Juste un petit peu d'encre

Cher journal,

J’ai rencontré quelqu’un aujourd’hui. Deux personnes pour être exact, ils sont venus à ma rencontre. Un homme apaisé, Salomé, et une femme vêtue de noir. Elle s’appelle Quellcrist. Ils venaient pour moi. Ils m’ont recherché. Ils veulent que je les suive… Je ne sais toujours pas si c’était une bonne décision à prendre, mais j’ai accepté. Je ne veux pas mourir, cher journal. J’ai faim, froid, je suis épuisé… Peut-être que c’est une bonne chose d’aller avec eux. Quellcrist m’a dit que je pouvais partir si je le souhaitais, si je jugeais que c’était préférable. Pour l’instant, je ne sais pas. On verra.

J’en ai assez d’être seul.

Cher journal,

Salomé m’intrigue. Il est un apaisé, ce qui fait qu’il n’a plus d’émotion. Enfin je crois. Quand il ne dit rien, est-ce qu’il pense ? Pas avec sa raison, mais avec autre chose… Il a toujours l’air si détaché, si pragmatique, mais il est si gentil. Dans un sens. Il ne me parle pas quand je ne lui adresse pas la parole, c’est dire si nous ne parlons pas beaucoup. Je l’écoute cependant, quand il parle avec Quellcrist. Un jour, j’aimerai connaître son histoire, comprendre pourquoi il est devenu un apaisé. Je n’ose pas lui demander…

Cher journal,

Je me suis souvenu d’une histoire. Une qu’Isadona m’avait racontée, quand j’étais enfant. Il y a longtemps, très longtemps, il y avait un village. Dans ce village très commun, on y retrouvait un peu de tout : épicier, tailleur, et un barbier… Un seul et unique barbier ! Il y avait une enseigne à la devanture de sa boutique. Elle disait ceci : « Je rase tous les hommes qui ne se rasent pas eux-mêmes et uniquement ceux-là. »

Je n’arrive pas à retrouver dans mes souvenirs la fin de cette histoire. Et depuis que j’y pense, j’ai tellement de questions ! Qui rase le barbier dans ce cas ? S’il se rase lui-même, il ne suit pas son propre règlement. Est-il un menteur ? Mais s’il dit la vérité, alors… le barbier est une femme ? Ou un garçon sans barbe ? Le Créateur lui-même ? Un esprit ? Un démon ? Est-ce que le barbier existe ? Qu’est-ce qu’un barbier ? Qu’est-ce qu’une barbe ?

Cher journal,

Je crois que je ne suis jamais resté aussi longtemps quelque part. J’aimerais vraiment décrire cet endroit, mais la dernière fois que je l’ai fait, une Templière a pris la peine de tout lire comme si c’était le sien, de journal. Et... je n’ai vraiment pas envie que d’autres Templiers viennent. Il y a beaucoup de gens comme moi, mais ce n’est pas oppressant. En fait, je crois qu’ils sont désespérés, mais qu’ils aiment bien rester là. Parce qu’ils ne sont pas seuls, et qu’on est en sécurité.

Quellcrist me donne régulièrement des leçons, au moins une fois par jour, et je pratique la magie. Elle semble plutôt fière, et pour être sincère, ça me fait plaisir aussi. Pour l’instant ce ne sont que des sorts très basiques, le genre que j’aurais dû maîtriser il y a déjà des années, mais elle affirme que je dois déjà être fier de ce que j’ai accompli.

Bientôt, elle m’a dit qu’il faudrait me procurer mon premier bâton de mage. J’appréhende. Je ne suis pas sûr d’être prêt. Et si jamais mes pouvoirs m’échappaient ? Et si ça se passait mal ? Elle m’a aussi parlé de ma Confrontation, que je serai bientôt apte. Par le Créateur... Je ne peux pas ! Pas déjà ! Pas maintenant !

Cher journal,

Je n’arrivais pas à dormir cette nuit. Allez savoir pourquoi, j’ai l’impression que mon esprit veut rester éveillé, comme si j’étais encore… Tu sais. Ailleurs. Bref, ce n’est pas le propos… Je n’arrivais pas à dormir, et je suis sorti du camp. J’ai marché dehors, c’était très silencieux… et reposant… J’ai appris un jour que cet endroit, les elfes Dalatiens y plantaient un arbre pour chaque soldat tué pendant les Marches exaltées. C’est un gigantesque cimetière. J’y marchais, en silence, essayant de voir en ces arbres une pierre tombale. Et il y en avait tellement… C’est étrange, ce sentiment d’être si miniature, si insignifiant, et en même temps si serein. Je me sentais… bien. Comme si j’étais entouré d’une présence ancienne mais apaisante. Je ne l’avais encore jamais ressenti jusqu’ici, quand je suis arrivé.

Je me demande si les Dalatiens viennent encore, c’est peut-être naïf de le penser. Je ne connais rien de ce peuple. Mais, je ne sais comment l’expliquer… j’aimerai connaître leur histoire. J’aimerai connaître ces gens. Peut-être qu’un jour, j’en aurais l’occasion.

Cher journal,

Ça fait un moment que je n’ai pas écrit ici. Et pour cause : ma vie allait… beaucoup mieux. Être avec ces gens, faire partie de leur groupe, participer aux tâches, être intégré… Je veux dire, c’est quelque chose qui ne m’est pas arrivé depuis longtemps. Je crois que ça dure depuis un moment, je ne m’en étais pas rendu compte, mais maintenant c’est vrai, je crois que je suis des leurs. Certes c’est parfois difficile, et Quellcrist est une mentor exigeante, mais… quand je relis ces pages, je me rends compte combien ma vie a changé. Et combien moi aussi j’ai changé. Je crois que j’ai retrouvé quelque chose.

Et je crois que je suis vraiment content d’être là.

Cher journal,

Pourquoi le Créateur a-t-il inventé le chou ? Ça ne ressemble à rien, ça n’a le goût de rien sinon de l’eau et de l’herbe, et le pire, c’est que j’en ai presque tous les jours. Je n’aimais déjà pas ça quand j’étais gamin, ça ne va pas changer maintenant ! Vivement qu’il y ait autre chose au menu…

Cher journal,

Tout a changé. Je veux dire… tout.

Et en fait, je ne sais même pas comment reprendre à écrire tant je ne saurais pas poser de mots sur ce qui s’est passé. Les choses commençaient à devenir un petit peu plus tendues au camp : Quellcrist était nerveuse, je le voyais bien, et elle me donnait de moins en moins de leçons. Je m’entrainais seul, et puis je continuais mes tâches, j’aidais ici et là, on a toujours besoin de bras. Mais on s’est fait attaqués une première fois. Les Templiers Rouges.

J’en avais déjà vu, mais de loin, et à cette époque je les esquivais sans demander mon reste. Jamais je n’ai eu à combattre l’un d’entre eux. Cette fois-ci, j’ai combattu. Avec d’autres mages. C’était une petite attaque, mais elles sont devenues fréquentes.

Puis, Quellcrist nous a appris qu’on ne pouvait plus rester dans les Tombes : les Dalatiens demandaient notre départ, et nous devions trouver un nouvel endroit où rester. Je n’ai rien dit, bien sûr, mais j’étais un peu triste de quitter notre campement. J’aimais ces Tombes. Là, j’écris avant de me coucher, mais ce sera notre dernière nuit ici. Demain nous prendrons la route.

Quellcrist.

On a perdu Quellcrist.

Je… Je ne sais pas comment le dire plus simplement, mais… on… on l’a perdue. Les Templiers Rouges nous sont tombés dessus, et cette fois, plus durement, ils ont emmené plusieurs des nôtres. Elle en faisait partie. Je n’ai rien pu faire.

Rien.

Je ne sais pas ce que nous allons devenir maintenant.

Il y en a qui se sont tournés vers moi, et qui m’ont demandé : « Bryn, que va-t-on faire ? ». Ils… m’ont demandé ça. Ces mots. Littéralement. « Que va-t-on faire ? ». Comme si… je ne sais pas. Comme si je devais apporter une réponse à cette question.

Je n’en ai pas la moindre idée.

Parce qu’on a perdu Quellcrist…