses soldats qu'ils étaient au bon endroit.

L'anxiété d'un début de bataille se fit sentir dans le sang de Cullen. Son pouls ralentit, car il n'avait aucune idée de ce qu'il se trouvait à l'intérieur. Il avait juste confiance en ses capacités et en ses chances de victoire.

Du moins, c'est ce qu'il espérait.

Le premier moment de silence, permit par le déploiement rapide de ses troupes qui avait dégainé leur lames avec discrétion, fut brisé par un bruit sec. Un bruit sec d'une porte enfoncée, qui fut rapidement suivi par les pas rapide d'une marche de combat.

Cullen ne souriait pas derrière son expression de concentration extrême. Il ne pensait qu'à une chose.

Il allait couper les vivres de Samson, et il allait le laisser sur des charbons ardents. C'est tout ce qu'il méritait après la chute de Darse.

Quand une de ses agentes en poste à Halamshiral lui a envoyé ce message, elle n'a pas voulu y croire. Que des elfes vivant dans la crasse et la pauvreté tombent suffisamment bas pour faire des activités illégales, du trafic, elle peut le comprendre, et elle n'a jamais essayé de les en empêcher. C'est parfois leur seul moyen de survivre dans la terreur de leur quotidien, à la merci de n'importe quel humain aux sautes d'humeur violentes. Mais trafiquer des substances terriblement dangereuses ? Mettre leur vie en péril alors qu'ils essayent de justement mieux vivre ? Elle ne comprend pas. Elle se doit d'agir, de les sauver d'eux-mêmes. Leur faire comprendre qui elle est, ce qu'elle fait, leur offrir une porte de secours, les laisser prendre les armes pour l'accompagner dans sa lutte.

Alors elle est venue rejoindre au plus vite Velle, l'agente qui l'a contactée, et avec elle a tenté de comprendre mieux cette histoire. Elles ont remonté la piste des informations de Velle, elle a découvert le nom de cette substance dangereuse dont l'espionne lui parlait : le lyrium rouge. Briala a entendu parler du lyrium, bien sûr, cette substance magique ingérée par les Templiers pour leur conférer leurs pouvoirs. Elle n'en sait pas beaucoup plus, uniquement ce qu'elle a entendu dans les couloirs du Palais Impérial, à travers la porte durant les réunions de Celene avec des représentants de la Chantrie, ou dans son lit, tandis que l'Impératrice lui contait les mésaventures de ses commerçants avec des négociants nains. Mais ce lyrium rouge, elle n'en a entendu parler que dans les tavernes, à travers les histoires racontées par des voyageurs ou des elfes s'étant confrontés à des Templiers rouges. Qu'a-t-il de spécial, ce lyrium, si ce n'est rendre incroyablement plus violent et monstrueux des humains déjà déplorables ? Elle ne le sait pas, mais elle fait confiance à Velle, et à ses informateurs.

Elles ont remonté leur piste jusqu'à un lieu, a priori un point de rendez-vous pour les trafiquants et leurs clients. Un vieux bâtiment délabré, à peine remis sur pieds suite à l’incendie de la basse ville l'an passé. Velle s'est positionnée sur les toits, son arc en mains, prête à intervenir si Briala lui fait signe. Quant à elle, la maître-espionne s'est glissée par une fenêtre du bâtiment, cachée dans l'ombre de son voisin. Son arc est rangé, mais ses dagues sont à portée de main, quoique toujours dans attachées à sa ceinture. Son objectif est de ne blesser personne, simplement de se faire entendre. Mais elle ne peut être trop prévoyante. Si ?

Elle fait quelques pas, sur la pointe des pieds, testant les planches au préalable, qu'un grincement ne vienne pas alerter ses cibles. La pièce dans laquelle elle se trouve est presque vide. Quelques caisses jonchent le sol, ça et là, mais elle n'ose les ouvrir pour le moment. Elle doit d'abord parler avec les pauvres elfes qui se sont fait prendre dans ce trafic. Elle approche des escaliers, s'apprête à descendre, quand elle entend dans la rue des bruits métalliques. Comme une marche de guerre.

Quatre pas rapides en arrière, en posant ses pieds sur les lattes qu'elle a déjà testées, elle observe par la fenêtre par laquelle elle est entrée, sans se montrer.
Des soldats.
Elle plisse les yeux pour mieux distinguer leurs armures.
L'Inquisition ?
Elle a fait son enquête, ils ne sont pas hostiles envers les elfes. Elle n'a pas encore pu rencontrer l'Inquisitrice ou un de ses sbires, mais ils ne sont pas ses ennemis. Pas qu'elle le sache. S'ils sont là, c'est sûrement pour le lyrium rouge. Elle peut trouver un arrangement. Tout n'est pas perdu.
Elle reste immobile, cachée, en silence. C'est à peine si elle respire, trop concentrée sur la scène sous ses yeux. Les soldats se dispersent dans la rue. L'un d'entre eux enfonce la porte dans un bruit sec.
Pitié, que les elfes ne soient pas là.

Elle cherche en urgence parmi les soldats leur chef. Il est reconnaissable, son armure est différente, ses armes aussi. Elle n'a pas le temps de réfléchir, elle attrape une flèche, y enfonce un morceau de tissu blanc qu'elle déchire sur sa tunique d'un mouvement sec.
Elle vise le sol devant les pieds du chef.
Tire.
Range son arc.
Au moins, elle est hors de danger.

La porte se brise. Le bois tombe. En quelques secondes, ce qui séparait les trafiquants de la colère de l'Inquisition venait de disparaître. Rapidement, les soldats professionnels de Cullen se déployèrent dans l'entrepôt. Les capitaines criait des ordres, et dans sa concentration le Commandant ressentit quand même une pointe de fierté. C'était ses hommes. A partir de rien, il avait pu soulever une force digne de ce nom, et bien plus encore.

Il ne laisserait pas tomber l'Inquisition. Même sans Lyrium, il pouvait toujours faire confiance à ses hommes. Tout semblait se dérouler selon le plan. Et il n'aimait pas ça. Car comme chaque commandant le savait, les plans ne servent à rien. Mais la planification est indispensable.

Un bruit bien trop familier éclata dans le chaos. Une corde d'arc venait de se détendre brusquement. Avant même qu'il ne puisse crier attention, une flèche drapé de blanc se planta dans le sol en face de lui. En revanche, son regard avait été assez rapide pour extrapoler la position du tireur en fonction du bruit, ainsi que de la trajectoire de la flèche. Il leva son bouclier, et cria aux hommes qui n'étaient pas encore rentrés dans l'entrepôt. Le reste pourrait s'en occuper, ou les signaler. Leur adversaires n'était censés être que des elfes, après tout. Samson ne risquerait pas d'envoyer des templiers entraînés ici.

« Avec moi ! Allons investiguer ce tireur. »