Les 1001 Recettes de Mère Flamel (PV Fab)

L’auberge de l’Alouette Grise. Un moment que je n’y étais pas revenu. En même temps, les boulots dans un endroit autant perdu que Ghislain, il était évident qu’il n’y en avait que très peu. Malgré tout, et ce grâce à mes trajets, je connaissais bien l’endroit.

Il me fallut un certain temps de voyage pour atteindre ma destination. Le trajet fut long, solitaire, empli d’emmerdes. Entre les bandits, les bardes prétentieux qui ne voulaient pas se la coincer, ou simplement les conditions de la météo, j’avais été gâté. Mais quand mon sombre regard aperçut enfin la fameuse auberge, je poussai un soupir de désespoir conclu. J’avais une bonne journée d’avance.

Je profitai pour me payer une chambre et me reposer. Il fallait dire que j’en avais besoin. Me reposer ne fut pas tant complexe que cela, pour une fois. J’eus tout de même, au cœur de ma nuit, ces mêmes flashs, presque quotidiens tant ils revenaient souvent. Ce duel. Cet échec. Cette vive douleur dans l’épaule. Je me réveillai en sueur, une main automatiquement collée à mon épaule. Je soupirai.

Cherchant du regard mon haut, je m’en approchai et en fouillai les poches. Je trouvai de l’elfidée déjà roulée, tandis que mon œil cherchait cette fois-ci un cierge, que je trouvai sans réelle difficulté. Rapprochant le roulé de la petite flamme innocente, je sentis la douleur-fantôme repartir à la première latte. J’inspirai ce poison, expirai mes démons. Je me rendormis une fois l’elfidée consumée dans son entièreté.

Je me réveillai, le soleil commençait déjà à décliner. Il devait être le milieu de l’après-midi. Super. Je soupirai une fois de plus, décalé mais reposé – plus ou moins –, et fouillai une fois de plus pour trouver un autre roulé d’elfidée. Oui, parfois, la vie d’un homme pouvait se révéler extrêmement simple. Simple, mais douloureuse.

Le reste de l’après-midi fut utilisé pour panser les diverses blessures occasionnées lors du trajet. L’elfidée avait bien aidé à apaiser le tout, c’était plus facile de recoudre les quelques plaies. Une fois mon labeur terminé, je guettai au-dehors pour constater que le soleil m’avait définitivement quitté. Il serait sûrement temps que je descende afin de manger, mais surtout pour trouver cette fameuse Aesthia Amladaris. Je me rhabillai correctement, ajustai mon masque, celui-là ne couvrant que la partie supérieure de mon visage, et descendis une fois prêt.

La soirée était pas mal agitée. Je m’assis au comptoir du bar et me commandai un plat de viande séchée, ainsi qu’une brune. Je n’échangeai pas vraiment avec le tenancier, qui me regardait de haut en bas sans arrêt.

Mon regard scruta la salle, tandis que mon maigre – mais suffisant – repas touchait à sa fin. Il ne me fallut que peu de temps pour remarquer une femme, assise seule à une table assez reculée, accompagnée d’un sceptre de mage. J’attrapai ma chope à moitié vide et quittai le comptoir. Peut-être il s’agissait d’elle. Au fil de mes lents pas, je pus déceler le globe de verre au sommet de son bâton. Oui, c’était bien elle.

Quand j’arrivai à sa hauteur, autant froid que le marbre et silencieux au possible, je réalisai qu’elle avait décelé ma présence malgré tout. Sans prendre la tête de remonter la tête vers moi pour vérifier.

◊ Désolée, cette place est prise pour une personne qui ne fait pas dans la ... subtilité.

La subtilité, hein ? Pour répondre à ce rappel, je m’assis sans un mot, le regard la scrutant, et faisant bien en sorte de faire grincer la vieille chaise un maximum ; le tout, avant de fracasser ma solide chope contre la table, à la limite de propulser de la bière. J’attendis sagement sa réaction.

Ma réaction semblait avoir fait mouche pour tout le monde, sauf la concernée ; mais je savais ce que je faisais. Elle voulait de la subtilité, il avait suffi de demander.

La jeune femme posa un instant les yeux sur moi, avant de replonger dans son écriture. Si je n’étais pas en mission, j’aurais probablement demandé par curiosité la raison de ces quelques mots couchés ainsi sur un aussi petit carnet : des notes pour un livre, un poème ? des recherches personnelles ? un journal de voyage ? Tout était possible. Mais je n’étais pas là pour ça, malheureusement.

◊ Le manque de subtilité ne veut pas dire être aussi bruyant qu'un brontos rentrant dans une boutique de porcelaine orlésienne. Alors... A qui ais je l'honneur ?

J’attendis que la serveuse fasse son travail, et reparte suffisamment loin pour éventuellement lancer un début de réelle conversation. J’avalai une bonne gorgée de bière avant de sortir d’une poche ses propres missives qu’elle m’avait envoyées, et de les poser sur la table, droit devant elle.

◊ Vous devez être ma correspondante de ces dernières semaines. Une histoire d’ouvrage culinaire à trouver.

Autant ne pas trop parler dans un endroit tel qu’une auberge. L’oreille de ses clients traînait avec autant d’aisance qu’un oiseau dans le ciel, et je ne parlais même pas des responsables de l’établissement. Donc, autant ne pas trop en dire, sous peine de trop attirer l’attention. Déjà que la subtilité n’était pas tant ma tasse de thé .. particulièrement quand cela m’arrangeait. Dans un mouvement de levée, je m'étais penché vers Aesthia, récupérant les missives que je dissimulai à nouveau dans mon sombre habit, et avais profité de la proximité pour parler sur un ton plus bas.

◊ En route. C'est Cide. Trop en dire ici n’est pas une bonne idée, Dame Amladaris.

Je me rassis, contrairement à ce qu’elle pensait ; pourquoi partir en même temps, après tout ? Je finis ma bière, la regardant s’éloigner, puis comptais jusqu’à vingt-cinq dans ma tête. Une fois le chiffre final atteint, je me levai et sortis.

Me dirigeant près des écuries, je récupérai ce cheval que j’avais volé pour le voyage. Ah, belle monture, sur laquelle je montai sans peine, avant de me remettre en route. J’eus une pensée pour mes petites plaies en train de cicatriser : j’espérais qu’elles n’allaient pas se rouvrir durant le périple. J’aperçus un bout plus loin dame Amladaris qui m’attendait : en même temps, elle n’avait pas tant le choix.

◊ Est-ce loin d'ici ? Il serait intéressant de profiter de la nuit pour les surprendre.

Et quelle nuit. Je roulai des épaules, avant de répondre, fixant lhorizon qui cachait notre destination.

◊ C’est à deux bonnes heures si on garde un bon rythme.

A ces mots, je donnai l’impulsion à ma monture, qui partit sur un pas assez pressé. Plus vite nous y serons, plus vite nous pourrions faire le ménage et trouver ce livre. Mon cheval n’était pas non plus au galop, mais même avec ce trot, je n’avais pas grand-chose à dire sur le trajet : je n’étais pas payé pour être un moulin à parole, non plus. Probablement que ça l’arrangeait, d’ailleurs.

Au bout d’un certain temps, qui ne fut pas si long finalement, j’aperçus une familiarité de terrain : j’arrêtai mon cheval et descendis, avant d’attacher la monture à un arbre.

◊ C’est à plusieurs centaines de mètres d’ici, nous pouvons nous y rendre à pied.

C’était également plus prudent que de faire retentir les sabots dans le secteur. J’attendis qu’elle descende également, avant de lui montrer en contrebas notre destination. La Chantrie se situait dans un léger creux, bien plus loin que notre position actuelle.

◊ Cette Chantrie abandonnée a complètement disparue de leurs archives. Elle a été très difficile à retrouver. Je dois ma trouvaille aux va-et-vient de Montgaillhard et des mercenaires qu’il paie pour garder l’endroit.

J’adressai finalement un regard à la jeune femme à mes côtés, conscient que l’heure était venue de parler stratégie.

◊ Bon, vous pensez qu’il vous faudra combien de temps pour analyser cette barrière magique et la défaire ? Je peux vous couvrir si nécessaire pendant ce temps, il faudra juste me dire approximativement combien.

Je marquai une pause, le temps de réceptionner sa réponse, avant de poursuivre.

◊ Une fois la barrière rompue, nous n’aurons que peu de temps avant qu’ils nous trouvent : à la première anomalie, ils seront à l’affût sans hésiter.

Croisant les bras sur ma poitrine, je fixai notre destination.

◊ Quel est notre plan, selon vous ?

Comme espéré, dame Amladaris me répondit rapidement, ainsi que clairement.

◊ Mh... déterminer la nature de la barrière ne prendra que quelques secondes. La détruire sera une autre paire de manche, tout dépendra de sa puissance et de sa nature. Cela peut prendre quelques secondes à plusieurs minutes.

Donc en déterminer la nature en premier, et attendre le bon moment pour briser la barrière magique.

La surprise contenue dans le timbre de sa voix ne m’échappa nullement. N’avait-elle pas l’habitude qu’on lui demande son avis ? Ou alors songeait-elle que je serais si rustre au point de ne pas en tenir compte ?

◊ Le plan ? Entrer, réduire au silence les témoins éventuels ou ceux qui nous empêcheraient d'avancer, prendre ce qui nous intéresse et mettre le feu à la chantrie pour effacer toute trace et faire passer cela pour un incident. Cela vous convient ?

Simple, efficace. Au moins, elle ne se perdait pas en fioritures, même si elle semblait oublier quelques éléments importants malgré tout. Au moins, nous étions d’accord dans les grandes lignes.

◊ Vu que la chantrie est invisible et qu'il semble impossible de savoir où est l'entrée, il va falloir jouer sur la chance et la rapidité. Il est presque le premier quart de nuit passé, mais ce n'est pas encore la nuit profonde. Nous pouvons attendre encore une heure pour que ce soit le moment le plus propice au relachement des gardes.

Attendre une heure semblait une bonne idée. Nous aurions également tout le temps d’étudier leurs positions, visibles ou non. Eventuellement estimer combien ils étaient. La Dame poursuivit sur sa lancée.

◊ Avec l'invisibilité il ne doit pas y avoir beaucoup de monde cela dit… Je n'ai pas le moyen de me rendre invisible, et faire diversion risque de les alerter alors que nous pourrions conserver l'effet de surprise. Dans la Chantrie ils ne se rendront pas compte de suite que la barrière a disparu, à part pour le mage présent. Mais à cette heure, il doit sans doute dormir. Ils ne vont pas s'attendre à une attaque je pense. J'agirais vite, et si besoin.... j'invoquerais de l'aide.

Invoquer de l’aide. De la part d’une mage nordique, ça en disait très long, mais cela m’était égal pour le moment. Mon regard scrutait encore le contrebas, tandis qu’elle me retourna enfin la question.

◊ Et vous, qu'aviez-vous prévu ?
◊ Attendre une heure, et durant cette heure, faire le tour de l’endroit afin de mieux connaître leur position, le meilleur angle d’attaque. Vous auriez tout le temps du monde pour analyser cette barrière, tandis que je surveillerai. Si le moindre ennui éclate à l’extérieur, cachez-vous : ils me prendront pour un simple voleur, et seront donc moins attentifs.

Je marquai une pause, réfléchissant au meilleur timing pour en finir avec cette barrière.

◊ Nous avons deux possibilités : soit nous détruisons d’abord la barrière, et dans ce cas-là leur attention sera attirée et nous aurons très peu de temps pour les tuer, soit nous les tuons d’abord et ensuite nous en finissons avec la barrière. La deuxième option me semble plus simple.

J’avais fait le tour de la question pour ma part, à voir ce que la Dame en pensait.

Il nous fallait donc attendre, maintenant. Je soufflai du nez, fixant le lointain, tout en écoutant l’opinion de ma collègue : il était vrai que de tenter l’orgueil de tout faire parfaitement était tout, sauf une bonne idée. Je hochai de la tête, avant de reporter mon regard sur elle.

◊ Vous avez raison, ma Dame, ne tentons pas le Démon et occupons-nous de cette barrière en priorité. Au moins, si cela peut nous laisser le temps d’entrer, .. Mais bon, en attendant, il nous faut patienter.

Et puis, sans plus de cérémonies, je m’assis, repliant les jambes près de mon torse, l’œil à nouveau perdu dans le vague. Ma foi, il nous fallait attendre, maintenant, il n’y avait plus grand-chose à faire, si ce n’était d’observer la nuit s’éveiller.

Je soufflai à nouveau du nez avant de sortir un carnet de ma poche, ainsi qu’un morceau de graphite pour écrire, ou esquisser. Puis, réfléchissant, je m’emparai également d’un roulé d’elfidée, ainsi qu’un briquet à silex en acier, et évidemment le silex en question. L’elfidée en bouche, je m’amusai nonchalamment à produire une étincelle en faisant s’entrechoquer les deux pièces, jusqu’à réellement y arriver au point que ma dulcinée psychédélique s’allume. Je rangeai mon attirail et tirai une bonne latte sur cette beauté naturelle, avant de reprendre mon carnet, désormais assis en tailleur, et la graphite dans la main encore libre. Suite à tout cela, je me mis à écrire, à réfléchir, à assembler des mots. Les premières choses qui me traversaient l’esprit.

Je tirai à nouveau une bouffée d’elfidée, focalisé sur ce que je voulais atteindre. L’art de la poésie, le vrai art, était bien souvent inaccessible, sans moyens de créer des ponts entre notre monde et le sien. C’était une des rares bonnes choses que j’avais trouvé en l’elfidée, impardonnable et autoritaire avec moi. Je devrais lui dédier un sonnet, si l’occasion se présentait.

Attendre que la nuit soit plus profonde, hein ? Ce n’était pas la première fois que je faisais cela pour un travail, et ce n’était pas toujours le pire des moments. Parfois l’inspiration venait – oui, toujours dans les pires situations, et davantage lorsque l’on demande le moins.