[Mission] Un seul être vous manque - Dorian

Encore une nuit à ne dormir qu’à moitié.

Encore une nuit emplie de questions, de craintes, de défaitisme. Encore une nuit à ressasser le plan de fond en combles, à se rappeler de chaque point de repère, de chaque tournant, de chaque trajectoire. Mais surtout, encore une nuit à ressasser, encore et encore, chaque songe, chaque événement qui m’avait conduit à être où j’en étais aujourd’hui. J’avais un certain espoir en allant dans le Sud, et me voilà à devoir sauver le monde en me battant contre les miens. Me voilà à faire une guerre contre mes amis, contre des camarades, que Corypheus transforme en fanatiques. Parfois, je me demandais si d’être trop ouvert sur la notion de bien ou de mal n’était justement pas en train de me porter préjudice. Je l’avais bien vu avec Aldiun : si ma curiosité et mon désir d’en savoir plus sur ce templier rouge, pourtant agissant par ses propres motifs, n’avaient pas pris le dessus sur ce que je devais réellement accomplir, nous aurions pu éviter des dégâts et des morts. Cette morale avait marqué mon esprit au fer rouge, et pour m’en rappeler, il me suffisait de regarder ma main, qui porte encore quelques légères marques de brûlure.

Un pyromancien qui se brûlait avec les conséquences sa propre magie .. quelle belle métaphore. Et me voilà encore sur les côtes à faire au mieux, même si personne ici n’avait oublié ce qui s’était passé en Frimaire. Je me fichais de ce que pensaient les autres bien sûr, mais cette erreur était si amère.

Mais pourtant, ce fut un sommeil vide et peu réparateur qui occupa le reste de ma nuit. L’espace d’un claquement de doigt, mes songes s’étaient éteints sans prévenir, et me voilà dans le néant pour les heures restantes.

D’un mouvement brusque, on me secoua, ce qui me réveilla en sursaut.

◊ Qu’est-ce que ..

Je voyais encore flou, mes sens encore engourdis, et essayai de me réveiller le plus rapidement possible. Ma vision un peu retrouvée, je croisai le fin visage d’un elfe blond penché au-dessus de moi.

◊ Lieutenant Farrow. Je suis chargé de vous réveiller.

Tandis que mes synapses reprenaient gentiment dans mon crâne, l’association de nom et de visage me revint. Je m’assis lentement en me frottant un œil, confus au possible. Une vague migraine me tambourinait le crâne, mais rien de bien méchant : le tout s’estomperait au fil de mon réveil.

A peine en possession de mes sens que le lieutenant avait disparu. Il pleuvait des cordes – encore – et je pouvais déjà sentir le froid mordre ma peau – encore. Rapidement, je me préparai, avant de sortir de la tente sans vraiment la moindre réflexion en tête. Je croisai une fois de plus le regard de Farrow, qui me fit signe de le suivre, ce que je faisais rapidement. Le campement était silencieux, ce qui ne me disait rien qui vaille. Mais bientôt, rejoignant deux autres femmes, je compris les raisons de ce silence.

◊ La charge du taureau est déjà en place. On est en retard !
◊ En retard ..

Génial. Parfait. De quoi bien commencer la journée. Je soupirai avec force, tentant de me réveiller au fil des claques hivernales de vent que je me prenais en plein visage, avant de balbutier des excuses comme un réflexe.

Bien entendu, ce n’était pas le moment de se pourfendre en excuses. Nous devions partir au plus vite et commencer L’exploration. Nous nous mîmes ainsi en route en silence.

Le vent se tordait dans tous les sens, la pluie heurtait la peau et les tissus avec une certaine ferveur, et le froid, Créateur le froid. Pourquoi fallait-il toujours m’envoyer MOI quand on savait quel froid de chien nous attendait dehors ?

Nous atteignîmes donc le bord de mer. Le sable se mouvait sous nos pas, imbibés d’eau de tempête. Je ne voulais même pas penser à l’état de mes bottes, pour être franc. Et si les côtes orageuses me rappelaient cet échec cuisant face à Aldiun, le templier rouge, elles me rappelaient également une toute autre personne.

Wulf. Il n’était parti que depuis un mois seulement, et n’était qu’insignifiant désormais dans mon existence, et pourtant .. Me voilà, sur les terres de son frère, à le voir dans chaque parcelle de tempête, de roche rongée par l’eau, de vagues déchaînées. Cet abruti fini qui n’a même pas pris la peine de dire au revoir. Encore une fois. Décidément, il n’était pas doué.

Mon regard scrutait la mer, songeur. Mais malgré tout, il longea également les falaises et l’horizon devant nous. Nous devions rester concentrés. Il le fallait.

Fort heureusement, j’avais la compagnie la plus adéquate pour une telle humeur. Bien rapidement, j’entendis Argent dire avec une certaine froideur les propos qui suivirent.

◊ Faut pas penser à vos bottes, vous vous faites du mal.

Après une courte pause – Pala qui prenait la parole –, l’assassin poursuivit, sur ce même ton difficile à cerner.

◊ Elle a raison, je pourrais vous porter si vous le voulez, mais ça ne serait pas très pratique.
◊ On perdrait effectivement grandement en discrétion.

Pour qui me prenaient-ils, une princesse ? Et même si, d’ordinaire, je prenais toujours un peu de force pour sourire, falsifier un ricanement pour montrer à quel point je m’en fichais de leurs commentaires, je n’en eus simplement pas le courage. Les propos de Farrow volèrent complètement au-dessus de ma tête, alors que je plongeais dans le regard d’Argent un œil sombre et autant froid que ses mots, probablement davantage. Puis je soupirai, ne voyant pas l’intérêt de me prendre la tête maintenant avec des insultes autant insignifiantes, et portai une fois de plus mon regard, davantage durci d’une colère indescriptible, pour ne pas parler d’affront, de manque d’aisance, de frustration, peut-être même d’anxiété aussi, la vraie, l’implacable. Evidemment que personne ne pouvait comprendre, ils n’étaient pas dans mon crâne – et c’était tant mieux.

Malgré tout, une certaine parcelle de ce qui se passait dans ma tête n’avait pas vraiment échappé à Farrow. Pas vraiment.

◊ Faut pas t'en faire, les informations rapportées par les autres éclaireurs sont encourageantes, non ?

Encourageantes. Nous avions une piste, qui nous rapprochait toujours plus de ce mauvais pressentiment que j’avais. Et si Aldiun était là-bas ? Que ferions-nous ? Il me cramerait la main avec ma propre magie comme la dernière fois et nous démonterait ? Je soufflai du nez, cherchant à retrouver racines dans ce que nous avions à faire. Ce n’était pas le moment pour les états d’âme. Ce n’était pas le moment pour ressasser l’échec. La déception. L’irrespect de ses « camarades ».

◊ Occupons-nous de ça au plus vite, et efficacement.

Je soupirai, me pinçant l’arête du nez en fermant les yeux temporairement.

◊ C’est vraiment tout ce que je demande ..

Mes aventures sur cette côte étaient bien loin de me quitter. Ne sachant pas trop quoi faire, Farrow me tapota l’épaule, avant de retrouver la naine un peu plus devant. Mon regard avait suivi son passage, sentant toujours l’aura désagréable d’Argent près de moi. Si elle ressortait une seule putain de remarque alors qu’elle ne savait même pas quelles étaient mes préoccupations du moment, j’allais lui faire bouffer la mer entière. Je tâchai cependant de me reprendre, sentant l’impact qu’aurait mon humeur sur ce qui nous attendrait peut-être au bout de la côte.

Encore fatigué par le réveil si soudain, j’étouffai un bâillement dans une main. Mais je n’avais pas envie de parler. Je n’avais pas envie d’une quelconque interaction, juste de mener ça à bien. Sans déviance comme la dernière fois. Sans pertes inutiles comme la dernière fois. Et en tant que mage, il était de mon devoir de garder le contrôle : je ne pouvais pas me laisser aller, surtout que ces émotions-là impactaient essentiellement ma magie, chose que je ne pouvais pas laisser arriver.

La tension montait dans le groupe, cela se ressentait avec cruelle force. Aussi, une certaine frustration arrivait gentiment dans nos maigres rangs, frustration de ne rien trouver. Malgré les tentatives de Farrow d’étendre un maximum ses sens, il ne trouvait rien.

La frustration nous décala de la berge, consciente que les vagues n’aidaient pas à trouver la moindre trace, le moindre indice. Et si le rapprochement physique d’Argent ne m’avait absolument pas dérangé, le doute dans les gestes de l’elfe me laissaient pensif.

Mais un sursaut nous attrapa tous en plein vol, quand nous aperçûmes l’arrivée d’un oiseau typique de l’Inquisition non loin de notre position. Farrow détacha le message, et se décomposa presqu’aussitôt.

◊ La Charge à interceptée un détachement d'une dizaine de templiers rouges.

Mon regard s’agrandit, fixant la tête de l’elfe. Des templiers rouges. Aldiun était peut-être parmi eux.

Un silence tomba sur nous, amer, très amer. Nous ne trouverions rien. Mais surtout, il nous fallait porter assistance à la Charge rapidement. Ou alors, quoi que nous décidions de faire, il nous fallait le faire rapidement.

Pensif, j’analysais la situation mentalement, avant de m’approcher de l’elfe à la posture dépitée et de lui attraper l’épaule.

◊ N’oublie pas les rapports d’hier. Tu étais même là. Les templiers rouges aperçus étaient dans cette zone, mais pas pour se battre. C’est définitivement une diversion.

J’avais reçu ce rapport. Des cordes, des outils. Ils avaient dû flairer notre présence, et décider en conséquence d’établir une diversion.

◊ Poursuivons notre route. Ils doivent se douter que nous sommes sur leur pistes, et ont donc établi ce combat de l’autre côté de la côte pour nous occuper.

Pour inciter à reprendre la route, je pris les devants et poursuivis la marche. Mes sens en alerte, j’observais les alentours avec la plus grande des minuties.

J’avais confiance en la Charge, ils savaient se battre et tiendraient le coup. Ce n’était clairement pas le moment de douter de leurs capacités, surtout que nous approchions du but.

Plus nous avancions, et moins je me sentais sur le même plan d’existence que le reste de mon groupe. Vous savez, comme cette sensation de flotter alors que les pires choses étaient en train de vous arriver : rien ne vous ébranlait, mais rien ne semblait réellement vous concerner non plus. Je ne leur laisserais jamais le loisir d’imaginer quelle force j’investissais dans cette lutte terrifiante avec mon esprit.

Illustration de ce sentiment si particulier : tandis que Farrow et Argent se tendirent, je n’eus aucun réflexe, observant simplement en silence. Cela aurait pu être un ennemi prêt à m’arracher les yeux, je n’étais parvenu à aucun geste, aucune tension de mon corps pour me préparer au pire, à aucune montée d’adrénaline face au danger. Heureusement pour moi, ce n’était que Pala, qui n’avait pas trop envie de me faire la peau – du moins, ce n’était pas sa priorité actuelle.

Gambadant joyeusement, elle atteignit notre hauteur – façon de parler – et se mit à faire des gestes avec ses mains. Je fronçai des sourcils, l’observant curieusement, tandis que les deux autres comprenaient parfaitement de quoi elle parlait. Encore une façon pour le monde de me faire comprendre que je n’étais pas à ma place ici.

Malgré tout, il s’agissait de vérifier quelque chose : je pouvais en déduire cela de par ce manque d’envie évident de partir plus en avant. Un éclaireur qui préférait passer son tour, cela en disait long. Pala continuait d’attirer mon attention et de me monter ses gestes, ce à quoi je ne pouvais répondre qu’un hochement de tête négatif. Je ne connaissais pas cette façon de communiquer, il fallait arrêter d’essayer. Heureusement pour moi, quelqu’un pensa à traduire les propos de Pala.

◊ Elle est tombée sur un bateau plus loin qui a déchargé sa cargaison sur le sable. Il y a des chances pour que se soit des alliés des templiers rouges.

Je n’oubliai nullement le rapport de la veille, hochant de la tête en silence. Si la Charge était déjà attaquée, notre temps était compté. Sentant de façon pesante leur regard sur moi, j’inspirai longuement avant de reprendre notre marche.

◊ Ne laissons pas Farrow seul trop longtemps.

Plus vite nous aurions résolu cette affaire, et plus vite nous pourrions rentrer, voire leur prêter main forte en cas de besoin. J'attrapai mon sceptre dans une main, sur mes gardes : mieux valait avancer prudemment, et prêt au pire.

Autant je pris rapidement les devants car on me demandait de le faire, autant j’étais bien loin d’être dans mon élément présentement. Après un petit temps à marcher, me voilà à m’arrêter, analysant les alentours et incertain d’où j’allais. Si la frustration et la colère gagnèrent rapidement du terrain, ma manche à nouveau tirée me sortit de mes réflexions : Pala savait où nous allions. Je haussai des épaules et lui désignai en silence la route devant nous. Enjouée, elle poursuivit sa route, et nous la suivions de près avec Argent.

Au fil des sentiers, des divers branchages et du retour de la fameuse pluie caractéristique de cet endroit, nous atteignîmes enfin Farrow, qui tressaillit à notre venue. Il nous signala de ne pas faire de bruit, chose qui allait de soi ; mais il avait trouvé quelque chose.

Je m’avançai quelque peu pour observer à mon tour et aperçus le fameux navire mentionné plus tôt. Ils étaient en train de poser des caisses de matériel, et pour l’heure, nous ne pouvions en voir que huit ; peut-être étaient-il plus, peut-être que non. Mais une chose était certaine : ils nous dépassaient largement en nombre. Par conséquent, nous ne pourrions pas simplement profiter de l’effet de surprise : il nous fallait un plan.

Mon regard scrutait encore ce qui se présentait devant nous. Une cargaison posée. Deux hommes sur le navire. Il nous en fallait au moins un des deux en vie, mais surtout entre nos mains, pour pouvoir l’interroger. Mais pour les atteindre, il faudrait agir sur deux plans, pour qu’un d’entre nous se hisse sur le navire pour 1 : profiter de l’état de surprise pour en assommer un et 2 : neutraliser le second et le garder pour l’interroger. Quel début de plan douteux .. Je soufflai du nez, avant de sentir les trois paires de yeux braquées sur moi, comme si j’avais la réponse universelle.

Je murmurai de façon à ce que tout le groupe puisse m’entendre, quitte à me rapprocher pas mal d’eux.

◊ Il nous faut un de ceux sur le pont, pour pouvoir l’interroger. En revanche, il faudra nous montrer discret, sinon je pense qu’il ne feront que fuir.

Je marquai une pause, jetant un œil furtif plus loin, avant de revenir vers le groupe.

◊ Essayons de nous approcher pour observer. Farrow, Pala, passez devant.

Il me semblait logique d’envoyer les deux plus discrets d’entre nous en premier. Et quelque part, je commençais à regretter ne pas connaître leur langage fait avec les mains : nous aurions gagné en discrétion. Enfin .. eux l’avaient déjà, j’étais le seul possédant donc cet handicap.