[Mission] La traque commence [Lathbora]

Elle se tenait si proche de lui que son calme panthéonnien en devenait tangible. Cette douce tranquillité perturbait le dalatien plus que la proximité de ce  corps inconnu en lui-même. Ce calme le renvoyait à ce qu'il était : un tourbillon infini de pensées et de sentiments, une pelote d'émotions instables. À ses côtés il se sentait enfant, pourtant si vieux déjà, et sa profonde immaturité morale sociale le fit souffrir plus que sa plaie, comme elle l'avait fait tout au long de sa vie. En réalité Lathbora ne se sentait légitime qu'avec ses dagues en mains, losqu'enfin, par la violence, il se rendait maître de son destin.  Allongé sur ce lit et en proie à la tranquillité démesurée de la servante ses dagues lui manquaient cruellement.

Lorsqu'elle se redressa Lathbora pâlit, conscient de l'urgence implicite qui tombait comme un couperet sur ses espoirs. Cette servante, nimbée de son mystère, qui malgré sa froideur ne le repoussait pas tout à fait, l'intriguait. Lathbora projetait sur elle l'image d'Elvire, cette qunari qui l'avait sauvé des griffes d'esclavagistes. Elle partageait avec la servante la même tranquillité d'esprit et le goût des paroles bien choisies. Elvire avait à l'époque proposé à Lathbora de la suivre, lui offrant une alternative, une échappatoire à la vie qu'il menait. En projetant Elvire sur cette servante, il s'attendait à ce qu'elle possède, comme elle, toutes les réponses à ses questions. Si seulement il parvenait à les formuler.

La servante quitta la chambre, le laissant seul et chamboulé par les réponses cryptiques données à ses questions. Le silence s'était épaissit autour de lui, opaque et étouffant. En bon Dalatien Lathbora n'avait pas pour habitude de rester immobile, même blessé. Il sorti de sa couche avec une grimace et chercha des yeux ses affaires, sa cuirasse d'écorce de fer et sa tunique. Une main soutenant ses bandages il hésita avant de ne passer que sa tunique de lin brut, et avant de sortir de la chambre sur la pointe des pieds.

Si l'elfe ne lui avait révélé que peu de choses, elle avait néanmoins choisit de réaffirmer sa certitude : il était un chasseur, malgré ses protestations. Cela devait forcément vouloir dire quelque chose. Faible sur ses jambes, il tenta de se glisser dans ce rôle, allant même jusqu'à en questionner les fondamentaux : qu'est-ce qu'un chasseur et pourquoi chasse-t-il ?

Le chasseur attendu par la servante et par le vieil elfe ne devait certainement pas chasser pour procurer de la nourriture à son clan : aux vues du repas lui ayant été servi plus tôt, l'auberge semblait correctement ravitaillée. A cet instant son esprit s'égârra, se détourna de son but premier. Il devait aller soustraire de la nourriture en cuisine, en dissimuler dans ses affaires afin d'assurer sa survie, au simple cas où la servante et son maître ne le nourrirait plus. Maintenant armé d'un but concret, Lathbora se mit en route.

Mais dans le couloir, déjà, son étude théorique lui revint : les chasseurs de son clan protégeaient aussi leur territoire ainsi que les membres de leur groupe. Après leur départ, Lathbora avait tenu ce rôle un temps, traquant et massacrant tous les intrus osant s'aventurer dans la forêt de Bréciliane. Enfin, ceux qui lui étaient tombés sous la main. Face aux shemlens de cette auberge, il n'avait pourtant pas fait le poids. En fermant les yeux, Lathbora se remémora l'époque où, s'échappant de la chaleur étouffante de la forge, il suivait les apprentis chasseurs lors de leurs sorties. "Pour être efficace, un chasseur doit maîtriser sa proie ainsi que son environnement" leur assénait alors le maître chasseur. Voilà, c'était aussi simple que ça : il lui manquait la connaissance du terrain. Il devait étudier l'auberge et ses habitants.

Il allait commencer par les cuisines. Voler de la nourriture et étudier les assiettes. Retrouver celle qui avait été marquée pour l'étudier. Repérer les couteaux, les vivres. Laisser trainer ses oreilles, discrètement, sans se faire prendre. Il n'était pas tout à fait en état pour se battre de nouveau.

L'air froid et l'odeur de terre humide l'appelaient de leur langage familier. Accroupis devant la trappe ouverte, le lourd tapis de laine repoussé négligemment à ses pieds, Lathbora huma profondément, luttant contre ses instincts qui lui intimaient doucement de descendre immédiatement dans ce boyaux boueux. Il recula du bord de trappe et agrippa le tapis en y enfonçant ses doigts. Il était blessé, à demi-nu et désarmé. Descendre immédiatement ne serait pas prudent. Les mots de la servante l'avaient ébranlé. À regret, il se détourna de la trappe, qu'il laissa grande ouverte, et se dirigea rapidement vers la chambre dédiée à son repos, tâtonnant dans l'obscurité pour retrouver son chemin.

Aussi silencieusement que possible, il passa son plastron d'écorce de fer, fermant une à une les innombrables sangles qui le maintenaient en place. Il fixa ses jambières et banda ses pieds pour tenter enfin de les isoler du froid. Finalement, il glissa ses deux dagues dans les fourreaux dissimulés à l'arrière de son plastron et passa son vieux et lourd sac élimé à ses épaules. De nouveau dans la cuisine ses mains s'emparèrent de quelques provisions du fond des étagères, là où leur absence serait le moins remarquée, qu'il fit glisser au fond de son sac. Puis il s'engouffra au travers de la trappe, avant de la refermer derrière lui.

L'air froid le cueillit, tout comme l'obscurité. Mais que pouvait-il bien y avoir à observer dans ce boyaux de terre ? Sur ses gardes Lathbora avança lentement, ralentis par sa blessure et par cet étrange appel qu'il sentait monter en lui : celui de la traque. Il perdit toute notion de temps, mais le temps pour lui ne voulait pas dire grand chose. Ses ancêtres étaient immortels après tout, il aimait à croire qu'il en tenait là un bout infime en héritage.

Alors, après un temps impossible à mesurer, après avoir parcouru ce tunnel étonnant, Lathbora fini par déboucher dans un environnement bien plus familier : une forêt. Les milles et un bruits l'habitant lui firent l'effet d'un chant rituel, il se sentit envahi d'une force nouvelle, bien loin de son état dépressif des dernières semaines. Il avait un but, enfin, réalisable et à court terme. C'était suffisent pour le maintenir en vie.
Abaissant son centre de gravité, il s'engagea sous la lisière des arbres, cherchant à identifier sa proie.