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Invité
Sans l'aide de Fabien, Servis n'aurait certainement pas trouvé la force de se relever. Il se sentait tout cotonneux, preuve que l'alcool commençait à quitter son crâne pour se diffuser à ses membres. Ou alors non, preuve simplement que l'alcool avait atteint son système sanguin, car sa tête lui tournait toujours terriblement. Une fois la petite porte ouverte, il pouvait caresser sa liberté du bout des doigts.
Fabien lui conseilla de prendre garde au montant de la porte, conseil auquel Servis ne répondit que par un grognement distrait, automatique. Contrairement à bien des autres hommes de sa taille, et quelques très rares femmes, Servis n'avait pas développé cette démarche particulière, élastique mais voûtée. Son dos était droit en toutes circonstances, son regard fixé droit devant lui. Alors lorsque son front heurta le dit obstacle il grogna encore, pliant laborieusement son dos. Ce qu'il pouvait détester avoir à courber l'échine, ces portes aux dimensions ridicules ou plus généralement ce monde qui refusait d'accepter son ambition de corps et d'esprit !
Dans le couloir, il se détacha de Fabien, certain de pouvoir se déplacer seul. Il remonta le couloir rapidement, d'une démarche certainement approximative, et retrouva les tables attendant d'être couvertes de victuailles pour la fin de la représentation.
Mécaniquement, il rejoint le hall d'entrée, et retrouva l'escalier. Les marches sous ses pieds le faisaient tanguer, mais l'esprit de Crassius était vide, si vide qu'il ne chercha pas à estimer le nombre d'étages montés. Chaque marche lui semblait un piège mortel qu'il choisissait d'ignorer, comme le poisson ignore l'hameçon. Il risqua de glisser à deux reprises, appuyant ses grandes mains sur les portes des murs, et une fois son épaule. Finalement il s'extirpa des escaliers et s'engouffra dans la première loge venue, se glissant il l'espérait sans bruit dans son ombre.
Il n'était pas dans la bonne loge, et il n'était pas le bienvenu.
La ville de toutes les lumières
Haring, 9:41 du Dragon
Feat. Crassius Servis
Archéologue Tévintide - ■ ■ ■
Servis ne s’opposa pas tant que cela à accepter mon aide pour se lever et partir. Cela l’arrangeait bien, il fallait dire, surtout vu comment il peinait à trouver son équilibre au début. Mince, je n’aurais peut-être pas dû le faire boire autant .. Cela m’apprendra à vouloir me divertir.
Comme anticipé, il se cogna contre l’encadrement de la porte. Je ravalai un rire. Si fortement. Mais décidai de ne pas le laisser éclater, aussi tentant cela s’avérait.
◊ Pas trop mal, ça va ?
Je ne savais pas s’il était réellement en état de me répondre ou non, mais il poursuivit son chemin. Progressivement, il se détacha de mon aide – en soi c’était apprécié –, pour déambuler seul dans le hall. Il fallait dire que de voir un homme de sa taille et de sa finesse tanguer à chaque pas dans un tel endroit, il y avait de quoi rire. J’émis un petit ricanement, avant de réaliser que ses longues jambes étaient progressivement en train de me semer. Je pressai quelque peu le pas.
◊ Oh eh, attendez un peu, l’ami !
Et puis commença la montée des escaliers. Chaque marche devait être un enfer qui ne me faisait regretter nullement d’avoir raté une grande partie de la pièce pour un tel spectacle. Une soirée mémorable en somme, sans doute pas pour les raisons espérées. Et puis, alors que je m’attendais à ce qu’il s’arrête au bon étage, il .. continua de monter. Je fronçai des sourcils, peinant à le suivre – il montait les marches de quatre en quatre, ma parole ! Il finit par s’arrêter à un étage de trop de notre position, et disparut au tournant dans un couloir. J’avais un pressentiment dont j’ignorais s’il était bon ou mauvais, mais j’en avais un. Je me tendis. Quelque chose allait se passer, et pas du tout comme lui ou moi l’aurait prévu.
Servis pénétra une des loges, étrangement silencieuse. Normalement, Orlésiens comme sont les spectateurs de ces loges, j’aurais pu entendre certaines voix s’indigner à sa présence, mais rien de bien terrible. Le silence complet : était-ce une loge vide ? Cela me semblait étrange que certaines soient vides à cette soirée pourtant, ce salaud attirait toujours des foules pour ses pièces écrites avec le cul. J’approchai sur un pas plus silencieux, sur mes gardes, mes sens en alerte. Je préférais rester en retrait dans le cas où rien de bien particulier ne se passerait. Mais après tout, nous étions à Orlaïs, comment rien de bien particulier ne pouvait se passer ?
Invité
Lorsque les yeux du mage se furent habitués à la pénombre studieuse de cette loge qui n'était donc pas la sienne, une fois qu'il eut fini par stabiliser son équilibre précaire, Crassius compris son erreur. Deux hommes occupaient cette loge. Un assis dans un fauteuil, ou plutôt mollement avachi, l'autre debout derrière lui. Celui qui se tenait debout portait l'uniforme des employés du théâtre. Le mage hésita un instant. Il prit une gorgée de son verre et s'adressa au serviteur en chuchotant, bien conscient qu'il n'allait plus être capable de retrouver son chemin seul, soucieux également d'expliquer sa brusque intrusion :
Quelque chose le fit hésiter de nouveau. Il y avait une sorte d'inexactitude dans la scène qu'il avait devant les yeux. Dans l'attitude de ce serviteur qui lui faisait maintenant face. Dans l'arme qu'il avait en main ainsi que dans la mollesse du corps de l'homme affalé dans son fauteuil. Servis fronça les sourcils, réalisant brusquement le tour sinistre que venait finalement de prendre sa soirée. Reculant en direction de la porte, il ne put que jurer :
Une voix transperça doucement des ténèbres lui faisant face, depuis cette silhouette monstrueuse formée par l'homme dressé, dague à la main, et par sa victime avachie. Un accent Orlésien digne et posé distilla avec calme quelques consignes, usant d'une intonation sans appel. L'homme, l'assassin, semblait être d'un grand professionnalisme.
Par instinct, peu choqué par ce qu'il venait de découvrir, et maintenant rassuré par les bonnes intentions du meurtrier à son égard, Crassius aurait souhaité rebrousser chemin, s'effacer de ce seuil et repartir à la quête de sa propre loge. Lui ? Un héros ? Le mage ne put s'empêcher d'afficher un instant un air des plus narquois, mais devant l'incongruité de sa propre attitude, son sourire se fit évanescent.
Puis, provenant par le balcon, de nombreux applaudissements retentirent, rappelant le mage à la réalité. Le théâtre, la foule d'Orlésiens le peuplant, l'homme décédé dans cette loge et lui, un Tévintide, Mage de surcroît, se promenant dans les couloirs, plusieurs bouteilles de vin coulant dans ses veines. On l'avait vu quitter sa loge au beau milieu d'un acte. Et quelqu'un avait certainement dû le voir errer à cet étage. Dans sa soudaine paranoïa, Crassius se remémora soudainement la petite vendeuse de tickets, et se mit brusquement craindre un quelconque piège, visant à l'incriminer pour ce meurtre, le muant ainsi en un simple pion sur le grand échiquier politique autour duquel s'affrontait certainement ces deux grands empires rivaux, les deux grandes nations qu'étaient Orlais et Tévinter.
Alors, lorsque l'assassin bougea vivement, s'élançant sur lui, sur la sortie, Crassius ne recula pas. Au contraire, ignorant les recommandations de l'assassin, il étoffa sa silhouette élancée et chercha à lui barrer la route. Il était hors de question que Crassius se laisse accuser comme cela d'un meurtre qu'il n'avait pas commis.
Répéta inconsciemment le tévintide, se préparant à l'impact et contractant ses muscles et en baissant son centre de gravité.
*Il a une dague.* Pensa Servis en attendant le choc. *Couverte du sang d'un total inconnu. S'il me plante, ce sang se mêlera au mien.* Pris par ses trop nombreuses, trop limpides et hygiéniques pensées, Servis n'anticipa pas l'impact. L'épaule de l'assassin heurta violemment son flanc, tirant sur les chaînettes décoratives de sa tenue et coupant pour un temps seulement sa respiration. Le souffle court, Servis bascula en avant, entraîné dans la chute du faux serviteur, mais véritable meurtrier. Il s'étala sur lui et, ne trouvant rien de mieux à faire pour temporiser, chercha à l'écraser de tout son poids. Légèrement paniqué par la tournure des événements, Servis ne parvint pas à penser clairement. Que cherchait-il à faire ? Il n'allait pas attraper cet assassin comme un vulgaire lapereau ?
Alors qu'il s'était légèrement écarté, se laissant entrainer par ses pensées et par l'alcool de son sang l'assassin profita de ce regain d'espace pour venir frapper violemment le visage du mage.
Alors que l'insulte hautement gratuite qu'il lui avait proférée voletait encore quelque part dans le subconscient du mage, Servis s'écroula vers l'arrière, les mains plaquées sur son visage, la vision complètement troublée de points noirs et blancs. Une intolérable douleur l'assaillit alors que ses épaules frappèrent le plancher.
Sa voix, outrée, trembla légèrement alors qu'il tâtonnait à l'aveugle les ravages qui avaient étés faits à son royal attribut facial. Ce nez busqué était la marque de fabrique des Servis, il se transmettait à coup sûr de génération en génération alors même que le don de magie était lui plus capricieux. Au milieu de sa douleur, les doigts poissés par son propre sang, Crassius sentit son agresseur s'écarter de lui. Devant sa fuite plus que probable, le mage tenta de se reprendre, se redressant douloureusement sur son séant. Tentant d'y voir net, il entendit la porte de la loge se refermer, et la panique menaça de nouveau de le submerger.
Plus perturbé que jamais, Servis se précipita vers la porte de la loge et accrocha sa veste à la poignée par mégarde. Il s'y arracha avec brusquerie et l'abaissa, ouvrant violemment sur le couloir.
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Haring, 9:41 du Dragon
Feat. Crassius Servis
Archéologue Tévintide - ■ ■ ■
J’attendis encore un peu, le regard plissé.
Quelque chose d’anormal flottait dans l’air. S’était-il évanoui là comme un déchet à cause du vin ? S’était-il installé là pour siester ? Toutes ces pensées m’amusaient.
Cependant, et ce, rapidement, des bribes de voix me parvinrent. J’atteignis le sommet des escaliers, la porte de la loge bien en vue, et réalisai qu’en effet, Servis n’était pas seul dans la loge. Mais il me fallut un petit temps d’attente, avant d’entendre un choc, comme si quelque chose – quelqu’un ? – venait de tomber à même le sol, et ce, de tout son poids.
Je pressai quelque peu le pas, avant d’entendre quelqu’un jurer avec un bon accent du coin. Abruti ? Mais que diable était-il en train de faire dans cette foutue loge ?
Roulant des yeux, je m’approchai, avant qu’une ombre ne jaillisse de la porte qui claqua derrière lui. Masqué, et sûrement fort occupé, il me bouscula de son épaule pour se frayer un chemin. Je grognai d’indignation, regagnant ma posture et époussetant mon épaule heurtée.
◊ Quelles manières, moineau .. !
Mais une plainte attira mon attention. Une plainte qui venait de derrière la porte, justement. Il ne l’avait tout de même pas ..
Pas le temps de se poser de questions, la porte s’ouvrit d’elle-même. Dans un fracas mémorable, il propulsa la brindille désarticulée qui lui servait de corps à travers la sortie. Il avait l’air un peu sonné, comparé à avant. Une certaine panique pouvait se lire sur son visage. Surpris dans un premier temps, je le regardai dans le blanc des yeux un instant, avant d’éclater de rire. Un rire sifflant, mais honnête et de bon cœur. La tête qu’il tirait bonté divine. Sa dégaine, son expression, et la gueule de son pif. Rien n’allait dans ce tableau, vraiment rien. Il me fallut un certain temps avant de reprendre un peu le contrôle de mon corps. Ricanant toujours, je m’approchai, analysant son état : il saignait assez abondamment, l’autre gueux ne l’avait pas loupé en tout cas.
◊ Eh bien, si je m’attendais à ça ..
Toujours avec mon soupçon de rire sur les lèvres, je fermai la porte avec souplesse, l’air de rien. Je savais que quelque chose de pas très légal s’y était passé, alors autant filer d’ici rapidement. Par chance, personne n’était encore sorti dans cet étage, et je n’avais croisé personne en venant. Je lui attrapai le bras avec un certain calme, avant de commencer à nous diriger vers les escaliers.
◊ Allons, retournons dans notre loge, cette fois, voulez-vous ?
Jamais je n’allais oublier la tête que ce Tévintide avait tiré en sortant de cette salle. Ô grand jamais.
Invité
Douleur, incompréhension et nausée guidèrent ses pas. Enfin, pas exactement. l'incompréhension guida ses pas, alors que la douleur et la nausée le firent tituber pitoyablement jusque dans le couloir, où il tomba face à face avec Fabien. Il tombait à pic celui-là : il allait pouvoir l'aider à attraper le meurtrier, a moins bien sur que tout ceci n'ait été qu'un vaste piège visant à l'incriminer de la mort de l'homme de la loge, lui, pauvre Tevintide de son état, si innocent, si...
Le voila qui délirait à présent.
Instinctivement, il chercha son bâton du bout de ses doigts, mais bien évidemment, il n'était pas venu au théâtre armé. Ce genre de choses ne se faisait pas, du moins pas aussi frontalement. Il songea alors à sa lame courte, dissimulée dans sa botte. Il lui faudrait bien trop de temps pour s'en saisir, pour la sortir, et pour se montrer menaçant. Fabien n'avait qu'à le pousser dans la pièce, à la maintenir fermé et à hurler pour attirer l'attention sur lui.
Sa lame, destinée à sa protection, n'en ne serait alors que plus incriminante. Sentant la panique le gagner, perdu dans ses suppositions, Servis sentit Fabien se saisir de son bras. La machine se mettait en marche, il n'était plus tant de paniquer.
Douleur, nausée et incompréhension s'emparèrent de nouveau de lui. Il faillit perdre connaissance, sentant sa tête meurtrie pencher largement vers l'arrière.
Protesta-t-il, alors qu'il aurait en réalité voulu signaler au dramaturge la présence du corps dans la loge derrière eux, la présence menaçante de l'assassin masqué et déguisé en serviteur, la présence du sang coulant abondamment de ses narines douloureuses et qui l'empêcheraient probablement de reprendre simplement place dans leur véritable loge, attendant que la pièce se termine. Il grogna, incapable de réfléchir aux mots adéquats, et pencha de nouveau dangereusement, voyant des étoiles tracer une course circulaire et rapide autour de sa tête.
Il fit un pas en avant, mais cet effort fut celui de trop : il s'écroula au sol.
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Haring, 9:41 du Dragon
Feat. Crassius Servis
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Servis ne semblait vraiment plus répondre du tout. Il ne fit qu’évoquer son nez dans la panique la plus hilarante qu’il m’avait été donné de voir. Bon, en bon samaritain, je me disais que de le ramener dans la loge serait une bonne chose à faire, mais voilà que la longue brindille qu’était son corps s’étala avec grâce et drame dans le couloir. Pris par surprise, il ne me fallut que quelques secondes avant de rire de nouveau. Quelle soirée palpitante.
Je me penchai alors vers lui, et déposai dans sa poche le chiffon contenant les morceaux de viande séchée, ne savait-on jamais. Puis, je laissai une petite tape sur son épaule, avant de me relever.
◊ Bon, c’est pas tout ça, mais personnellement je vais filer, hein ..
Ravalant toujours un peu mon rire, je pris le chemin des escaliers, regagnant ainsi la loge où j’étais. Pas le temps d’y entrer, la porte s’ouvrait déjà, me faisant atterrir sur ce brave Etienne. Je pouvais sentir à travers son masque qu’il était furieux, autant qu’inquiet.
◊ Mais par le Créateur où étais-tu passé encore ?!
◊ J’ai .. heu.
Comment raconter cette histoire ? Sérieusement ? Courroucé par le fait que je lui avais tout bonnement faussé compagnie, il m’attrapa par le bras et m’entraîna vers la cage d’escaliers.
◊ Nous aurons tout le temps du monde pour en discuter à la Page Blanche, Fabien.
◊ Allons, Etienne .. !
Quel homme dramatique, tout de même. Mais je me laissais entraîner par son élan spontané. On aurait dit un vieux couple, c’était si spécial. Mais Etienne avait toujours été ainsi : casse-pieds. Ah, Etienne, fleur bleue beaucoup trop susceptible. Me voilà avec un sermon futur de plusieurs heures pour m’expliquer – encore – à quel point j’étais un être misérable. Mais bon, demain il aurait oublié. J’avais l’habitude de cette petite routine installée, et à y penser, mon sourire s’élargit en avance.
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