Chasing the Red Hiding Stuff (Pv Servis)

Installée à un bureau dans une petite salle avec un feu de cheminée crépitante, je triais comme je le pouvais les nombreux rapports et missives sur la table. Concentrée, le regard impassible, je parcourais les multiples lignes et griffonnais parfois quelques notes sur un autre parchemin. Cette pièce était sobre, avec une simple étagère comprenant quelques livres poussiéreux oubliés par le temps ainsi qu’une malle fermée contenant de nombreux éléments utiles pour mes études magiques. Sur le bureau trônait une chandelle allumée, ainsi qu’une bouteille de vin à peine entamée et un verre de vin à moitié vide. Dans un coin, attendant sagement, se trouvait un esclave elfe qui restait impassible dans l’ombre, debout à veiller sa maitresse. La pièce était sombre, avec de petites fenêtres et le temps grisâtre au dehors n’aidait pas à améliorer la lecture. Mais nous n’avions guère le choix. Nous devions déjà nous estimer heureux d’avoir pu trouver un pied à terre à Kirkwall pour nos recherches, dans une zone acceptable de la ville. Acceptable pour mes standards, je dois dire. Un ancien domaine dans la haute-ville, dans une partie un peu reculée et limitrophe avec la basse-ville. Grâce à un jeu de diverses relations à Tévinter et quelques pots de vins de la part de Magister Adeptes, nous avions pu emprunter ce manoir presque abandonné pour nous servir d’avant-poste pour cette mission.

Et la mission était d’importance pour l’Ancien. Greagoir, un compagnon Adepte, avait été envoyé par Corypheus dans les Tréfonds non loin de Kirkwall pour retrouver une idole de lyrium rouge, similaire à celle qui avait rendu folle la Chevalier-Capitaine Mérédith. Mais les retours alarmant ne font qu’échos à l’échec de cette mission, Greagoir étant mort et presque tous les participants de l’expédition ont été rendus fou, tué ou portés disparu. Une rumeur a cependant subsisté que des artefacts de lyrium rouge ont tout de même été retrouvé, et la nouvelle arrivée aux oreille de l’Ancien celui-ci a de suite dépêché une nouvelle équipe pour la retrouver. En tant que spécialiste du lyrium rouge j’ai été bien entendu sommé de prendre part à l’enquête et de mener si nécessaire une expédition dans les tréfonds pour retrouver leurs traces. Mais j’avais demandé également l’assistance de Servis, qui s’y connaissait bien mieux en « objet étrange » et artefact. A nous deux nous devrions nous en sortir, n’ayant aucun doute sur les compétences de Crassius. Je lui avais donné rendez-vous à Kirkwall, et depuis les 2 semaines que j’étais sur place je prenais soin d’organiser l’expédition et de trouver des pistes en l’attendant. Je ratifiais d’ailleurs un énième rapport de compte sur les fournitures qu’un homme entra dans le bureau. Je levais la tête pour voir un homme carré à l’air un peu fatigué, ses cheveux courts bruns et son martinet rappelant son statut de Maitre Esclave. Il s’était approché de la table, ne parlant pas de suite et attendant les ordres. Mes yeux se baissèrent sur la feuille, continuant d’écrire tout en l’interrogeant.

"Ursus, où en sommes-nous ? "

Il s’autorisa enfin à parler, d’un ton un peu bourrus mais avec tout le respect qu’il se devait par rapport à un supérieur hiérarchique.

"Deux de nos trois pistes n’ont rien donné, Sera Amladaris. Mais nous devrions avoir un retour d’Halda d’ici peu, elle doit revenir de Sombrerue dans la journée. "

Je m’arrêtais d’écrire, posant doucement la plume avant de m’enfoncer dans mon siège. Il allait donc falloir sans doute chercher à l’aveugle. Il nous fallait plus d’informations pour savoir où chercher et s’il n’y avait pas des rescapés cachés dans Kirkwall, mais pour le moment nous n’avions pas grand-chose. Je comptais cependant sur Halda qui n’était pas sans ressource. Cette mage apostate du Sud de Thédas avait su montrer un talent certain pour se cacher des autres et se fondre dans la masse, mais elle savait surtout récolter des informations de sources provenant des zones les moins fréquentables. Son temps au Carta lui avait été utile, et maintenant elle mettait son expérience à notre service. Je lui en savais gré, mais rien ici ne garantissait qu’elle allait nous trouver quelque chose. Je poussais un léger soupire, reprenant un peu de vin tout en donnant d’un ton calme mais impérieux les prochaines directives à Ursus.

"Parfait, nous attendrons donc son retour. Dites aux hommes de garder l’œil et les oreilles ouvertes, surtout dans la Basseville et à Sombrerue. Hâtez également les préparatifs pour l’expédition, nous ne devons prendre aucun retard. "

Je le fixais de mon regard glacé sur ces derniers mots, n’ayant pas besoin d’hausser de la voix pour montrer que je ne saurais tolérer la moindre faiblesse de ce côté. Il déglutit légèrement, inclina la tête légèrement avant de s’en aller d’un bon pas. Je n’avais pas la réputation d’être une patronne des plus amicale, et en plus de mon exigence je n’hésitais pas à utiliser mon statut pour punir de façon violente et radicale les sujets de ma déception. Il me faut bien des sources pour mes expériences sur le lyrium rouge ou pour invoquer des démons après tout, au moins ils se rendent utiles une fois dans leur vie. En attendant, il ne fallait pas non plus que je diminue mes ressources, et cela n’arrivait de toute manière qu’en dernier recourt. Mais les rares fois ont été efficaces pour remotiver l’ensemble des gens sous ma coupe. Certains comprenaient cependant comment je fonctionnais, et pouvaient s’attirer une relative faveur s’ils arrivaient à me montrer qu’ils étaient compétents, rapides et efficaces. Et la porte avait à peine le temps de se refermer qu’une autre main épaisse l’ouvrit en grand, laissant entrer un homme en armure au teint hâlé qui s’approcha rapidement de la table, ainsi que deux autres soldats plus discrets qui restèrent au niveau de la porte.

"Sera, des nouvelles du port. Le bateau de Servis Crassius va accoster d’ici peu. "

Sa voix était étrangement posée, mais elle ne traduisait pas la même crainte que pour le maitre esclavagiste. Je posais mes yeux froids sur lui, laissant voir un petit rictus de satisfaction à la nouvelle. Ce templier était un des rares qui avait su gagner mon estime pour que je puisse tolérer une approche aussi cavalière. Nous nous respections l’un l’autre, chacun connaissant son rôle et ses limites. Je n’irais pas remettre en question ses ordres à ses hommes, mais j’attendais de lui compréhension sur nos objectifs et une mise à disposition totale des moyens. Pragmatique et volontaire, il était loin d’être un mou du genou et savait faire preuve de bon sens. Ainsi son armure n’était pas celle des templiers, mais d’un aventurier pour ne pas attirer l’attention. Il avait sélectionné des templiers qui venaient tout juste de prendre du lyrium rouge, pour qu’aucune apparence monstrueuse ne vienne saper nos efforts pour faire profil bas dans cette ville. Moi-même je faisais attention, laissant mon bâton au domaine autant que possible et m’étant vêtue comme une simple aventurière sans aucune trace ni breloque tévintide. Je posais mon verre et me levais, décidée dans un soudain besoin de prendre l’air à rejoindre Servis au port

"Bien, allons l’accueillir comme il se doit dans ce trou à rat. Wallace, avec moi et deux autres hommes. Dani, attendez mon retour et finissez de préparer la chambre de notre invité. "

Je sortais de la pièce, laissant Wallace et ses soldats m’accompagner tandis que j’avais donné mes ordres à l’elfe. Il était diligent, et sans avoir à attendre qu’il me confirme avoir reçu mes ordres j’étais déjà dans l’escalier en direction du hall, et sortais dans la rue. L’air humide aux relents âcres m’agressa le nez, mais je relativisais en me disant que ce n’était pas pire que Sombrerue. Prendre l’air, est ce qu’on peut vraiment considérer que c’était bénéfique pour soi à Kirkwall ? Je marchais dans la hauteville, entourée de Wallace et de 3 autres soldats en armure discrète. Nous nous dirigions vers les docks, Wallace prenant les devants car connaissant le chemin mieux que moi. Il nous amena vers un bateau de taille moyenne, déchargeant plusieurs caisses sous l’œil avisés de plusieurs dockers. Une silhouette se trouvait là, à quelques mètres et de profil. Je n’eus pas de mal à reconnaitre Servis, qui souriait et semblant toujours aussi nonchalant et affable même devant ce marin à l’air louche avec qui il discutait. Je m’approchais, ne tenant pas compte de leur conversation commençante ou finissante pour m’adresser à lui d’une voix calme et claire.

"Je vois que tu es toujours là à être souriant Servis, c’est donc que les pirates ou les tempêtes n’ont pas eu raison de ton optimisme presque maladif… "

Je poussais un léger soupire d’exaspération, ne comprenant pas cet état d’esprit perpétuel. Non pas que je le méprise, loin de là. Quand il s’agit de faire parler ou de nouer un lien avec la plèbe, c’est fort utile. Je n’étais pas douée pour les relations avec les autres, n’ayant aucune patience ou tolérance pour ce qui m’indisposait. Un idiot reste un idiot, pourquoi perdre son temps avec ? Mais Servis avait tout l’art et la subtilité de rendre ce talent plus qu’utile. En attendant, je lui servais ma verve acerbe et glaciale typique de mes débuts de conversation en présence de relation amicale et tolérées comme lui. C’était ma manière de montrer mon estime et mon affection en un sens, et tout en le toisant et en le fixant de mon regard inquisiteur je souriais légèrement.

"J’aimerais te dire que les effluves marins t’ont donné bonne mine, mais vu ta pâleur verdâtre la mer ne semble vraiment pas te convenir au teint. Ha… et bienvenu à Kirkwall. Charmante petite ville portuaire… "

Réflexion ironique bien entendu, mais nul doute qu’il avait perçu la subtilité. Jamais je ne m’extasiais sur un lieu moderne, ou alors pour le décrier avec autant de bile que ce que je pouvais en cracher. Kirkwall allait devenir, je l’avoue, ma nouvelle favorite en la matière. Pour ce qui est de Servis, il est mon favori à piquer après Samson. Enfin, pour l’instant.

Accoudée au bastingage, Servis regardait la ville approcher. Elle avait été une cité impressionnante par le passé. En un sens, elle l'était restée, malgré la terrible explosion qui l'avait secouée quelques années auparavant. Depuis la mer, la cité des chaines avait l'air d'avoir perdu peu de son panache. Les esclaves géants taillés dans la roche en bordaient toujours l'entrée, avec dans leurs mains ces longues chaînes maintenant la ville à flot.
Il soupira. La traversée avait été longue, mais elle s'était surtout révélée inattendue. Le projet tout entier semblait horriblement soudain. Énigmatique aussi. Servis avait été demandé expressément par Aesthia, et Aesthia avait été contactée par l'Ancien lui-même. C'était justement cette pensée-là qui fit soupirer Servis. Celle de l'Ancien. Voilà qu'il se mettait à avoir des exigences. Et voilà que Servis se faisait happer dans ses plans. Il n'avait rien demandé lui. Il voulait juste poursuivre ses fouilles, et donner un coup de main en ce qui concernait l'organisation. Mais il ne souhaitait pas se jeter à corps perdu derrière des rumeurs.

Cette rumeur-là, tout Thédas devait l'avoir entendue tant elle semblait romancée. Il y avait là bien tous les éléments d'une bonne histoire. l'expédition héroïque, le trésor merveilleux qui se révélait être maudit, et la fin tragique. Il n'y aurait eu aucun survivant. Alors, suivant toute logique, on envoyait une nouvelle cargaison d'aventuriers biens frais pour aller se frotter à la malédiction. Crassius n'avait pas l'étoffe d'un héros, il aimait la poussière, voilà tout. Braver la souillure des engeances, tenter de survivre à une exposition au lyrium rouge, cela n'avait pas de place dans son agenda. Et pourtant, Aesthia l'avait fait venir. Et il n'avait eu d'autres choix que d'accepter. C'était une demande de l'Ancien. Encore lui tiens !

Crassius s'était engagé sur le bateau seul. Il avait laissé le soin à Octavian, son second, de gérer les affaires courantes de la Porte du Ponant. Il était également passé à l'aile du Griffon pour menacer Macrinus, Murcia et Morven, qui n'en finissaient plus de se disputer comme des enfants. Puis, n'aboutissant à rien avec eux, il s'était éclipsé presque joyeusement, un simple sac passé sur l'épaule. Il avait passé les premières heures de sa traversée à explorer le rafiot sans pavillon qui devait le conduire jusqu'à Kirkwall. Il avait laissé traîner ses oreilles, surprenant bien des conversations, puis ce jeu l'avait lassé, et il s'était trouvé un coin isolé pour commencer son ouvrage. Servis était un habitué des longues traversées : il avait développé une activité qui lui permettait d'en passer le temps. Il s'était mis au crochet.

S'en étaient suivi les tracas habituels à toute traversée : l'ennui, les maladies, les bagarres. Les paris aussi et les réconciliations, plutôt courtes celles-là. Il avait mis le feu à une voile, et avait été forcé d'en rapiécer le troue occasionné. De fil en aiguille, il s'était lié d'amitié avec l'un des marins, un homme plutôt grand lui aussi, mais fortement bedonnant et bien plus âgé. À moins que ce ne soit ses dures conditions de vie qui n'ait accéléré le vieillissement de sa peau et la perte de ses cheveux fins.
Ce fut cet homme qui vint l'avertir de leur arrivée. Il lui jeta son bâton, que Servis reçu adroitement, heureux de le retrouver après qu'il lui eut-été confisqué. L'homme tendis ensuite sa grosse paluche en avant, attendant son dû.

Confirma le mage en fouillant dans les poches de sa large cape sombre. Il finit par trouver l'objet tant convoité par le marin : une petite réplique d'un requin, crocheté au fil gris, que Servis fit nager dans un courant imaginaire avant de le lui lancer.

Servis étouffa une grimace de dégoût, et récupéra son sac au sol. Il était temps pour lui de débarquer.

Son nouvel ami l'avait accompagné jusqu'aux quais. Visiblement, il avait peur que Servis ne se fasse encore prendre à partie, même une fois débarqué. Ils étaient enlisés dans une conversation sans intérêt, bien que plaisante, lorsque Servis aperçut la silhouette familière d'Aesthia se détacher de la foule. Elle n'était pas venue seule.

Lui répondit Servis tout en lançant un clin d’œil à son nouvel ami au requin.

Il prit congé du marin, qu'il salua d'une tape affectueuse sur l'épaule, et rejoint le groupe mené par Aesthia. Il attendit qu'ils se soient suffisamment éloignés pour lui susurrer : soudainement tendu :

Comme à son habitude, le mage répondit avec son éloquence et sa fatiguante bonne humeur. Mais c'était son bon point, et il s'était fait un ami à bord on dirait. Alors qu'il déblatérait je ne sais quelle plaisanterie sur Kirkwall et sa capacité à la mettre à genou par son charisme et son optimisme, je le regardais avec une désapprobation et une froideur certaine, répondant poliment à tant d'enthousiasme par un simple mot aussi glacial que les Dorsales de Givre.

"Charmant..."

Je le regardais prendre congé du marin, soupirant légèrement et me demandant finalement si j'avais bien fait de le faire venir. Sa bonne humeur pendant toutes ces semaines, ça allait être plus éreintant qu'une invocation de démon de l'Orgueil. Je me sentais déjà minée à l'idée de devoir passer des soirées à supporter sa bonne humeur. Mais bon, nous avions du travail, et il n'allait pas avoir le temps de flâner. Je lui fis signe de me suivre, nous détournant entouré de templiers en direction de la hauteville. Avec surprise je vis Servis s'approcher de moi et me sussurer des mots à l'oreille. Je lui jetais un regard entre le dégoût et le profond malaise, m'éloignant de lui d'un léger ps sur le côté pour garder une certaine distance de sécurité. Voilà qu'il se permet une telle proximité... Nous n'avons pas gardé les cochards ensemble quand même. Mais sa question, ou plutôt sa crainte qui paraissait sincère, m'étonna également. Avec toujours le même calme mais la surprise véritable dans le ton, je lui rappelais que je ne pouvais pas le détester. Sinon, il ne serait pas là.

"Servis, je suis étonnée que tu puisses penser cela de moi. Si je te haïssais, je ne prendrais même pas la peine de te contacter, ou alors tu serais déjà mort."

Nous marchions d'un bon pas, montant les sempiternelles escaliers, quittant le port pour rejoindre la basse-ville. En ces quelques jours je m'étais habituée, et avais même trouvé dans l'exercice une certain côté bénéfique pour le corps et l'esprit. La respiration et la concentration ne s'en trouvaient qu'améliorées et donc mes performances en tant que mage de terrain ne pouvaient baisser malgré ces jours à rester dans la même ville. Je jetais un regard plus brillant à Servis, entre la curiosité et une légère malice.

"Mais tu es utile, et c'est ce qui compte. Je croyais que tu aimais les artefacts en tout genre, non ? Est ce qu'un peu de lyrium rouge te ferais peu maintenant ?"

J'esquissais un léger sourire, regardant Servis avec un certain amusement. Qu'il renonce à ses précieux petits objets pour un peu de lyrium, cela tenait d'une préciosité jusqu'alors inconnue chez cet énergumène qui aime patauger dans la poussière et les toiles d'araignées. Cette soudaine crainte me paraissait autant amusante qu'incongrue. Aller dans les Tréfonds découvrir des Thaigs, ne devrait il pas être heureux ? Je lui fais un cadeau après tout. Quel ingrat...

Bien malgré lui, il fut touché par son mouvement de recul alors qu'il n'avait cherché qu'à partager ses craintes. Il se savait trop liant. Trop communicatif lorsqu'il ne portait pas le costume complet des venatori. Il savait également que sa spontanéité pouvait être mal interprétée par ceux qui étaient de nature plus réservés. Le fait de le savoir ne le prémunissait en rien contre les retours de flamme. Le froid glacial jeté par Aesthia le brûla. Sa démarche en devint plus rigide, son regard plus vague et ses yeux plus ternes.

Répondit-il un peu automatiquement en langue commune, faisant rouler son accent sur les consonances les plus dures. Ils quittaient le port et s'engageaient à présent dans un quartier à l'allure délabrée. Certainement la basse ville. Servis fut assailli par les odeurs. celle de l'urine principalement, mais également celle de la crasse et une plus poivrée, plus difficilement reconnaissable. Devant des portiques délabrés, de pauvres gens discutaient, ne prêtant qu'assez peu attention en apparence à leur progression. Pourtant, un groupe comme le leur ne pouvait qu'attirer les soupçons : ils étaient trop nombreux pour se fondre dans la masse. Mais vu l'allure que dictait Aesthia, elle souhaitait les voir rejoindre au plus vite leur cache. *Faites que ça ne soit pas ici.* Songea tristement Servis, à présent morose.

Servis rabattit les pans de sa cape sur son buste. Il ne souhaitait pas attirer l'attention sur les vêtements visiblement de bonnes factures qu'il portait. Même s'ils étaient présentement bien chiffonnés par son long voyage en bateau. Toujours maussade, il réalisa qu'il était fatigué. Las peut-être également de tout le stress que cette mission lui occasionnait. Ne craignant pas d'être entendu par les autres membres de leur procession, Servis répondit :

Il ne pouvait pas admettre à haute voix et devant Aesthia, que son véritable trouble était causé par l'ombre de l'Ancien. Cela ne lui plaisait définitivement pas d'être mêlé si étroitement à ses affaires. Il lui restait encore à définir la nature même de cet être, charlatant ou véritable illuminé ? L'homme n'en restait pas moins dangereux.

Servis avait l'air... étrange. Plus éteint que d'habitude. Normalement il avait toujours cette espèce d'aisance et de fierté, même quand il était en terrain inconnu. Mais là, il apparaissait abattu, amoindrit. Etait ce le voyage qui l'avait autant fatigué ? Morose, il partageait ses inquiétudes sur cette mission, se sentant méfiant. Je regardais les quelques échoppes de la basse-ville de façon pensive, recherchant à trouver dans mon esprit un véritable raison à son inquiétude.

"Les Tréfonds n'ont jamais été un terrain de jeu des plus accueillant, je peux comprendre."

Les engeances, les araignées géantes, les éboulis... il y avait de nombreuses raisons pour lesquelles ont souhaitait éviter cet endroit. Rien que pour trouver un guide et une entrée, c'était la croix et la bannière. L'idée de mourir là bas ne m'enchantait guère non plus, mais nous avions une mission et j'avais les dents suffisamment longue dans mon ambition d'en savoir plus que je passais outre cet aspect morbide de notre voyage. Servis était plutôt du genre bon-vivant, qu'il regrette sa vie là haut est concevable. Mais bientôt il pensa à quelque chose de plus positif, montrant enfin un intérêt pour ce qu'il pourrait trouver dans ces grottes. Au point qu'il espérait qu'on allait s'y perdre. Je le regardais avec surprise, voyant comment il se retrouvait aussi rapidement. J'esquissais un sourire et réprimais un petit rire, posant sur lui un regard intéressé et légèrement amusé.

"Fu, maintenant je retrouve le vrai Servis. Continue de penser à ce que tu pourras trouver, tu es plus efficace ainsi. Mais ne compte pas sur moi pour aller te chercher si tu te perds."

Nous montions de nouvelles marches, le décor changeant imperceptiblement. Il y avait plus de gardes de la ville, les gens étaient mieux habillés et l'on braillait moins. L'odeur était aussi plus supportable, les rues plus dégagées et large. La haute-ville était vraiment plus agréable à vivre. Tout en continuant de parler de tout et de rien, surtout de nos recherches respectives, nous arrivions enfin dans une petite ruelle un peu renfoncée, serrée et ne donnant que sur une porte en bois et en fer tout au fond. Il y avait l'emplacement sur le montant de la porte pour y porter des armoiries, mais il n'y avait rien de marqué dessus. Je me tournais vers Servis, lui signifiant que nous étions arrivés.

"Nous y voici. Ce n'est pas comparable à ce qu'on trouve à Tévinter, mais c'est l'endroit où on a le moins de chance d'attraper des puces dans tout Kirkwall."

Je toquais à la porte, trois coup, puis deux, puis quatre, et elle s'ouvrit enfin. L'elfe qui m'avait assisté dans le bureau était là, inclinant la tête avec respect et regardant par terre, libérant le passage pour nous laisser entrer dans le vestibule. On pouvait y voir quelques Venatoris de passage, tous en tenues locales qui regardèrent un instant avec curiosité les nouveaux arrivants. Mais voyant que j'étais de la partie, je les vis assez rapidement déguerpir. Ils font bien, qu'ils retournent à leur poste, ils ont autre chose à faire que de jaser dans les couloirs. Je n'avais pas le temps de les sermonner de toute façon. Je me tournais vers l'elfe esclave, qui refermait la porte derrière nous.

"Dani, conduit notre hôte à ses quartiers et prépare lui un bain. Servis, je te laisse te reposer un peu. Nous nous retrouverons pour le souper."

J'avais finis cette phrase à l'intention de Servis, inclinant légèrement la tête et tournant aussi vite les talons pour retrouver mon bureau d'étude. Il devait être fatigué, aussi il ne servait à rien de le fustiger d'information qu'il ne sera pas capable de comprendre ou de retenir. Je le voulais efficace, et en l'occurrence il n'était visiblement pas en état. Rien ne pressait non plus. Wallace était repartit dans le hall pour chercher ses hommes et avoir un retour de leur part en son absence. Dans les couloirs, je croisais Ursus qui me confirma qu'il n'y avait rien de nouveau, Halda n'étant toujours pas revenue. Je lui demandais alors de donner l'ordre de préparer le souper, en rajoutant un couvert. Je me retrouvais ensuite enfin seule dans mon bureau, soupirant d'aise à l'idée d'être dans un havre de silence et de paix. Je m'asseyais, voyant que Dani avait pris soin de ranger quelques papiers et de nettoyer les miettes de mon dernier repas rapide sur le bureau. Je me servais un nouveau verre de vin, buvais quelques gorgées et reprenais ma plume. Ha oui, les comptes...


Trois bonnes heures avaient passé, et j'avais réussi l'exploit de me retrouver sans personne pour venir m'interrompre pendant plus d'une heure. Mais il fallait bien qu'on vienne me fait les doléances. Dani était revenu pour vérifier que je n'avais besoin de rien, je lui remettais des documents à rendre à Ursus. Puis ce fut un mage qui vint se plaindre d'un templier, et ensuite un prélat qui demandait s'il pouvait sacrifier un esclave pour Dumat afin de nous accorder ses faveurs pendant notre expédition, la lune étant bla bla bla... Je commençais à avoir l'habitude, mais le fait de ne pas pouvoir toucher à mes propres recherches me crispaient au plus haut point. Plus ça allait, et plus j'étais sèche et menaçante, posant sur la moindre personne qui osait traverser le pas de ma porte un regard noir ne demandant qu'à invoquer un démon pour être enfin tranquille. Mais ce fut vers la fin de l'après-midi que Wallace fit irruption dans mon bureau, à son habitude sans frapper. Je lui jetais un regard glacial, me demandant si cette fois-ci je n'allais pas le frapper ou le foudroyer sur place.

"Sera, Halda est de retour et elle souhaite vous parler."

A cette nouvelle, je me détendis un peu. Je restais silencieuse un instant, mon regard et mes expressions reprenant leur calme et froideur habituelle. Dans ma tête les choses s'enchainaient. Je jetais un coup d'oeil rapide à la petite fenêtre, voyant que le crépuscule était à nos portes.

"Merci Wallace. Va chercher Crassius Servis, qu'il nous rejoigne à la bibliothèque et demande à Dani de nous apporter du vin et de quoi manger. Nous allons avancer un peu le souper. Préviens Halda qu'elle nous y rejoigne."

Je me levais, n'accordant même pas un regard à Wallace qui inclinait la tête et repartait par la porte.

"Bien sera...."

Je rassemblais plusieurs document, essayant de retrouver le rapport qui résumait notre situation ainsi que les informations à notre disposition. Presque tout était prêt pour l'expédition, il nous manquait juste un guide, une carte fiable et une information pour savoir par quel passage ils sont entrés, et quelle direction. C'était cela qu'Halda était sensé trouver à Sombrerue, ayant entendu parlé de quelques malandrins qui se vantaient d'avoir des informations extraits d'un des survivants devenus fous. Je marchais d'un bon pas en dehors de la pièce, tenant entre les mains quelques parchemins. Je rejoignais le grand hall pour ensuite monter à la bibliothèque. C'était un endroit un peu à part comportant plus de livre et se trouvant étrangement plus chaleureux. Il y avait des statues et des sculptures collectionnées par le propriétaire, quelques tentures au sol et une cheminée qui chauffait en ce mois d'hiver. Il y avait également une table d'étude assez grande pour qu'on y mange à 6, et près de la cheminée une table basse avec quelques fauteuil en vieux velours. Je m'y installais, voyant Dani arriver en compagnie d'un autre esclave. Dani portait une bouteille de vin, pendant que l'esclave avait entre ses mains un plateau comportant quelques cochonnailles, du raisin, un peu de fromage et deux coupes à vin. Pendant que Dani me servait du vin, Halda fit enfin son apparition. Elle n'avait pas avec elle son bâton, semblait un peu sale mais sa mine plutôt satisfaite montrait qu'elle avait de nouveaux éléments. Nous parlions rapidement de quelques détails, lui expliquant que nous attendions l'arrivée de notre hôte avant de parler de ses informations, quand il apparut dans l'embrasure de la porte. Je ne prenais pas la peine de me lever, n'ayant qu'à tourner la tête pour le voir. Poliment, je fis les présentation d'usage.

"Servis, je te présente Halda Waterbrook, une mage apostate du Sud qui nous sert d'indic'. Elle a enquêté pour nous à Sombrerue et je pense que son rapport pourrait t'intéresser. Assied toi."

Je lui fis signe de s'installer sur le siège non loin du mien, Halda restant debout et saluant avec politesse le nouveau venu. Maintenant que nous étions tous là, il ne restait plus qu'à savoir ce qu'elle avait d'intéressant à nous divulguer.

Servis se laissa docilement conduire dans le dédale urbain de la cité des chaînes. Les successifs changements de quartiers se faisaient de façon presque imperceptible tant les rues étaient étroites et la place disponible limitée. Pour passer des uns aux autres, il fallait gravir des escaliers. Des escaliers pour passer des docks à la basse-ville dont les ruelles sombres et insalubres faisaient presque regretter à Servis ses quartiers sur le bateau qu'il venait à peine de quitter. Puis des escaliers encore, aux marches innombrables, pour s'élever dans les parties plus hautes de la ville. Pour arriver finalement dans la haute ville, dont les façades plus nettes s'étaient élargies en même temps que les rues. Les habitations, véritables petits palais, étaient disposés autours d'une succession de petites places au sol dallé, décoré par de la végétation grimpante. Puisqu'il était en hauteur, au-dessus de la basse ville ou de la mer, ce quartier semblait échapper au plus gros des odeurs nauséabondes, aux miasmes et à la décrépitude qu'ils avaient dû traverser jusque-là.

Servis, le souffle court après les dernières volées de marches, ne fut pas mécontent lorsque Aesthia, qui les avait entraîné dans une petite ruelle un peu à l'écart de l'une des grandes places, lui annonça qu'ils étaient arrivés à destination. Machinalement, Servis leva les yeux sur la façade. L'orientation de la lourde porte d'entrée et le peu de fenêtre donnant sur l'extérieur laissaient augurer un palais du type tortueux. Une succession de longs couloirs aveugles, et malheureusement d'escaliers supplémentaires. Mais le repère promettait au moins une tranquillité indiscutable. Un bon point pour l'usage qu'ils devaient en faire. Aesthia frappa selon une rythmicité complexe : trois, deux puis quatre coups. Et la porte s'ouvrit sur un elfe, dont la tête uniquement passa prudemment l'embrasure. Il les laissa entrer.

Les pieds sur un tapis poussiéreux, Servis se gratta machinalement la nuque en ressassant la remarque d'Aesthia sur la présence plus que probable de puces dans la basse-ville qu'ils venaient de traverser. Une réaction plus que logique a l'évocation de ces vermines suceuses de sang. Le vestibule n'était pas vide, en plus de l'elfe qui leur avait ouvert la porte, plusieurs autres venatori étaient présents, engagés en grande discussion. Ils tournèrent vers lui des regards inquisiteurs, mais qui se changèrent vite en peur en croisant le regard noir de la mage l'accompagnant. Servis sourit. Très peu parmi les venatori étaient capables d'associer son nom à son visage. En général, Servis préférait dissocier les deux. Mais sous le même toit qu'Aesthia, alors qu'il devait porter des vêtements civils, il n'allait pas pouvoir observer cette simple règle qu'il s'était fixé en rejoignant l'ordre.

Il grimaça mais s'inclina et suivit Dani, l'elfe esclave. Il lui fit malheureusement monter deux nouvelles séries d'escaliers, heureusement assez haut pour sa stature, et assez large pour lui permettre de croiser sans gêne de nouveaux venatori curieux. L'elfe traversa ensuite un couloir au pas de charge, avant d'ouvrir une porte et de s'effacer pour laisser à Servis le loisir d'y pénétrer en premier. En courbant légèrement l'échine pour passer sous le montant de la porte, il se glissa dans une petite pièce éclairée de nombreuses chandelles, meublée avec un goût certain, bien qu'un peu vieillissant. Une armoire, un lit et un bureau complété par un fauteuil plutôt moelleux. Le lit était fort heureusement de bonne taille, surmonté de baldaquins épais aux tentures rouge sombre. Servis posa délicatement son lourd sac au sol et se retourna vers Dani.

Devant l’acquiescement mal à l'aise de l'elfe, qui se sentit obligé de répondre puisqu'on s'était directement adressé à lui, Servis se mit à rire. L'idée même de se retrouver étriqué dans une petite bassine et frotté par un inconnu ne lui plaisait guère. Pas après des mois de toilettes sommaires et solitaires. Pourtant Servis se laissa guider par l'elfe sans broncher : il était le premier à reconnaître en avoir bien besoin.


Trois heures plus tard, Servis quitta enfin les draps de son nouveau lit. Il s'étira, goûtant avec plaisir la raideur de ses muscles après cette longue sieste. Devant l'armoire, il défit son sac, et étendit sur le lit les tenues qu'il avait apportées avec lui. Devant le brusque choix qui se proposait à lui, il se gratta le menton. Des coups à la porte le tirèrent de ses pensées. Habillé négligemment d'un peignoir, il découvrit un templier en armure lourde et au teint hâlé. À l'aise, Servis accueillit son message sans prendre la peine de refermer le col châle de son peignoir, baillant sur son torse.

Répondit-il naturellement, avant de se rendre compte de la tenue qu'il portait.

Complétât-il avant de refermer la porte sans hâte. Trois minutes plus tard, il avait résolu son épineux problème vestimentaire et s'était glissé dans une tenue à la fois pratique, discrète et confortable selon les standards tevintides. Évidemment, il arriva en dernier dans la salle occupée par la mage. Lorsqu'il entra dans la pièce, se penchant de nouveau pour passer sous l'embrasure, elle lui présenta les membres présents. Servis les salua et s'avança vers le siège qui lui avait été réservé. La dénommée Halda lui laissa le temps de prendre convenablement place avant de faire son rapport.

Halda était fidèle à elle même, très polie mais également très observatrice. Alors qu'elle s'était légèrement inclinée pour saluer Servis, elle ne le lâchait pas du regard. Je voyais dans ses yeux cette petite lueur de malice, t ce léger sourire en coin. Elle était intéressée vraisemblablement...

"Mes hommages, Ser Servis..."

Je me raclais légèrement la gorge, haussant des sourcils tout en posant sur elle un regard insistant pour qu'elle commence. Les roucoulades, c'est pour plus tard. Elle comprit rapidement et reprit sa contenance habituelle. Elle s'était redressée, les mains croisées dans le dos.

"J'ai eu la confirmation qu'aucune personne de l'expédition de Gregoir n'a survécu. Ceux qui sont remontés déliraient, et infectés par l'Enclin ils ont été abattus par la garde civile..."

Je fronçais des sourcils, tapotant nerveusement l'accoudoir de mes doigts. Un échec, encore ? Mais Halda se jouait tranquillement de mon impatience, souriant légèrement avant d'enchainer sur la bonne nouvelle.

"Cependant, j'ai réussi à trouver leur informateur. Un nain qui a participé à la première expédition dans les Tréfonds pour trouver l'idole de Bartrand. C'est lui qui leur a donné l'info sur quelle entrée des Tréfonds prendre."

Intéressée je me redressais, l'oeil plus vif.

"Avons nous des moyens de les trouver ?"

Voyant qu'elle avait ferré son poisson, elle continua, prenant un ton plus bas de confidence. C'était tout à fait inutile, mais depuis le temps j'avais appris qu'elle aimait un peu théâtraliser les choses, surtout quand une autre personne que moi était présente. Ici en l'occurrence Servis, qu'elle regardait avec une certaine intensité. Quelque chose me disait qu'elle allait essayer de le mettre dans son lit cette nuit. Je retenais un soupir de lassitude, mais bon. C'était Halda en même temps, et elle faisait bien son travail.

"De ce que j'ai entendu, il se trouve régulièrement à la Taverne du Pendu. Son nom est Rumdal. Mais il n'est pas facile à convaincre semble t'il, et semble assez effrayé depuis les déboires de Grégoire."

Je réfléchissais un moment, portant le verre de vin à mes lèvres. Il ne fallait pas lâcher l'occasion, mais la prudence était de mise. Il y avait une certaine chance qu'il refuse de coopérer, ou alors contre une certaine somme d'argent. Pour ma part j'étais plutôt partante pour le controle mental ou bien la torture avec la magie du sang. Mais Servis avait d'autres talents bien plus utiles. Il pouvait mettre plus de temps, mais obtenir de meilleurs résultats. Je me tournais vers lui, demandant son avis sur la question.

"Qu'en dis tu Servis ? Une petite virée à cette taverne dans la soirée ? Peut être devrions nous prendre si possible un chambre, si nous devons l'aider à.... parler..."

J'esquissais un léger sourire, pensant déjà aux multiples manières et sort pour arriver à nos fins. Que de divertissements en perspective...

Involontairement, Servis s'étira une nouvelle fois, en allongeant ses bras vers le plafond, pivotant trois fois son poignet droit en l'air. Il n'avait pas tout à fait fini d'émerger de sa longue sieste. Après avoir baissé les bras, il remit de l'ordre dans sa tenue, en tirant notamment sur son veston sombre. Il était tant absorbé par les retouches de sa tenue qu'il ne remarqua pas le regard pourtant insistant que portait sur lui la jeune femme encore debout. Aesthia se racla la gorge, et cette intervention discrète signala à tous le début de la réunion. Halda, l'apostate envoyée à la recherche d'informations, n'était pas revenue les mains vides.

Il ne restait, de l'expédition la plus récente, plus aucun survivant. L'enclin ne les avaient pas épargnés, et sa souillure les avait rendus fou. Servis frissonna, la perspective de s'élancer à la poursuite d'un quelconque objet de lyrium rouge brut ne l'enchantait déjà que très peu. Alors que dire de celle de contracter la souillure de l'enclin . Pourtant, il garda ses pensées pour lui, et se concentra sur la suite du rapport de l'apostate Halda. Une autre expédition avait déjà suivi les mêmes routes. Et c'était un survivant de cette dernière qui détenait les informations qu'ils recherchaient.

Évidemment, il s'agissait d'un nain. Et évidemment on pouvait le trouver dans une taverne. Servis sourit. Toutes les bonnes enquêtes devaient commencer dans une taverne, devant une bonne choppe de n'importe quel alcool local. Bien souvent, elles s'y terminaient d'ailleurs. Enfin, au vu de la suite de leur programme, Servis n'était pas mécontent d'avoir avant l'occasion de visiter une taverne. Alors, lorsque Aesthia lui proposa l'idée de s'y rendre dans la soirée, Servis en fut enchanté.

Il sortit une belle pièce d'or de la poche de son veston et la fit rouler entre ses doigts, pour que chacun puisse la voir. Servis avait appris au cours de ses années en tant que contrebandier qu'il n'existait pas une personne sur terre ne pouvant se faire acheter d'une manière ou d'une autre. Un nain dans une taverne semblait être une cible bien facile à diriger.

C'était décidé : Aesthia, Halda, Wallace et Servis se rendraient à cette taverne après leur souper, qu'ils se pressèrent de prendre d'ailleurs. Autour de la table les conversations étaient plutôt légères, les verres de vin se succédèrent. Ils semblaient plus légers maintenant qu'une piste sérieuse pouvait être suivie. Servis, qui venait finalement de rejoindre leur petit groupe, en profita pour grappiller des informations sur chacun. Il se montra chaleureux, charmeur peut-être même, comme il avait l'habitude de le faire. Autour de ces plats où chacun piochait à sa guise, il retrouvait une légère ambiance de société qu'il aimait tant. Il était peu de dire qu'il se sentait comme un poisson dans l'eau.

Les torches avaient étés allumée dans les rues lorsqu'ils franchirent de nouveau la porte de leur repaire. Le ventre alourdi par leur repas, Servis et Aesthia marchèrent de concert. Ils avaient laissé Wallace et Halda derrière eux, avec pour ordre de les rejoindre un peu plus tard sur place. Le temps pour eux de prendre une chambre, et de régler les derniers détails de leur approche. Servis proposa son bras à Aesthia. S'ils passaient pour un couple, ils pouvaient moins attirer les regards. De plus, cela permettrait à la mage de le guider plus discrètement au travers des dédales qu'il ne connaissait pas. Avec un sourire franc, devinant d'avance le malaise que sa proposition allait provoquer, il dit :

Ma proposition n'avait pas été du goût de Servis, qui la mise de côté avec humour. J'haussais des épaules, regardant le feu et faisant la moue.

"Pff... Petite chose fragile."

Servis lui était bien heureux, ayant déjà sorti une pièce pour montrer la toute puissance de son plan. L'argent... Je ne pouvais réfuter l'efficacité de ce genre de magie, mais pour cela il faut avoir les bourses bien pleines. Surtout quand on doit soudoyer un nain. Maintenant que la décision était prise, il fallait se mettre en route. Enfin, après le souper. Comme convenu il fut avancé, et nous mangions avec le petit groupe qui allait partir pour l'expédition dans le taudis de la taverne du pendu. Je n'avais pas l'habitude de manger en groupe, préférant manger dans mon bureau ou bien à la bibliothèque, en paix. Mais ici il ne servait à rien de faire table à part, nous n'avions pas le temps pour cela. Je faisais donc bonne figure à la table, parlant un peu et laissant surtout Servis faire la conversation. Heureusement, Wallace et Halda n'étaient pas du genre timides en ma présence, et leurs langues se délièrent facilement sous les encouragements de Servis. Ils racontaient leurs propres histoires, et même si ce n'était que pour écouter cela restait plaisant. J'aimais écouter, juste observer et ne pas avoir à participer. C'était plus calme et plus plaisant.

Quand nous partions enfin, la nuit était tombée et les rues se trouvaient plus désertes. Comme convenu seul Servis et moi étions sorti dans un premier temps, les autres devant arriver plus tard. Je prenais les devant, sûre de moi car ayant étudié ces dédales de font en comble. Je n'avais encore jamais été à cette taverne, mais j'en savais suffisamment pour la trouver. Au moment de sortir de la Hauteville, Servis me tendis son bras avec galanterie. Il voulait jouer son rôle, et je le soupçonnais d'y trouver un plaisir proche de la fanfaronnade. Quasiment personne n'avait osé ce genre de liberté envers moi, et je savais qu'il profitait de la situation. Il y avait des gens autour de nous, nous observant alors que nous entrions dans la basse-ville. Je regardais son bras avec froideur, puis le regard malicieux Servis. Très bien, puisqu'il le faut... J'enroulais mon bras autour du sien, détournant cependant mon regard de lui pour foudroyer un pauvre passant du regard. Pas un sourire ni de minauderie, je n'allais pas lui faire ce plaisir. Mais il ne voulut pas en rester là. Il se mit à proposer joyeusement de prendre une chambre, et cela à voix haute. Je le regardais avec surprise. Il était tombé sur la tête ? Je comprenais qu'il voulait jouer la carte du couple. Mes yeux perçant le fixèrent, avant que je ne me mette à sourire légèrement. Très bien, s'il veut jouer à ce jeu là... Je regardais de nouveau devant, le guidant à travers les dédales tout en lui lançant une pic pour le rappeler à l'ordre. Avec malice.

"Allons boire un verre avant que tu ne te mettes à complètement délirer, Crassius. Ton engin n'est pas efficace sans avoir un peu bu de toute manière..."

Nous marchions d'un bon pas, croisant quelques elfes désabusés et d'autres potentiels coupes jarret. Mais nous arrivions enfin devant la taverne, et nous poussions la porte. La salle était bruyante, sentait fort la bière qui avait légèrement tourné et surtout était très remplie. Le bon côté, c'est que personne ne nous avait remarqué. J'avisais le comptoir, lâchant aussitôt le bras de Servis pour m'y diriger. Un homme s'occupait de finir de remplir des verres, et je m'accoudais au comptoir pour faire ma demande. De façon rapide, froide mais efficace.

"Une chambre s'il vous plait. Et à boire."

Il avait hoché de la tête, allant vérifier qu'il y en avait bien une de libre. Je restais accoudée au comptoir, tranquillement. Je vis Servis s'approcher, et posant mon regard glacé sur lui j'allais droit au but.

"Bon... Comment comptes tu t'y prendre? "

Il y avait dans la salle un peu de tout... Des humains, des elfes, quelques nains éparpillés de ça et de là. Se fondre dans la masse n'allait pas être compliqué, mais interroger de la bonne manière notre nain n'allait pas être une partie de plaisir. Ce n'était pas dans ma spécialité de toute manière, je comptais plutôt sur Servis et sur Halda dans ce domaine. Pour, j'électrocute et je torture les gens, c'est plus dans mes cordes.

alors que Servis resserrait encore une fois sa veste légère, bien trop légère pour la saison, contre son buste, il sentit le poids du bras d'Aesthia, enroulé autour du sien. Elle semblait prendre un malin plaisir à rendre toute cette posture la moins confortable possible pour Servis, l'obligeant à abaisser son épaule et à marcher légèrement de biais pour soulager quelque peu la pression qu'elle appliquait. À moins bien sûr que la magister ne se rende pas compte de l'inconfort qu'elle imposait au bas qu'elle tenait. Après tout, Aesthia n'était pas reconnue parmi les mages pour ses qualités sociales, loin de là. Servis sourit discrètement. Que ce soit l'une ou l'autre de ses possibilités ne le dérangeait pas. L'idée de jouer au couple venait de lui, et était donc prêt à endurer toutes les souffrances si cela pouvait permettre à son jeu de perdurer plus longtemps.

Ils passèrent près d'un groupe de locaux à l'air maussade. Servis les salua poliment d'un discret hochement de tête. Le vent s'engouffra de nouveau dans les dédales des rues sales, soulevant les mille odeurs désagréables de la pauvreté. Le mage ne put retenir une légère grimace. Il frissonna encore. Vivement que l'on pousse la porte de cette auberge ! *j'ose espérer qu'ils y font flamber un bon feu pour nous y réchauffer.* C'est cet instant que choisit Aesthia pour lui envoyer un pic bien choisi, à portée de voix des locaux, dont certains avaient tout l'air d'être des coupes jarrets en pause.
Il médita un instant sur son sous-entendu, le comprenant malgré lui en son sens le plus littéral. Il s'imagina devoir abreuver son... Engin ? Quel mot bien grossier. Presque trop mécanique pour évoquer une partie de corps humains. Donc, il s'imagina abreuver son engin directement dans une chopine d'alcool, et l'idée le fit rire malgré lui. Il se félicita néanmoins de fonctionner avec plus de naturel. *La nature est décidément bien faite !* Conclut-il en tapotant de sa main libre le bras d'Aesthia.

Ils arrivèrent finalement devant l'auberge du Pendu. Même en ne connaissant rien de la ville, il devait être difficile de s'y tromper : l'énorme figure en bois, plus grande que nature, pendu par un pied était difficile à manquer. Alors qu'Aesthia se dirigeait déjà vers la porte, Servis garda un instant de plus les yeux dirigés vers cette figure. Pendant certaines soirées de sa jeunesse, Servis aimait s’attabler auprès de la belle Caerellia, qui passait sa nuit à tourner et retourner des cartes illustrées, censés lui permettre de voir par-delà le visible. Elle lisait l'avenir dans ces illustrations. Que pouvait signifier le pendu déjà . Ah ! "Tout changement est un genre de petite mort, l'ancien doit mourir pour créer le nouveau." De mémoire, le pendu impliquait un fort bouleversement dans l'avenir de la personne consultante. Il pouvait aussi représenter un sacrifice. Et aux vues de l'expédition que les venatori avaient en tête, ces deux interprétations ne semblaient pas s'exclure mutuellement. *Charmant.* Pensa sombrement Servis, avant de finalement détacher son regard de la sombre figure et de s'engouffrer à la suite d'Aesthia sous la porte plutôt basse d'Auberge.

Ils pénétrèrent dans une salle surprenante par sa large taille et par le peu de mobilier qui l'habillait. Seulement quelques tables éparses, et l'immense comptoir derrière lesquels les attendait le tavernier. Alors qu'Aesthia passa commande pour la chambre et pour leur première tournée, Servis en profita pour observer plus en détaille cette auberge. Des teintures miteuses, d'un rouge passé, pendaient le long de chaque mur pour venir se rejoindre en ciel au milieu du plafond. Quelques peintures décoraient les murs, et de lourds chandeliers marchéins procuraient l'éclairage nécessaire à ce genre d'endroit : un éclairage feutré permettant aux ombres de prospérer dans chaque recoin. Servis s'était attendu à bien pire. Il avait lui-même visité des endroits bien plus délabrés, à Minrathie-même. Aux tables, on pouvait trouver un certain nombre d'hommes, quelques elfes pourvus des attribuent des marins, et une poignée de nains. Servis aimait bien les nains. Déjà parce qu'il aimait confronter sa taille à la leur, et imaginer toute sa force concentrée en eux. Ensuite, parce qu'il devait le reconnaître, il aimait la rudesse de leurs manières, et la franchise avec laquelle ces petits êtres loin d'êtres fragiles parcouraient le monde. Il se demanda si, parmi les nains déjà présents, leur cible était déjà présente. Il se retourna vers Aesthia, qui lui avait posé une nouvelle question.

Servis accueillit le verre que le tavernier déposa devant lui avec un franc sourire. Même à l'intérieur, il n'avait pas été capable de se réchauffer complètement. Un peu d'alcool, tout rustique soit-il, n'était pas de refus. Il referma ses mains autour de la chope de fer, et attendit que le tavernier ne se soit quelque peu éloigné pour sortir de la sacoche qui lui enserrait la hanche une bourse alourdie par les pièces. Il déposa le juste compte sur le couloir, et y ajouta une dernière pièce. Puis il répondit enfin à la véritable question posée par la mage.

Pour conclure, Servis bu une première gorgée dans sa chope, sans même chercher à en identifier le contenu. Il allait avoir besoin d'une nouvelle dose de courage avant de réaliser son geste. L'alcool lui brûla le palais, ainsi qu'une bonne proportion de la gorge. Mais il retint la toux qu'il sentit monter en lui. À la place, usant le feu de sa brûlure, il initialisa son mouvement. Il caressa délicatement la cambrure d'Aesthia, au niveau de ses reins. En fixant mal à l'aise le mur lui faisant face, Servis pensa : *Ne t'y méprends pas : j'y prends autant de plaisir que toi !