[FINI] Poussière, tu n'y retourneras pas. [pv. Lukan |+18 - violence physique et psychologique]

La douleur était insoutenable. Les migraines étaient toujours aussi violentes. Je ne devais pas céder pour autant.

Mon bourreau retira d’un geste vif cette chose plantée en moi. Je hurlai encore, la voix rauque, cassée, irrégulière. Mon souffle restait bruyant, les nausées bien présentes, comme pour m’indiquer qu’à force de crier, j’allais recracher mes organes par la bouche.

Puis un coup. Puis un autre. Encore un autre. Mon corps n’arrivait même plus à procéder la douleur tant il y en avait. Ma voix se déconnectait de mon corps, devenant un bruit de fond récurrent pour mon esprit. Une chose était certaine : sa rage était proche de la mienne. Il n’avait pas de temps à perdre. Cela m’était égal : j’avais encore assez de volonté pour lutter.

◊ Je ne suis pas là pour te servir de compagnie, dit moi immédiatement ton nom ou je ferais passer ta vie de souffrance pour un simple purgatoire devant l’enfer qui t’attend.

Des menaces. Mon esprit rit avec force, mais pas mon corps. Il tremblait, la tension dans les bras s’accentuant à force de pendre ainsi. Le silence survenu à arrêter les cris alourdit alors mon crâne déjà sur le point d’exploser. Cette odeur. Cette foutue odeur. Elle emplissait toute la pièce, dansait autour de moi en attendant le coup final.

De la chaleur contre ma main. Je grognai, mais le pire allait venir. Lentement. Cette chaleur pénétra ma peau et ma chair. Je serrai des dents, ravalant un autre hurlement. Il allait le faire. Jusqu’au bout. Tout mon bras gauche était tendu au point de me faire davantage mal. Toute ma force était passée dans mon bras pour anticiper le choc, laissant le reste pendre nonchalamment.

Mes dents lâchèrent prise au contact de l’os. Les vertiges s’accentuèrent une fois de plus, et le temps s’arrêta. Je pouvais sentir l’os se fracturer sous son passage, chaque parcelle de douleur que cela engendrait. Quelqu’un hurlait. C’était insoutenable. Toute ma main était étendue, les doigts bien écartés les uns des autres. Le tout devenait si inaccessible, alors que quelques instants auparavant, mon monde sensoriel se résumait à cette pauvre main. Désormais, c’était l’hécatombe. Le néant.

Des larmes coulaient le long de mes joues, de mon nez, de mes lèvres. Ma bouche tremblait, mes dents claquaient mollement, et ce qui était en réalité ma propre voix, tant déformée que je ne pus la reconnaître avant, traînait devant moi sans vouloir partir. Ma respiration était irrégulière. Ce désir lié à cette toxique femme qui laissait traîner son odeur partout s’intensifiait. Il voulait un nom. Il n’en aurait pas.

Une sorte de répit s’offrit. Je fermai les yeux, observant ce qui se dessinait sur mes paupières un instant. Des courbes, des formes, des lumières. Mais on m’empoigna les cheveux pour redresser ma tête toute entière. Je pus alors sentir, avec un dégoût atténué par l’ensemble de la situation, sa salive chaude heurter mon visage. Mes traits se plissèrent à ce contact, tandis que ma gorge grogna. Mais quel sale gosse.

.. un sale gosse ?

Il planta à nouveau son objet métallique dans mon bras, ce qui me prit de court : nullement préparé à encaisser, ma voix emplit la cellule sans trop de souci, me faisant ouvrir les yeux à nouveau. Mais le pire n’était pas là. Quelque chose. Quelque chose dans mon esprit commençait à se dessiner. Certaines pièces du puzzle commençaient à s’assembler.

Sa voix me parvint, sa voix toute seule. Pas de visage, de scène, d’identité. Je fermai les yeux, épuisé, mais essayant de focaliser sur cet instant de lucidité. Il connaissait sûrement les Trevelyan. Je devais à tout prix découvrir de qui il s’agissait.

◊ J’ai vu ton visage lorsque le templier a fait brûler ta précieuse elfidée… Que dirais-tu de répondre à ma question pour sauver ce qu’il en reste ? 

Cette voix était familière. Je le savais au fond de moi. Mais une totale autre pensée occupa la scène, alors que mes yeux s’ouvrirent à nouveau. Je cherchais du regard. En face de moi, juste devant moi, à quelques pas .. Dans sa main. En face de moi.

L’effroi me frappa de découvrir ce qu’ironiquement je n’avais jamais soupçonné. Ce tortionnaire s’éloignait lentement en direction d’une flamme. L’idée de voir ce roulé, ce dernier roulé brûler était une pensée qui désormais m’effrayait. Après autant de temps à jeun, après avoir supporté son odeur, son enivrante odeur ..

Je m’apprêtai à l’arrêter d’un cri. Je baissai violemment la tête en hurlant. Je ne devais pas. Je ne devais pas. Mais les faits étaient établis : j’avais un point faible immense, et si facilement exploitable. Comment n’avais-je jamais pu le voir avant aujourd’hui ? Je ne devais pas céder.

Mais ..

Non. Ressaisis-toi, enfin.

Près de la flamme. Près de la torche. Une silhouette. Il croisait des bras et me toisait du regard, d’un air sombre, moqueur et hautain comme il le faisait si bien.

Un gosse qui fait mumuse avec ton herbe. Sérieusement, Fabien ?

Et elle épousa les flammes. Je gardai les yeux clos, ne voulant pas voir ce désastre se produire. Mais hélas pour moi, son rire emplit la pièce. Un rire mauvais, provocateur, satisfait. Mais ce qu’il ignorait était que ce rire emplissait mon crâne d’une façon assez insoupçonnée. Je l’avais déjà entendu par le passé, ce rire. Ce rire de garnement, de sale gosse. Les pièces s’alignaient toujours plus, et l’effroi me saisit presque. Bientôt, ce rire se transforma dans mon esprit, devint plus aigu, plus insolent.

« Allons Luke, arrête ta mauvaise foi. Ce n’est pourtant pas compliqué. »

Je pus sentir mon regard exorbité sous mes paupières closes. Il semblait assis à côté de moi, attendant patiemment qu’il se reprenne. L’espace d’un instant, tout semblait disparaître, se mouvoir, se transformer pour me laisser dans un bureau modeste, sans pourtant manquer d’élégance. J’étais assis à une table, me tenant la tête et soupirant de plus belle, alors que l’autre virevoltait dans un recoin de la salle.

Ma peur d’ouvrir les yeux à nouveau me tenait avec fermeté, mais la curiosité l’emportait toujours. J’avais toujours été quelqu’un de curieux, de terriblement curieux, alors je les ouvris malgré tout. Et se figea.

Assis près de moi se tenait un enfant aux bouclettes blondes et au regard aussi clair que le mien. Il observait son camarade déambuler dans le bureau où nous travaillions, une plume à la main, attendant sagement qu’il arrête son cirque. Je faisais de même, je m’en souviens.

« Si tu veux je t’explique ? »
« On peut pas aller jouer plutôt, Ael ? Je m’ennuie ! »
« Tu peux prendre le risque de quitter cette salle, mais je doute que ton père soit de cette avis, .. »

.. Lukan.

Lukan Rancelion.

Mais mon cœur n’eut le temps de rater un battement. Bientôt, ces images se déformèrent une fois de plus, tandis qu’un choc traversa mon corps, comme magique. Un courant électrique qui se répandit dans tout mon être en l’espace d’un battement de cils. Je hurlai à ce contact. Mais il y en eut un deuxième. Un troisième. Et ainsi de suite ; j’en perdis bien assez vite le compte.

Je posai un regard incrédule sur les épaules de mon tortionnaire. Ce n’était pas possible. Ça ne pouvait pas être lui. Les années avaient passé, mais ça ne pouvait pas être lui. C’était un fauteur de trouble qui ne tenait pas en place, un sale gosse qui n’était pas non plus méchant, ou cruel. Mais la vérité me frappa au visage quand je croisai une fois de plus son sombre regard. Un regard cette fois-ci empli de rage, d’un sadisme indescriptible vis-à-vis de ce qui se passait entre ses mains.

L’incompréhension et la confusion m’emplissaient dans mon entièreté. C’était limite si je ne sentais plus les chocs, si je ne sentais plus cette affreuse odeur qui planait encore autour de nous. Je ne le quittais pas des yeux, ces larmes que je ne contrôlais plus depuis un moment qui en perlaient. Et sans être capable de déceler mes pensées de mes paroles, une seule question franchit mes lèvres. Une seule.

◊ Qu’es-tu .. devenu ?

◊ Alors tu as fini par te souvenir.

Ses mots n’arrivaient plus à m’atteindre. Je les entendais, mais je n’arrivais plus à exprimer la moindre réaction. Cela ne pouvait pas être en train d’arriver. Il y avait forcément un bluff, ou alors mon cerveau me jouait des tours. Comment ce gosse pouvait avoir autant changé ? Pourquoi, surtout ?

Tout s’était arrêté autour de moi, de lui, de nous deux. Mon souffle tremblait, mes larmes brûlaient mes joues, ma tête pendait, vidée de toute énergie. Tout semblait redescendre autour de moi, mais pas en moi, loin de là. Tant de questions se bousculaient dans ma tête, des questions qui n’auraient pas de réponses. Tant de souvenirs me parcouraient le crâne, mais pas un ne m’indiquait ce qui avait merdé chez ce gosse.

◊ Tu sais qui je suis. Lukan Rancelion, héritier de la famille Rancelion et allié de la famille Trevelyan. ‘‘Le Jeune Lion de Starkhaven’’, ‘‘le Héraut’’…

Mon regard pendait dans le vide, tandis que j’assimilais ces informations. Un Héraut. Quel genre de Héraut faisait des tâches autant macabres qu’ingrates ? Était-ce ça, l’apogée de ses vertus, de ses buts dans la vie ? De tabasser un vieillard dans une cage ? Confus, je ne savais même pas quoi répondre. Mes poignets et mes chevilles me faisaient mal. Mon cœur me faisait mal. Mes poumons me faisaient mal. Mon crâne sur le point d’exploser me faisait mal. Ce doigt partiellement arraché me faisait mal. Mon torse me faisait mal. Et mon visage. Et mes organes. Et mon âme.

◊ C’est à toi de dire ton nom maintenant fils de Léonhardt. Tu devrais pourtant savoir qu’il faut toujours répondre aux questions de ses élèves. 

Je n’en pouvais plus.

Puis je sentis la lame chaude contre mon doigt. Encore. L’espace d’un instant, me voilà en pleine possession de mes sens, ancré à nouveau dans la réalité.

◊ Non .. NON !!


Mais la lame s’enfonça dans un geste vif, et traversa sans réelle peine mon doigt dans son entièreté. Une fois de plus, je hurlai à en recracher mes poumons, le corps tordu de douleur. Dans ce même geste, j’avais pu sentir un choc électrique parcourir mon bras dans son entièreté. Mon .. mon bras. Je ne sentais plus mon bras. Aucun moyen de le bouger. Mon corps allait céder complètement.

◊ JE VAIS PARLER, JE VAIS PARLER !!

Mes sanglots étaient bruyants. Mais contrairement à avant, mes sens ne partaient plus : la douleur restait vive, les migraines intenses, et la situation était des plus insoutenables. C’était la fin. La fin pour moi. J’allais mourir, c’était certain. Tout se mélangeait, les souvenirs, les mirages, l’instant présent. Les sons, les bruits toujours plus forts, mon propre souffle. Cette odeur. Cette foutue odeur.

◊ .. Fabien .. Sourceclaire.

Je levai mes yeux dans les siens, empli autant de peur que de détermination.

◊ Je me nomme Fabien Sourceclaire ..

Cependant, je m’arrêtai. Mon regard s’abaissa à nouveau pour retrouver le néant. Un choc, un dérèglement s’était opéré. Qui étais-je ? Qu’étais-je devenu ? Qu’avais-je seulement fait de ma vie toute entière ? Allais-je vraiment mourir comme un animal en cage ? Était-ce ça, la trace de changement que je voulais laisser en ce monde profondément injuste ?

Etais-je finalement bel et bien Fabien Sourceclaire durant ces vingt-six dernières années, ou était-ce seulement un costume pour me voiler la face ?