Derrière le masque [Fabien]

Si Lemia laissa s’échapper de légers rires ou expressions qui allaient dans ce sens occasionnellement, elle semblait malgré tout fatiguée. Sans doute l’adrénaline de toute à l’heure qui commençait à redescendre, du moins, je l’espérais. Elle m’offrit une réponse quant à mon désir de me préserver malgré tout.

◊ Honnêtement, je suis plus adepte des coups d'épée en plein visage que des coups de poignard dans le dos. Je n'ai pas grand-chose à faire de ton identité.
◊ Et j’en ai eu un bel aperçu.

Je ne pus retenir un ricanement de franchir mes lèvres en repensant à la situation pourtant encore si proche de nous. On venait de se battre à moitié, et nous voilà à boire une bière ensemble. Ou plutôt : elle m’avait attaqué dans ma chambre, et je lui avais offert une bière. De mieux en mieux. En parlant de bière, les voilà qui arrivaient. Je remerciai la serveuse avant de m’emparer de ma chope pour la lever dans la direction de la rousse. Mais je notai l’information au sujet de ses façons de procéder : une fonceuse, pas une fourbe. Intéressant.

◊ Enfin je peux broder, il paraît que Ash est un nom commun dans les Marches Libres.

Et elle n’était pas du tout d’ici, intriguant. Elle venait de loin, mais pas du Sud, c’était certain. J’avalai encore un peu de bière, avant de poser la chope sur la table, le regard légèrement plissé à présent plongé dans celui de mon interlocutrice. D’où venait-elle ? Une question qui franchit mes lèvres, et qui trouva réponse.

◊ Hm… Ouais, Tevinter n'est pas la porte à côté. Mais au fond, le sud n'est pas si différent.
◊ Tevinter, hein ..

Elle venait de Tevinter. Dans ma tête, ils étaient tous bronzés comme pas possible avec la chevelure noire : à croire que je ne voyageais pas assez dans cette partie du monde. A se demander, en connaissant la réputation de l’Empire du nord, ce qu’elle pensait trouver au Sud. Je n’eus pas besoin d’attendre si longtemps avant de le savoir.

◊ Je m'attendais à plus barbare.

Je poussai un rire à cette remarque. Ah, le classique, celui de l’image des sauvages par opposition à la civilisation.

◊ Et encore attends, t’as pas vu Orlaïs. Ils ont l’air raffiné et tout, mais sous les apparences on y trouve de véritables monstres.

Un sourire lui fut adressé. Nous étions tous des monstres, à Orlaïs, et je n’échappais pas à cette loi immuable. Une remarque dont je pourrais me passer ce soir.

◊ Je viens de là-bas, et Créateur j’en ai vu des choses dans ma vie ..

Changeant de position dans mon assise, appuyant mon bras sur le bord de la chaise, la chope dans la main encore proche de la table, je m’amusai à détailler une fois de plus les traits de Lemia du regard.

La conversation semblait toujours autant captiver Lemia en face de moi, qui écoutait mes propos avec une certaine attention. A la fin de ma remarque sur Orlaïs, elle se permit une petite remarque ironique qui me fit sourire.

◊ Orlaïs et Tevinter se ressemblent peut-être bien plus qu'ils ne veulent l'admettre.
◊ J’ai une tendance à penser que les opposés en toujours bien plus en commun qu’ils ne laissent paraître.

La rouquine leva sa chope, chose que je fis également en écho avant de savourer une autre gorgée de mon breuvage. Puis, sans vraiment prévenir, Lemia souleva un point qui méritait d’être soulevé.

◊ En même temps, vu les représentants de ces pays à cette table, difficile de croire que leurs habitants sont sains d'esprits.

Je me retins de cracher ma bière à cause de mon rire, et mis un certain temps à pouvoir avaler, avant de laisser flotter dans l’air un rire rauque, mais mélodieux.

◊ Je dois dire que nous faisons de piètres ambassadeurs, c’est vrai.

L’informateur chaotique et la délaissée en quête de vengeance. Tu parlais d’un duo. Mais la – ma foi, belle – jeune femme ne lâcha pas les rennes de la conversation pour autant, soulevant un autre point qui méritait d’être soulevé.

◊ Et donc, tu invites souvent de potentiels tueurs à ta table ?
◊ Oh, bien sûr ! Cela fait partie intégrante de l’éducation orlésienne.

Invite-les à dîner, et regarde-les par la fenêtre chuter. Une phrase que disait ironiquement Etienne quand il se moquait de sa propre famille. Ah, sacré Etienne. Je changeai de position, m’adossant davantage à ma chaise, la chope en main.

◊ Il faut savoir faire preuve de courtoisie en toute circonstance. Parfois, il en vient du bon, ou parfois, il est plus facile de maîtriser, voire de dominer son interlocuteur de la sorte.

Mon sourire s’était fait plus carnassier, mon clair regard plongé dans le sien sombre. Ma voix avant presque ronronné sur le mot « dominer », ce qui dans le fond m’amusait. Je terminai le fond de ma bière, avant de soupirer d’aisance. Mince, il m’en faudrait volontiers une deuxième.

◊ Et puis, je te ferais remarquer que ce n’est pas moi qui ai accepté la proposition .. on aime flirter avec le risque, à ce que je vois.

Dans un geste presque naturel, mon regard se posa sur les traits de son visage. Il y avait quelque chose, un je-ne-sais-quoi de captivant chez elle, il fallait être honnête.

Au moins, elle n’était pas complètement désintéressée par ce qui se passait autour de cette table : mon regard ne manqua cependant pas ce geste discret effectué de sa main pour remettre ses cheveux en place, ainsi que la courbe légère que ce mouvement engendrait dans sa chevelure. Son sourire demeurait, et la conversation se poursuivait avec le même entrain : que souhaiter de mieux.

Cela dit, je ne m’attendais pas à une telle réaction de sa part au moment de parler de domination : de la voir s’étouffer avec son breuvage m’arracha un autre rire, mais je n’ajoutai rien de plus – il n’y avait rien besoin d’ajouter. A croire que mes propos l’avaient légèrement déstabilisée : pourtant, avec le début de soirée que nous avions eu, il fallait s’y attendre. Je calai le menton contre ma main, le sourire toujours aussi large, alors que Lemia tentait de répondre un minimum.

◊ La sensation de risque a disparu quand tu as accepté de relâcher mes poignets.

Un sourcil se haussa par réflexe, tandis que mon regard s’aiguisa. Le ton suivait le mien, comme c’était intéressant. Terminant le fond de sa chope, la belle rousse enchaîna les mots une fois de plus.

◊ Après tout, c'était moi le "danger", la supposée assassin dans l'ombre.

Et un rire suivit, dans un éclat des plus fascinants. Le ton était léger, insignifiant, ce qui démontrait bien assez l’absurdité de la situation initiale. Mon ricanement se mêla au sien l’espace d’un instant, comme une petite douceur qui sortait de nulle part, avant que mon sourire ne retrouve sa faim.

◊ Tu as raison, j’aurais dû solidement les attacher à l’aide de ma ceinture.

J’ajustai ma position, ne la quittant pas du regard. Dans un même temps, je pouvais sentir l’alcool qui commençait à se répandre dans mon corps, et qui le détendait davantage dans ce même élan. Mais de penser à cette éventualité était .. fort sympathique, pour ne pas dire mieux. D’une voix mielleuse, je débutais mes spéculations.

◊ Que penses-tu qu’il se serait passé ensuite, Lemia ? J’aurais sûrement dû fermer une si belle bouche pour l’empêcher de crier trop fort .. Après tout, il aurait été dommage qu’on nous dérange, tu ne trouves pas ?

Je passai une main dans mes cheveux pour les ébouriffer un minimum, l’œil scrutant la salle toute entière avant de se bloquer dans celui sombre d’une serveuse, que j’appelai finalement d’un grand geste de la main. Il commençait à faire sec autour de cette table. Elle arriva à notre hauteur et se pencha vers nous pour prendre notre commande. Je lui demandai une autre chope, ainsi qu’un peu de soupe s’ils en avaient : le hochement de tête me suffit, et je glissai quelques petites pièces dans le creux de sa douce main. Elle attendit la commande de ma compagne du soir et ramassa nos chopes vides, avant de partir chercher notre commande.

◊ Tout ça parce que tu cherches un homme dans les Marches Libres, et ce depuis Tevinter. Pourquoi chercher dans les Marches d’ailleurs, si ce n’est pas indiscret ? Je pensais que les Tévintards ne restaient qu’entre eux, dans leur propre monde.

Certes c’était cliché, mais c’était une bonne question en soi. A mes yeux, il était rare que les Tévintides quittent leurs terres, sauf pour batailler contre les Qunari du côté de Séhéron. Au pire elle ne me répondrait pas, tant pis. Cela m’évitait de trop lancer des piques d’affamé en boucle pour animer la conversation.

La serveuse revint avec son plateau et distribua ce qu’il y avait à distribuer. La chope revint pleine, et un bol empli d’une soupe épaisse et verdâtre me parvint également, ainsi qu’une cuillère pour manger. Je la remerciai d’un hochement de tête, et une fois son travail fait, elle repartit dans la joyeuse foule.

◊ Et t’as une idée d’où aller ensuite, une certaine destination, peut-être ?

Plus la conversation avançait, et plus je trouvais cette femme intrigante, pour ne pas dire fascinante – globalement, ou à regarder. A mes espèces d’avances sans réel tact, elle rit avec une certaine douceur, avant de répliquer quelques mots qui, là encore, captivèrent mon attention.

◊ C'est un peu présomptueux de croire que tu en aurais été capable.

Je lui offris alors un sourire entendu. Avec sa carrure et son tempérament, cette phrase résumait assez bien les choses si d’aventures quelque chose aboutirait dans un lit plus tard dans la soirée. Et cela tombait bien, j’adorais avoir un peu de défi, que l’on me tienne tête.

La serveuse arriva et nous passâmes notre commande, même si Lemia ne semblait pas tant y prêter attention que ça. A en juger la trajectoire de son regard, ce n’était pas cette faim-là sa priorité du moment – ce que je comprenais.

Mais le sérieux reprit dans son regard à la mention de sa cible, sérieux que je regrettais presque – mais bon, je n’allais pas passer la soirée à enchaîner les propos tendancieux qui ne menaient nulle part.

◊ On ne peut pas vraiment dire que je le cherche. Je cherche de quoi m'entraîner, surtout. Pour éviter de revivre la même situation que tout à l'heure avec la personne en question.
◊ Il est vrai que ce serait préférable pour ta survie, très chère.

Nous fûmes servis, et la première chose que je fis fut de plonger mon regard dans la soupe, la cuillère en main. Un bon repas chaud ne faisait pas de mal, il était vrai. Je commençai à manger, alors que la belle rousse répondit à ma question de façon presque attendue.

◊ Tant que je ne rentre pas à Tevinter, j'erre un peu partout où je peux trouver du travail. Pourquoi, tu te sens seul ?

Je m’arrêtai dans mon élan avant de poser mon regard clair sur elle. Après un battement de cils, mon rictus revint. Quelle question. Me sentais-je vraiment seul, dans le fond ? Pas vraiment. Mais passer à côté d’une occasion – d’une personne – aussi belle serait un crime.

Malgré tout, je préférais ne pas abattre mes cartes tout de suite : je me redressai, les bras croisés appuyés contre la table, et me penchai un peu dans sa direction, la voix tout autant mielleuse qu’avant.

◊ C’est donc la belle rouquine, qui s’est infiltrée dans la chambre du premier homme qu’elle croise, et qui a accepté un repas avec ledit homme malgré la situation .. particulière .. qui parle de solitude. Intéressant ..

A ces mots, je ricanai avant de pencher un peu la tête sur le côté, profitant de ce temps pour laisser mon regard divaguer un peu sur elle. J’allais m’en vouloir si je jouais aux chantristes ce soir, je le savais.

Mais je replongeai un peu plus dans ma soupe et repris mon repas. Même si l’apparence faisait moyennement envie, la soupe était vraiment bonne. Après avoir bien entamé mon repas, j’avalai une bonne gorgée de bière avant de reprendre la parole, le sourire large.

◊ Je le vois dans ton regard, Lemia, que tu n’es pas affamée de soupe en ce moment. Et je te l’accorde, si je peux m’offrir un dessert tel que toi pour finir ma soirée, je ne serais pas contre l’idée.

Mes lèvres retrouvèrent ma chope un temps, ce qui marqua une pause dans mes propos. Je n’étais pas le genre d’homme à tourner autour du pot, oh non. Si je voulais passer la nuit en bonne compagnie, il me suffisait de l’évoquer. Cependant, il y avait des façons de dire pour ne pas paraître trop rustre, ou trop pressé. Hommes comme femmes détestaient les hommes sans manières dans ce genre de sujet.

◊ Mais comme je viens de le dire, je parle de dessert, pas de plat principal. Par conséquent, je vais plutôt présentement savourer mon repas.

Avant de savourer ton corps.

Le repas se poursuivait sur son rythme calme mais tendancieux. Et heureusement pour moi, Lemia était du genre « bonne joueuse », à admettre la vérité plutôt que de se voiler la face. Je détestais les personnes qui adoraient se faire désirer pour ne pas assumer derrière. A mes yeux, ce genre de comportements ne faisaient que perdre du temps.

◊ Tu marques un point. Enfin... je n'ai jamais dit que ce n'était pas mon cas.

Ravi du manque de quiproquo dans nos désirs mutuels du soir, je savourai un peu de ma bière, avant de reposer la chope contre la table. Un certain silence flotta dans l’air, tandis que nous poursuivions notre repas respectif dans notre coin. La taverne restait animée comme toute taverne banale, nous entourant tel un décor scénique. Après lui avoir lancé un énième regard lors de ce repas partagé, je brisai à nouveau le silence, sourire mesquin aux lèvres.

Lemia rit en signe de réponse, mais ce n’était pas un rire nerveux ou gêné ; sa voix restait mélodieuse, et sans la moindre fausse note, avant de répliquer ce qui était, ma foi, une bien belle vérité.

◊ Tu peux parler, ton regard n'est pas bien difficile à suivre.

J’y comptais bien. Observer l’autre n’était pas juste une satisfaction personnelle : elle devait être un jeu effectué à deux – à l’image d’une danse en couple. Il fallait attirer l’attention, montrer que l’on effleurait les courbes de l’autre d’un battement de cils, et provoquer pour qu’à son tour, la personne se retrouve embarquée dans ce jeu de regards. Bien évidemment, si cette distraction ne prenait pas, une chose était claire : la personne n’était pas intéressée. Il ne fallait pas être trop stupide pour comprendre que non signifiait non, et pourtant .. Les hommes ne tiraient pas leur réputation de nulle part, ce que je ne comprenais pas.

Mais les réflexions à part, la belle rousse reprit la parole, toujours sur un air un peu chantant.

◊ Si j'avais l'intention de te priver de ton repas, on n'aurait pas quitté cette chambre.

Mon sourcil droit s’arqua directement en guise en réponse, tandis que je terminai ma gorgée de bière. Sourire triomphant aux lèvres, Lemia observait ma réaction qui, naturellement, n’allait pas rester passive. Je reposai ma chope, ricanant plus pour moi-même que de la situation, avant de répondre sur un ton calme et provocateur.

◊ J’espère vraiment pour toi que le sexe ne sera pas la première chose qui te viendra à l’esprit si tu retrouves ta cible. Estime-toi chanceuse que je ne sois pas ton gaillard ..

Il me fallait être honnête avec une problématique bien orlésienne : je connaissais peu d’Orlésiennes affirmées dans leurs avances et dans leur sexualité, qui n’étaient pas considérées comme des catins de bas étages. Peut-être que la mentalité du nord était différente ? Mais je ne relevai pas cette réflexion insensée au grand jour : pour l’heure, j’avais une tension de plus en plus érotique et palpable à contenir.

Observant mes ongles un instant comme s’ils avaient toute mon attention possible, je me permis un commentaire, pas des plus sérieux du monde il fallait admettre.

◊ En plus, je suis certain qu’il est mauvais joueur.

Je repris ma soupe après un petit rire mesquin, avant de la terminer. Ce faisant, je poussai un peu plus le bol au cœur de la table, avant de reprendre ma chope en main, sourire aux lèvres et le regard détaillant avec subtilité des courbes que j’aurais l’occasion de palper plus tard.