Derrière le masque [Fabien]

Une chose était sûre, j’adorais emmerder sur cette anecdote assez troublante : elle m’avait confondu avec un homme avec qui elle avait très certainement un passé, et nous en étions, après une tension mi-meutrière, mi-sexuelle, à parler d’à quel point on allait bien s’amuser ensemble à l’auberge. La situation possédait une telle absurdité en elle-même, mais Lemia, comme moi-même d’ailleurs, savions ce que nous désirions ce soir.

Son commentaire poétique sur ses retrouvailles avec sa cible tira de moi un ricanement léger. Au moins elle n’allait pas se dégonfler, c’était bien. Mais bon, à la rigueur ce n’était pas ce qui m’importait dans l’instant présent : j’attrapai ma chope pour la porter à mes lèvres une fois de plus, ne la quittant pas des yeux.

◊ Pas autant que moi.

Oh, une mauvaise joueuse ? Mon sourire s’étira un peu : alors comme ça, l’on n’aimait pas perdre ? Intéressant, intéressant. Pour cette manche, elle était bien loin de mener la danse, peut-être que dans la suivante les choses seraient différentes ? Je ricanai un peu.

◊ Allons, peut-être qu’à l’auberge tu auras plus de chances de mener la danse.

Mon ton était léger, mais calme. La main sur ma bière, le regard se promenait encore un peu sur ce corps un peu trop habillé à mon goût. Mais patience, patience. Ce n’était pas l’endroit pour ça, même si la renverser sur cette table serait un plaisir des plus espiègles.

Cependant, la rouquine était bien consciente du regard que je posais sur elle – regard que je ne niais pas.

◊ Je n'ai même pas besoin de lever les yeux pour sentir ton regard. Tu pourrais au moins finir ta choppe avant d'envisager le dessert.
◊ Oh ça va ..

Je soufflai du nez et ris en silence, portant ma chope à mes lèvres comme un enfant réprimandé car il ne touchait pas à sa soupe. Dans un geste lent mais calculé, je descendais ce qui restait de bière dans ma gorge, avant de reposer avec force ma chope vide contre la table en bois. Je soupirai de plaisir en sentant l’alcool me réchauffer, avant de planter un regard enjôleur dans celui ambré de Lemia. Amusé, je me permis de jouer les insolents et impatients.

◊ Et maintenant, puis-je ?

Tandis que mon breuvage descendait lentement, mais sûrement, quelques coups d’œil furtifs me rapportèrent qu’à son tour, la rouquine me déshabillait du regard. Je ne pus retenir un rictus de poindre, tandis que je reposai bruyamment ma chope, ainsi que la carte de l’impatient. Petite feinte en somme, mais elle mordit à l’hameçon. Mon sourire n’avait jamais autant bien exprimé ma satisfaction.

◊ Quelle impatience.

Je haussai des épaules en guise de réponse, adossé à mon siège et croisant ensuite des bras. Maintenant allait se jouer une partie fort sympathique de « jeu de fierté », et des plus fascinants. Lemia ne bougea pas un poil de son assise, elle qui termina son repas la première. Attendait-elle que je fasse le premier pas ? Présomptueuse.

◊ Eh bien maintenant que nous avons tous les deux les mains libres...

Phrase qui attendait sa si subtile suite : « allons-y et envoyons-nous en l’air toute la nuit ». Mais en effet, nos mains étaient désormais libres, et elle comme moi mourrait d’envie de passer à l’étape suivante. Cependant, en bon gentilhomme, je me contentai de la regarder dans les yeux, sans rien ajouter de plus.

J’avais une particulière envie de la taquiner. Alors bien sûr, je n’allais pas m’en priver. Après un long silence, je repris finalement la parole, sur un ton autant provocateur qu’amusé.

◊ Eh bien ?

Je ravalai un rire, avant de m’accouder à la table, ne quittant pas une si belle gemme des yeux.

◊ Mes excuses, mais tu t’es arrêté en plein cœur de ta phrase : j’attendais simplement la fin. Surtout que j’ai l’impression que cette partie manquante est en réalité essentielle à cette soirée.

Plissant mon regard légèrement, ma voix se fit des plus roucoulantes.

◊ Alors ? Je me demande bien ce que tu comptes faire, de ces mains vides. Et je suis certain que tu débordes d’imagination en ce moment.

Tout comme c’était mon cas. Profitant de la distraire par la conversation, je changeai légèrement de position, de façon à pouvoir étendre discrètement mon pied sous la table. Profitant de la posture plus rustre de la rouquine, je glissai mon pied entre ses cuisses et le posai simplement contre sa partie intime en douceur, simplement pour susciter une réaction, que je guettai avec la plus grande attention. Mon sourire s’élargit un tant soit peu, tandis que je repris la parole sur un ton pas si innocent que ça, faisant un geste pour l’inviter à se lever.

◊ Après toi, les dames d’abord. A moins que tu ne sois pas si impatiente que ce que ton corps est en train de me dire.

Mon sourire restait éclatant face à la réaction de Lemia : alors comme ça elle comptait ne pas perdre cette manche ? Comme c’était intéressant.

◊ Quoi, tu ne peux pas trouver de suite toi-même ? Quel manque d'imagination...
◊ Je réserve ma créativité pour ce que je ferai sur toi, ce que tu fais de tes mains ne dépend que de toi.

Mais après ma petite insistance, la rouquine était déterminée à ne pas dévoiler ses cartes tout de suite : quel dommage, songeai-je ironiquement.

◊ Han allez, pas la moindre mise en bouche ? Mince alors, ça va donc être à moi de faire quelconque avance ..

Et avec finesse, je plaçai mon pied en zone sensible. La réaction de Lemia fut des plus savoureuses, mais également des plus subtiles, au point de me faire rire de bon cœur. Si elle ne comptait pas se lever de sitôt, autant en profiter pour l’agacer encore un peu, non ? Fort heureusement pour moi, elle n’allait pas se venger tout de suite, s’efforçant de ne pas perdre la face. Et comme toujours, elle trouvait de quoi rebondir, pour mon plus grand bonheur.

◊ Quitte à prétendre avoir des manières, la moindre des choses serait que tu viennes m'aider à me lever.
◊ Oh, mille excuses ma Dame.

Il fallait dire que nous nous impatientons tous deux, et cela se sentait fortement. Mais soit : j’avais déjà gagné une bataille, je pouvais lui céder cette petite victoire de courte durée. Après tout, tout cela n’était encore qu’une mise en bouche, l’essentiel viendrait plus tard. Théâtralement, je dégageai mon pied de ma position avant de me lever avec souplesse. Récupérant mes affaires, je m’approchai de la belle rousse et, exagérant une courbette avant de tendre une main gracieuse devant elle, pour l’inviter à ainsi se lever pour que nous continuions à nous frustrer mutuellement en un tout autre endroit.

◊ Acceptez donc cette humble invitation à daigner lever votre si divin fessier, afin que nous puissions, en toute impunité, batifoler à n’en plus finir dans ma chambre d’auberge.

Et je lui offris mon plus beau et mon plus sarcastique sourire, attendant sa réponse.