[22 Hiémarche 9:42] Assis au coin du feu [pv. Lemia]

Il était fier de lui, donc. Cette façon de sourire comme s'il avait absolument tout ce qu'il voulait était légèrement agaçante. Bon, d'accord, très agaçante, mais bref. Gant retiré, elle observa les cartes avec une légère hésitation. L'avantage de ne plus avoir ses gants, au moins, c'était qu'elle pouvait tricher un peu plus facilement en faisant glisser des cartes depuis sa manche. Elle se débrouilla donc pour récupérer le six caché sous sa cuisse. Ça pouvait toujours servir, et ça lui évitait de se griller si elle bougeait.

- Pour ne "plus" te faire confiance, il faudrait déjà que ça ait été le cas un jour.

Vu le peu qu'elle connaissait de son attitude, ce qui l'aurait surprise, ça aurait surtout été qu'il ne triche pas. Mais même en essayant de le prendre sur le fait, elle n'arrivait pas à trouver sa méthode. Elle le regarda distribuer les cartes en plissant les yeux, mais se concentra sur les siennes. Du coin de l’œil, elle parvint à repérer les chiffres et grinça des dents. Sérieusement. Il les distribuait comment, ses cartes ? Il devait avoir une technique pour s'assurer qu'elle aurait toujours des résultats pareils, elle ne voyait que ça. Mais quand elle retourna ses cartes, son six avait remplacé l'un des deux qu'elle avait piochés.

- Tu comptes vraiment n'enlever qu'un gant ou tu es un peu plus joueur que ça ?

La règle d'or des jeux où elle perdait l'avantage un peu trop facilement, c'était de faire en sorte qu'ils ne durent pas assez longtemps pour lui faire perdre patience. Or plus ils parieraient de chose en une seule fois, plus vite ce jeu serait terminé. Question de logique. Dans le pire des cas, elle y trouverait une fin plus rapide, mais autant profiter un peu de sa victoire. Qu'elle l'obtienne honnêtement ou en trichant n'avait qu'une importance secondaire.

Jouer avec le feu n'est jamais une bonne, idée, paraît-il. Le problème, avec cette décision de faire en sorte que la partie se termine plus vite, c'est qu'elle avait un peu mis de côté le fait qu'elle risquait aussi de se terminer vite pour elle. Et accessoirement que les cartes ne seraient pas son seul problème s'il commençait à enlever beaucoup de vêtements.

Comme pour le lui prouver, il prit son défi au sérieux et monta effectivement les enjeux, se débarrassant de son gant avec désinvolture avant d'entamer le lent déboutonnage de son gambison. Bon, elle savait qu'il portait quelque chose en-dessous, mais ça ne l'empêcha pas de déglutir un peu plus difficilement. Peut-être que profiter de son maigre instant de victoire pour changer les règles n'était pas une si bonne idée que ça.
Quoique c'était une bonne manière de terminer la partie plus tôt que prévu, aussi.

Restait que ces foutues cartes avaient vraiment décidé de se retourner contre elle. Même le deux contre lequel elle avait échangé son six au tour précédent ne pouvait rien faire pour elle, et elle avait passé sa chance en se perdant dans… hm… l'observation. Elle poussa un soupir exaspéré. D'accord, elle avait épuisé toute sa chance bien avant de le rencontrer, mais le hasard abusait peut-être un peu, là, quand même.

Un claquement de langue agacé répondit à son petit commentaire. Il s'arrangeait bien de sa petite victoire. À un chiffre près, sérieusement. C'était plus que de la malchance, à ce stade, c'était juste le putain d'univers qui la narguait.

- Qu'est-ce qui te fait croire que tu auras ce privilège ?

À ce stade, elle en était juste à vouloir le contredire – elle alternait entre lui demander de le faire et refuser qu'il l'approche avec une incohérence monumentale. Mais peu importe. Elle aurait bien joué au même jeu que lui, si elle en avait eu la patience, mais la mèche déjà pas bien longue se faisait consumer un peu trop rapidement par l'enchaînement de mauvaises cartes. N'avoir gagné que sur celle où elle avait triché lui restait en travers de la gorge.

Elle défit les quelques boutons qui fermaient son manteau et le retira de ses épaules, un peu plus lentement qu'elle ne l'avait fait pour son gant. Elle avait conscience que plus elle paraîtrait énervée, plus il s'en amuserait, mais c'était une émotion qu'elle contrôlait trop mal pour que cette simple réalisation suffise à l'en débarrasser. Regrettant d'avoir laissé la grande majorité de ses pièces d'armure sur son cheval en s'arrêtant pour cette pause, elle releva les yeux vers lui en défaisant la boucle de sa ceinture, qu'elle ôta avant de la laisser tomber dans la neige de manière presque théâtrale.

- Ça suffira ? lâcha-t-elle avec un sarcasme extrêmement mal dissimulé.

Elle aurait pu pousser le côté insupportable en retirant un simple collier, qui comptait d'une certaine façon comme un vêtement, mais il y avait une finie marge entre la provocation et le pétage de plombs, et elle voulait s'assurer de naviguer du bon côté tant qu'elle en était encore capable.

Ben voyons. Enlever tout le reste, hein ? Difficile de prétendre que ce n'était pas tentant – il s'en était bien assuré, étape par étape, lors de sa dernière défaite. Cela fut suffisant pour percer un instant le brouillard de sa colère de mauvaise perdante, et lui tirer un sourire en coin.

- Ne sois pas trop pressé, je vais vraiment finir par croire que tu triches juste pour que je me déshabille plus vite.

Enfin, elle était déjà persuadée qu'il trichait un minimum, mais elle n'avait pas vraiment réussi à trouver comment. Pour l'instant, en tout cas. Comme pour lui prouver le contraire, les cartes lui accordèrent une victoire quand elle les retourna. La première qu'elle avait obtenue sans tricher. Et si elle n'estimait pas ça assez satisfaisant pour retrouver totalement sa – relative – bonne humeur habituelle, ça restait plus agréable que de tirer encore un mauvais score.

Elle le regarda commencer à déboutonner sa chemise et arqua un sourcil malgré elle. Pas qu'elle ne l'ait pas déjà vu, mais ça restait assez agréable à regarder pour qu'elle ne se prive pas des quelques centimètres de peau qui se révélèrent au bout de ses doigts.
Et qui furent les seuls parce que, bien évidemment, il ne pouvait pas s'empêcher de faire le malin.

Elle ricana en le voyant retirer ses chaussures. D'accord, message reçu : elle avait été trop gentille, finalement. Un petite sourire narquois aux lèvres, elle détacha tant bien que mal son regard de la chemise entrouverte. C'était mauvais pour sa concentration, ça.

- Je ne te savais pas si pudique. À moins que tu n'aies peur d'avoir froid ?

Comment ne pas retenir la leçon : le narguer après une victoire en sachant qu'elle avait de grandes – très grandes – chances de perdre la main dès la manche suivante. Mais bon, vu qu'il ne s'en privait pas lui-même, c'était une maigre consolation pour ne pas se jeter sur lui… quel que soit le sens du terme.