Dans des circonstances plus normales, la scène aurait commencé par un : ''Salut Dorian, comment ça va depuis le temps ? Toujours à essayer de sauver le monde ?’’ Ou encore ‘’Je sais je sais je n’ai pas donné de nouvelles depuis quatre mois mais que veux-tu, j’étais trop occupé à tuer des gens !’’ Même un ‘’Mon maître Corypheus m’a donné beaucoup trop de travail pour que je vienne te voir mais je suis là maintenant. Alors ? Heureux ?’’ Mais non. Ici, il s’agissait de la rencontre entre un colosse à moitié (voir totalement) fou et d’un mage chef inquisiteur. Quiconque d’un tant soit peu sensé aurait compris le problème et se serait préparé au pire. Pourtant une fois que le colosse recouvert de la tête aux pieds d’une armure lourde eut terminé son mouvement, seul le silence s’installa sur la scène et non l'entrechoquement d’épées. Des secondes qui semblèrent des heures s’écoulèrent et dans l’esprit du templier rouge, un maelstrom d’émotions faisait rage. Une partie de lui voulait tordre le cou du magicien à la moustache si bien faite. Une autre était heureuse de le voir et enfin le tout se sentait comme un chien qui courrait après les voitures depuis des années et en attrapait enfin une : il n’avait aucune idée de quoi faire ensuite.
C’était amusant, dans un sens et l’éclair de lucidité d’Aldiun lui dit qu’il venait de faire une grosse erreur en se montrant ici sans plan ni idée brillante. Il n’était plus à présent qu’un géant armé et représentant un camp ennemi face à l’inquisition qui s’était jurée de défendre le pays contre les adeptes de son maître. Cette mention qui ne dura qu’un instant fit bouillir le sang du soldat de choc : il devait le tuer ! TOUS LES TUER ! Mais non, il parvint à retrouver son calme et le seul signe extérieur de la rage qui l’avait enflammé fut ses poings qui se serrent puis se desserrent pendant un bref instant. Poussant un soupir qui résonna comme le râle d’un mourant à cause de son casque d’acier lui masquant le visage, l’homme avança d’un pas, puis d’un autre. Pourtant il suspendit son troisième pas. Déjà parce qu’il n’était plus vraiment sûr de ce qu’il comptait faire et ensuite parce que ceux qui accompagnaient le magicien s’étaient raidit. Comment leur en vouloir ? Ça se voyait bien que l'armoire à glace avançant droit vers l’un des chefs de l’inquisition n’était pas net. Peut-être même que certains l’avaient reconnu . Après tout, Alduin Pinewood était un nom qui n’était pas plaisant à toutes les oreilles, surtout à celles des factions dont les rangs avaient été taillés en pièce par ce géant armé d’une épée large.
De nouveau immobile, Aldiun prit la parole pour la première fois, sa voix râpeuse, comme celle de quelqu’un qui n’a plus parlé depuis des semaines voir des mois, retentit :
-Dorian… Pavus… Enfin…
Comme il est laborieux de parler, comme il est laborieux de se souvenir. Pourtant Aldiun fait des efforts : même si son esprit est comme un sac de verre pilé refermé autour de lui qu’on secouerait avec force. C’est là peut-être les premiers effets du manque de Lyrium rouge mais pour le colossal soldat, une douleur de plus ou de moins…
Mais quoi qu’il en soit, la voix retentit de nouveaux mais cette fois comme avec moins de certitude :
-Tu sais… Qui je suis… Qui je suis… ?
Après tout, il est la seule personne qui semble crédible, cohérente, dans les souvenirs de plus en plus distordu d’Aldiun mais même cette espèce d’ancrage mental ne tiendra pas bien longtemps. Alors même que les échos des paroles du titan se dissipent dans l’air frais de l’endroit, le colosse ressent le besoin de tirer son épée. La glace sur laquelle tout le monde marche ici est si fine, comme faite de l’étoffe d’un rêve.
Est-ce que tout cela va encore finir dans un bain de sang ?
– Inquisition –
Le fracas des épées va-t-il retentir ?
Gardien, 9:42 du Dragon
Feat. Aldiun Pinewood
Ennemi de l'Inquisition – ▲ ▲ ▲
J’étais de retour en cet enfer trempé.
Pour y passer désormais régulièrement, on n’attendait plus vraiment de me demander mon avis avant de m’envoyer à la côte orageuse. Encore. Et toujours.
A force de m’enfoncer dans ce mélange atroce de sable et de pluie, je reconnaissais certains visages familiers. Les tensions étaient moindres contrairement à ma toute première arrivée dans les parages, mais malgré tout, j’avais toujours cette amertume sur le bord des lèvres. Cette question sans réponse.
Nous étions affairés cette fois-ci à planifier les prochaines patrouilles. La nuit allait tomber d’ici quelques heures, nous avions encore le temps de planifier les rondes nocturnes. Accompagnés de la garde de Hautecime, nous échangions et décidions des meilleurs sentiers à emprunter, de l’intervalle entre les rondes, du nombre d’homme à envoyer par tour. Parmi les chefs de fil côté gardes, nous avions John, reconnu et apprécié par son travail, et qui collaborait avec nous depuis un certain temps pour assurer la sécurité des côtes.
Mais si je m’attendais à ce qui allait suivre ..
Bien rapidement, deux éclaireurs arrivèrent en courant vers notre position. Haletant, ils essayaient de balbutier quelconque phrase, avant qu’une claire ne franchisse une des deux bouches.
◊ Un templier rouge est arrivé près du campement !
◊ .. Un seul ?
Je me redressai, précédemment penché sur ma table, le regard agrandi. Un templier rouge. Seul. Mon souffle se bloqua. Mes dents se serrèrent.
◊ Il y a autre chose de .. bizarre. Il demande à vous parler, Dorian.
Aldiun.
Mon âme entière se figea, convaincu de ce qui était en train de réellement arriver. Je pouvais sentir mon corps se tendre, mes veines bouillir, mais aussi une certaine peur grandir dans ma poitrine.
Après un petit temps, le temps que l’information atteignit mon crâne, j’inspirai longuement avant d’expirer en soupirant. Puis, une fois fait, je me mis en route.
◊ Venez avec moi, on va voir ce qu’il veut.
Les deux éclaireurs me guidèrent alors vers le lieu où la chose la plus surnaturelle se produisait. Quelques gardes l’encerclaient déjà, l’arme pointée vers lui. Mais il était bel et bien là, le géant d’acier. Celui qui dévasta un village, mais également ses compagnons. Après quelques mois de silence, et le voilà de retour, pourquoi. Pourquoi ici. Pourquoi maintenant. Pourquoi moi.
Le silence dura un certain temps. Un silence si palpable qu’il pourrait m’étrangler à coup de clé de bras. Ma gorge était sèche. Mon regard scrutait la vaste silhouette qui se dressait face à nous.
C’était beaucoup trop étrange pour ne pas être méfiant. J’inclinai la tête vers John, et m’exprimai d’une voix autoritaire, avec un soupçon de nervosité.
◊ Assurez-vous que cette manigance ne soit pas une diversion pour attaquer le post. Je m’occupe de lui.
Mes paroles s’imprégnaient davantage de colère noire, alors que mes yeux ne pouvaient plus quitter la statue qu’était devenu le templier rouge face à nous. Puis, le colosse se mit à bouger.
Certains gardes restaient à l’affût, tandis que j’attrapai avec précaution mon sceptre. Cependant, je ne le tendis pas dans sa direction ; je le gardai simplement en main, prêt à le brandir en cas de complications. Mais après quelques pas, Aldiun, comme reconnecté à son environnement, s’arrêta net. Les gardes encore présents à mes côtés avaient reculé d’un bon pas, intimidés par un tel géant – ce qui se comprenait totalement.
Et puis, comme si le cheminement de ses pensées prit une éternité à se faire, le templier rouge prit la parole. Une voix rauque, sèche, s’étouffait alors à moitié contre son massif casque.
◊ Dorian… Pavus… Enfin…
Mon regard se plissa. Si le lyrium rouge mettait un certain temps avant de complètement transformer ces templiers en monstres, il semblait avoir bien progressé chez lui en quelques mois. Était-ce si difficile ? Il parlait comme s’il était sur le point de mourir.
Certains regards se posèrent évidemment sur moi. Mais je n’allais pas tressaillir. J’avançai de quelques pas, alors que les gardes s’écartaient un peu, pointant toujours leurs armes dans la direction d’Aldiun, qui reprit la parole de la plus curieuse des façons.
◊ Tu sais… Qui je suis… Qui je suis… ?
Quelque chose n’allait décidément pas. Son état mental semblait complètement en miettes. Il était bien plus loquace, ou simplement expressif, dans mes souvenirs. Qu’espérait-il en venant ici, de l’aide ? Pouvions-nous réellement y faire quoi que ce soit ? Je tentai de garder contenance malgré tout, lui donnant sans doute la réponse qu’il cherchait tant à entendre.
◊ Je me souviens de toi, Aldiun Pinewood. Tu avais attaqué ce village sur la côte, et nous nous sommes affrontés en conséquence.
Creusant dans ma propre mémoire, tout me revenait : le chaos des habitants qui couraient, les gardes désemparés, ce combat qui n’avait aucun sens. Ils cherchaient quelque chose dans ce village. Oui. Je me souvenais.
◊ Avec tes hommes, tu cherchais quelque chose, une sorte d’artéfact, que nous n’avions pas en notre possession. Mais tu sentais à ce moment-là que tu n’avais rien à faire sous les ordres de l’Ancien, je me trompe ? Tu étais hésitant.
J’allais faire table rase sur ma propre hésitation à ce moment-là. Les choses étaient si étranges, et une fois de plus, Aldiun défiait toute logique. Que faisait-il VOLONTAIREMENT à un avant-post de l’Inquisition, seul de surcroît ?
Amateur d’autodérision, je relevai la main qu’il brûla à moitié lors de notre dernière rencontre, la faisant miroiter pour lui montrer de quoi je parlais.
◊ Aussi, tu as une bien rude notion de poignée de mains.
Puis, je m’approchai encore un peu, tentant de deviner l’expression qu’aborderait son visage sous son heaume. Mes dents se serrèrent un instant, avant de reprendre la parole, à la fois confiant et incertain sur ce qui pourrait bien m’arriver.
◊ J’espère que tu te souviens de moi, ou je le prendrais comme un affront de ta part. Cependant, j’ai d’autres questions bien plus préoccupantes.
Sentant la présence des autres gardes près de moi, je n’avais pas tant peur que cela de prendre des risques. Cependant, il devrait en être autrement, après ce tel désastre de frimaire, après cette victoire si amère. Mais ma posture restait droite et digne. Mon regard restait implacable et sérieux. Mes mains restaient serrées et le long de mon corps complètement en état d’alerte.
◊ Que fais-tu donc ici, que penses-tu accomplir en revenant dans les parages ? Et pourquoi me voir moi en particulier ?
A croire qu’il n’en avait pas assez eu la dernière fois, mais voyant son état, raisonner avec lui serait des plus complexes contrairement à notre dernier échange. Mais cette fois-ci, je n’hésiterais pas, j’en étais presque certain.
 
Un village ? Oui. Des souvenirs diffus affluent. Il y avait bien un village… En feu… ? Non, cela ne devait pas être le bon souvenir. Comme un brocanteur paniqué, son cerveau malade lui distribua d’autres souvenirs et… Et… Qu'est- ce que ça fichait là bon sang ? Il ne se souvenait pas avoir vu ni même participé à une scène ou deux naines exécutaient la pirouette retournée Tevintide avec un Qunari !
Un grondement bref monta des profondeurs du casque éraflé et patiné par l'usage du grand guerrier. Espérons que Dorian n’en prenne pas ombrage et ne prenne pas cela pour une réaction, Aldiun n’était même pas en train de suivre le monologue du mage. Le colosse reprit pourtant le train en marche, ses yeux vert de gris cillant brièvement. La vision de la main de Dorian fit sourire inconsciemment le colosse. Si l’humour aurait dû percer, Aldiun souriait plus par un espèce de réflexe qui s’éveille pour une raison inconnue et qui laisse perplexe. Jouant des épaules, le tas de muscles en armure usée écoute et cherche à comprendre tout ce qui se déroule. Les mots entrent, touchent le soldat de choc mais soudain il se demande : pourquoi venir ici ? Pour faire quoi ensuite ? Une voix sinistre lui souffle à l’oreille qu'il est un imbécile fini et il grogne intérieurement. On dirait que la petite voix intérieure qui lui susurre des insultes et des critiques à l’oreille a raison mais néanmoins il ne l’écoute pas vraiment. Cette fichue voix résonne comme celle d’un mage en plus, une raison supplémentaire de ne pas boire ses paroles… Il a déjà assez de problèmes avec un seul mage qui papote alors deux ! Impossible !
Le village donc, ça avait l’air important. Oui, c’était important : le souffle du vent porté par la mer qui lui envoyait une odeur iodée dans les narines, les cris et le sang versé. L4objet que son maître Corypheus voulait les voir récupérer. Une babiole qu’il serait utile d’avoir mais clairement remplaçable. Quel gâchis de moyens, quel gâchis de vie. C’était ce qu’il avait pensé et les autres aussi, non ? Sinon pourquoi se serait-il mit à tuer et à tenter de violer ? Cela l’avait plongé dans une rage folle : des limites à ne pas franchir existaient, même au sein des soldats de choc. Comment tout cela s’était-il terminé ? Il avait du mal à s’en souvenir et il sentit sa gorge déjà sèche devenir rappeuse comme un maudit vent du désert. Alors que le flamboyant mage toujours aussi sûr de sa superbe malgré le temps exécrable parle toujours, le regard d’Aldiun se fixe sur sa moustache, ses lèvres remuantes. Il a envie de les écraser d’un bon coup de poing ganté mais n’a-t-il pas envie de faire ça pour quasiment toute personne croisant son chemin ces jours-ci ?
Relevant la tête, reprenant une posture aussi droite que son vis à vis, le colosse de métal poussa un soupir et sa voix rauque retentit alors, porté loin par sa posture plus droite et sa volonté soudainement retrouvée :
-Je me souviens de toi et surtout de ta harangue, magicien. Je me souviens aussi de notre dernier affrontement. Une partie de moi veut le terminer, dans le sang. L’autre se demande… Pourquoi suis-je venu ici ?
Un silence de quelques secondes marqua la fin de la phrase d’Aldiun qui regarda les quelques gardes accompagnant le mage. Il serait aisé de se débarrasser de cette piétaille se dit le colosse lourdement armé mais à la place il reprit la parole :
-Tu sais qui je suis mais… Sais-tu… Qui j’étais… Qui j’étais avant… Ce qui m’est arrivé ?
Non ! Il perdait déjà le contrôle. Sa voix se faisait de nouveau hachée et laborieuse mais il réussi à se contrôler et à reprendre la parole même si il laissa échapper un grognement bestial et agressif avant cela :
-Qui étais-je Dorian… Pavus avant… De devenir… Un monstre ?
Les symboles des templiers souillés ornant son armure étaient une piste et ce malgré les dégâts qui leur avaient été infligés visiblement de manière volontaire. A bien y réfléchir, c’était risible : un fichu templier rouge qui demandait à un maudit MAGE de trouver des putains de TEMPLIERS ! On dirait le début d’une mauvaise blague. Pourtant le regard brillant du colosse bardé de fer était tout sauf animé d’une étincelle espiègle. Un refus net risquait fort de le faire basculer en mode combat. Ceci dit est-ce qu’un ennemi de toujours des templiers rouges allait accepter d’aider l’un d’entre eux ? Même un cas aussi spécial qu’Aldiun ?