[22 Hiémarche 9:42] Assis au coin du feu [pv. Lemia]

Cette soirée avait décidément pulvérisé tous les records. Sur un malentendu, j’avais failli me faire étriper par une femme, que j’avais ensuite invité à manger à la taverne d’en face, le tout avant de revenir dans ma chambre d’auberge pour y passer une nuit haute en couleur et en positions compliquées.

D’avance, je le sentais, je flirtais avec quelque chose de dangereux. Pensif, avant de pleinement trouver le sommeil, me voilà à caresser de l’œil sa chevelure, la courbe de son épaule, de son flanc, de sa hanche, à me perdre dans son odeur, collé contre sa douce et chaude peau éclairée par la lune. J’en avais rencontré des femmes dans ma vie, mais pas des comme ça. J’essayais de repousser ce fait dans un coin de ma tête pour trouver le repos.

Lemia avait accepté de faire un peu de trajet avec moi, à condition que nous nous entraînions sur le chemin. Le rythme serait un peu plus ralenti, mais pour les soirées que nous serions sur le point de passer, cela me convenait parfaitement. Après tout, j’avais tout de même le droit de prendre un peu de bon temps dans mon travail ingrat, et puis, cela s’appelait également un échange de bons procédés. Et puis, ne pas rouiller d’ici Starkhaven me convenait parfaitement. Ainsi, malgré la courte nuit, nous partîmes peu après l’aube, et nous marchâmes jusqu’au zénith. Là, après avoir mangé un peu, nous nous entraînâmes deux bonnes heures, avant de nous reposer. Puis, le voyage reprit de plus belle.

Malheureusement, j’avais raté mes calculs : le soleil avait déjà disparu, et nous étions encore sur notre route, loin de toute auberge. Sûrement que l’entraînement dura plus longtemps que je ne l’avais anticipé.

◊ Bon, j’espère que de dormir à la belle étoile ne te dérange pas.

J’en avais l’habitude, peut-être que ce n’était pas son cas. Après tout, je ne connaissais pas sa vie. Enfin. Dormir dehors en hiver, il fallait une sacrée dose de culot, mais surtout de préparations. Certes, c’était bientôt le printemps, tout ça, mais bon ; ça n’empêchait pas d’avoir froid à dormir putain de dehors.

Nous avions encore pas mal de route à effectuer, et il faisait nuit depuis un moment avant que nous ne nous posions réellement. Par chance, il n’y avait pas de neige, seulement des champs au sol dur et à l’herbe morte. Quelques arbres parsemaient les alentours, et je pris grand soin de m’éloigner des routes principales, pour nous éviter trop d’emmerdes le temps de se reposer.

Parti chercher du bois, je revins avec quelques branches dans l’espoir de faire un petit feu. L’herbe sèche devrait aider à ce que ça prenne plus facilement. Je pris tout de même soin de placer quelques pierres autour, et de ne pas avoir d’herbe trop proche du point de feu – je n’avais pas envie de foutre le feu au champ entier, après tout.

Mon briquet sorti, et après plusieurs tentatives, nous voilà avec un petit feu pour ne pas mourir trop vite. Je profitai de son existence pour allumer mon roulé et le coller à mon bec, après avoir pris soin de retirer mon masque.

◊ Voilà, comme ça on se les caillera moins.

Tirant une latte de mon elfidée, je soufflai ma fumée en soupirant. Je fermai les yeux un instant, sentant ce frisson se répandre gentiment, trop gentiment, même. Puis, je m’allongeai dans l’herbe sèche et contre le sol dur et froid, fixant le ciel qui débordait déjà d’étoiles.

◊ Alors, comment tu veux occuper ta soirée cette fois ?

J’avais oublié de mentionner ma monture volée dans mon précédent chapitre – oui, toujours la même depuis Val Royeaux, elle en avait fait du chemin, dis donc – : elle restait près de nous, à paître paisiblement. Il fallait dire que de voyager à cheval était bien plus pratique que de voyager à pieds, et je bénissais l’animal d’être encore miraculeusement avec nous.

Lemia s’était enroulée dans une grosse écharpe, assise nonchalamment non loin de moi, ni du feu qui crépitait en silence. Sa petite remarque me fit sourire.

◊ Tu es un peu accro à ce truc, non ?
◊ Il ne faut pas croire, fumer de l’elfidée peut avoir des apports bénéfiques. Typiquement, ça soulage de la douleur occasionnée par une blessure profonde. Quand t’as pas de guérisseur directement à portée de main, c’est pratique.

Je ne parlais absolument pas de vécu, mais je parlais absolument de vécu. Je tirai un peu mon veston et ma chemise pour montrer un petit bout de cette grosse cicatrice que j’avais à l’épaule, et dont elle devait sûrement très bien s’en rappeler vu la nuit que nous avions passée la veille.

◊ C’est à cause de celle-là que j’ai commencé, c’était y’a .. oh wow, quatre ans ? Cinq ans ? Quelque chose par là.

Damn, le temps passait vite. Je tirai une autre latte, avant de fixer mon roulé un instant, et de demander comment elle voulait combler sa soirée.

◊ Là comme ça, y a rien qui me vient. J'ai un peu trop faim pour réfléchir.
◊ Faim ? Je dois avoir un peu de viande séchée dans mes affaires, attends.

Je me redressai avec une certaine peine, et commençai à tâter mon vieux paletot aux innombrables poches, avant de tirer quelque chose enroulé dans un chiffon encore en un seul morceau, que je lui tendis.

◊ C’est pas énorme, mais ça va te couper un peu la faim.

Clope en bouche, je me rallongeai, croisant mes bras à l’arrière de mon crâne pour avoir un minimum de confort, avant de presqu’immédiatement arrêter pour attraper ma muse d’herbe et soupirer sa fumée.

Je réfléchissais en contemplant les étoiles, silencieux. Puis, tandis qu’un sourire fourbe naquit sur mon visage, je glissai ma main inoccupée dans une poche interne de mon paletot, avant d’en sortir un paquet de cartes aux coins usés, et de le lever en direction de la rouquine.

◊ J’ai des cartes, ça te tente de faire une partie ou deux ?

Une fois de plus assis, j’avais coincé mon roulé entre mes lèvres pour saisir les cartes à deux mains, les remuant et les mélangeant distraitement.

◊ Je connais pleins de jeux de cartes différents, on peut faire du basique, du plus coûteux, ou du plus .. pimenté.

Mon sourire se fit alors plus clair, pour ne pas dire légèrement carnassier au passage. Les jeux de cartes pimentés étaient toujours les plus drôles, surtout avec de l’alcool. Mais bon.